30 Sénateurs. Le politiquement incorrect des nominations de Biya

La désignation des suppléants des sénateurs le 08 mai 2013 par le chef de l’Etat, revêt des impudences qui laissent songeur sur les méthodes du président.

Par cynisme, par machiavélisme ou par simple désinvolture ? Autant dans les chaumières que dans les états majors des partis politiques, on se demande ce qui a bien pris le président de la République de faire des choix quasi contre nature sur le plan politique dans la désignation de 60 sénateurs et suppléants le 8 mai 2013. Car l’arrogance de Paul Biya est avérée dans le choix du Sultan des Bamoun –qui n’a jamais depuis 1996 pu battre l’Udc dans le Noun- au dépend Youmo Koupit, une des figures de proue du parti de Ndam Njoya largement hégémonique dans le coin en galvaudant tous les principes du concept de légitimité politique, le président a « fait  fort » ailleurs en désignant, toujours dans la région de l’Ouest, le chef supérieur Baham, suppléant de son homologue de Bandjoun.

Ce qui pose un vrai problème protocolaire dans l’oligarchie traditionnelle  de l’Ouest. Le chef Baham étant l’aîné dans la vie et au trône de Djomo Kamga Honoré. De nombreux observateurs estiment que si c’est leur profil d’autorité traditionnelle qui a prévalu dans les choix du président, il aurait fallu tenir absolument compte de ces considérations traditionnelles qui font que dans l’ordre protocolaire, le premier cité se retrouve devant l’autre. Mais que par la force du décret (qui a certainement une plus grande importance) le cadet soit classé devant l’aîné. Outre cette querelle de castes qui vient en rajouter au conflit de leadership qui oppose les forces vives du département du Nkoung-ki dont Bandjoun est le chef-lieu, et celui des Hauts plateaux dont la capitale est Baham, la nomination d’Honoré Djomo Kamga pose la question de l’identité des récipiendaires des décrets du président. Car le chef Bandjoun a été flanqué du prénom Victor, alors qu’il se prénomme bien Honoré. Bien sûr, la méprise n’a pas été corrigée par le cabinet du chef de l’Etat. C’est le cas d’ailleurs de l’actuel ministre de l’agriculture et du développement rural Essimi Menye qui a déjà été nommé trois fois avec  le prénom « Lazare » alors qu’il n’est pas le sien. Passons !

L’autre curiosité vient de la région de l’Est. Là, on retrouve un mammouth politique comme Jean-Marie Aléokol, sénateur suppléant alors que Madame Aboui de l’Andp qui ne jouit d’aucune représentation locale occupe un siège de sénateur. Si les artificiers médiatiques de Paul Biya mettent en avant la volonté d’ouverture du sénat à d’autres couleurs politiques après le raid d’Elecam sur les listes de certains partis politiques, la base électorale du Rdpc à l’Est se plaint de ce que ni l’Andp ni aucun autre des partis de l’opposition n’avaient fait acte de candidature dans la région de l’Est, conscients de leur absence à l’Est. C’est donc quasi légitimement que la base militante du Rdpc dans la plus grande région du pays crie au hold-up présidentiel.

Tout près dans la région du Sud, des voix s’élèvent au sein du Rdpc pour critiquer le choix porté sur Maître Menye Ondo dont Emmanuel Edou, une des têtes d’affiche du Rdpc dans la Vallée du Ntem est le suppléant. Le pedigree politique de l’ex-ministre délégué à l’administration territoriale et à la décentralisation, puis ex-délégué général à la Sûreté nationale étant plus fourni que celui du notaire « du président » qui a été longtemps confiné aux arrières-postes dans le département. Mais là encore, les défenseurs du président mettent en avant le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Constitution.

Même dans la région du Centre où tout semble équilibré, des commentateurs politiques ne comprennent que très peu que Joseph Ndi Samba, élu de Metet dans le Nyong et So’o, et dont les faits d’armes de militantisme parlent d’eux-mêmes, soit confiné à un strapontin de suppléant de Jean Marie Pongmoni dont le militantisme est jugé mièvre. Autour du président, on explique que c’est au nom du jeu des équilibres sociologiques que le second, originaire du département de la Haute Sanaga, qui n’avait pu placer un des siens dans la liste du Rdpc concourant aux sénatoriales du 14 avril 2013, que Paul Biya a certainement dû faire recours à l’ancien haut cadre de l’administration pénitentiaire et non moins chef traditionnel. Mais là encore, dans l’appareil du parti du flambeau, on estime qu’on aurait pu faire émerger des cadors qui ont su par le passé entretenir la flamme militante dans le département. Pour les tenants de cette thèse, cette nomination est jugée « politiquement incorrecte » si tant est que le président a surfé sur l’expérience et le militantisme des uns et des autres pour composer la liste de ses 30 « élus ».

Outre, ces choix discutés, l’attitude des bénéficiaires du décret du 8 mai 2013, dans l’ensemble décrit la surprise des concernés. Chacun d’eux avoue n’avoir pas été consulté. Le cas Youmo Koupit en est le plus saillant. Alors, on pourrait se demander qu’y a-t-il d’incorrect pour le président à consulter avant de nommer. Ou alors est-il aussi difficile de consulter les gens avant de les nommer, faisant ainsi preuve du politiquement correct, principe intégrant désormais le management politique moderne ?

Rodrigue N. TONGUE

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