Nigeria : Buhari, un changement de vision purement cosmétique ?

 
La présidentielle nigériane compte onze candidats, dont le président sortant Goodluck Jonathan(à droite) et son principal opposant, l’ancien chef d’État Muhammadu Buhari (à gauche).

Le Nigeria fait face à une crise multiforme. Le pays le plus peuplé d’Afrique (avec plus de 177 millions d’habitants), est également la première puissance économique du continent (grâce notamment à ses importantes réserves de pétrole). Il est néanmoins plombé par une corruption à grande échelle, qui empêche une juste redistribution des profits et crée pauvreté et tensions. Le pays est aussi caractérisé par des divisions internes prononcées – divisions ethniques et religieuses qui datent des invasions maures du 8ème siècle, laissant le Nigéria partagé entre les populations musulmanes dans le nord et les populations chrétiennes du sud. Dans ce contexte, les élections présidentielle et législatives nigérianes prévues pour le 14 Février prochain ont un véritable potentiel conflagrationnel.

Le scrutin a déchaîné des passions sans précédent – ce qui est globalement positif pour cette jeune démocratie. Il n’en demeure pas moins qu’à mesure que la campagne avance, le pays s’avère de plus en plus divisé, ce qui fait craindre un retour des violences au lendemain des résultats.

La présidentielle nigériane compte onze candidats, dont le président sortant Goodluck Jonathan (chrétien à la tête du Parti démocratique populaire – PDP) et son principal opposant, l’ancien chef d’État Muhammadu Buhari (musulman qui joute pour le Congrès progressiste – APC). Ces deux hommes seront les deux candidats sur lesquels il faudra compter, si bien que l’essentiel de la couverture de cette campagne s’est transformée en une sorte de mise en scène pour un duel au sommet.

M. Buhari, d’abord, a été candidat lors des trois dernières présidentielles pour deux différents partis d’opposition aujourd’hui réunis au sein de l’APC. Conseillé par certains spécialistes ayant œuvré pour l’élection de Barack Obama, il a opéré un ravalement total pour bâtir sa campagne sur l’aspiration au changement (stratégie payante dans le cas d’Obama) et sur sa réputation d’homme incorruptible, susceptible de livrer une guerre sans merci aux personnalités verreuses (la corruption est un phénomène endémique au Nigeria). Seulement beaucoup dénoncent une campagne reposant sur des idées abstraites, sans véritable proposition concrète, et rappellent que ce changement de packaging ne saurait modifier la nature d’un homme au passé plus que trouble.

Arrivé au pouvoir le 31 Janvier 1983, Buahri avait chassé un dirigeant démocratiquement élu, pour un an et demi de régime militaire à tendance répressive. Il a souvent été critiqué par les organisations de défense des droits de l’homme, notamment pour avoir fait exécuter en public des trafiquants de drogue, et emprisonné des opposants ou des journalistes ainsi que des artistes dénonçant ses dérives autoritaires.

En face, Jonathan fait campagne sur le bilan des ses quatre années de présidence : élimination du virus Ebola, une réforme majeure de l’agriculture afin de sortir de la dépendance pétrolière, d’importants travaux sur les infrastructures de transport du pays – le système ferroviaire en tête, un renforcement de la grille énergétique afin de mettre un terme aux coupures d’électricité chroniques. Il s’est paradoxalement vu reprocher la morosité économique du pays – due à la trop grande importance des exportations de pétrole, une donnée qu’il s’est efforcé, par ses réformes, de corriger. Mais son bilan est également mitigé dans certains domaines, notamment la lutte anticorruption, qui durant son mandat n’a pas avancé aussi vite que prévu (malgré des faits d’armes comme la suppression de plusieurs milliers d’emplois publics fictifs ou la révélation du scandale des subventions d’engrais) ainsi que la lutte contre le groupe Islamiste Boko Haram. C’est en particulier sur ce dernier point que le bât blesse. Même si le groupe existait avant l’arrivée de Jonathan au pouvoir, il s’est considérablement développé durant son mandat, se lançant dans la conquête de nouveaux territoires, le règne de la terreur, l’épuration ethnique et religieuse, multipliant les attentats toujours plus meurtriers.

Si Jonathan doit composer avec une armée mal équipée, démoralisée face à des fanatiques ivres de leurs audacieux succès et de la violence inouïe de leurs préceptes, ces derniers jours, la situation semble toutefois s’améliorer, avec la défaite du groupe lors d’une attaque coordonnée sur les principales villes de l’Etat de Borno, et la confirmation de la constitution d’une force régionale pour combattre Boko Haram.

Après la stupeur et les tremblements, place à l’action, donc. Un pragmatisme qui fait toute la différence entre les deux candidats. Jonathan est le seul qui a présenté une feuille de route concrète pour le pays alors que Buhari s’est laissé aller à mille-et-une promesses pour la plupart totalement irréalistes. De plus, le bilan de la présidence Jonathan n’est pas aussi mauvais que l’opposition voudrait le faire croire, loin s’en faut. Plutôt que d’analyser calmement les quatre dernières années, de nombreux Nigérians semblent se perdre dans des débats périphériques et les slogans inlassablement martelés par les deux partis.

Aussi, le jeune GEJ à la tête du vieux PDP (au pouvoir depuis le début de la démocratie nigérianne, en 1999) pourrait bien se faire damer le pion par le faux jeune GMB, à la tête du nouveau parti APC. Ce faisant, le Nigeria retomberait dans ses vieux travers maquillés en changement. En effet, sans être le tyran diabolique que certains prétendent, Buhari a un passé incontestable d’autocrate (l’emprisonnement des homosexuels, le faux procès de Fela Kuti, l’incident diplomatique de British Airwaves, la fin des relations avec le FMI…). De plus, il représente exactement la gérontocratie sans vision qui est responsable de la relative stagnation du Nigeria, pays riche de ressources et de promesses. S’il est vrai que le pays a besoin de changement, celui-ci doit être réel, avec du sang neuf et des idées neuves. Une dynamique que n’incarne pas l’ancien dictateur.

Seulement les promesses en l’air de changement de l’opposition ont exacerbé les tensions. Sur les réseaux sociaux, et dans les organes de presse partisane, certains partent même du principe que la victoire est déjà acquise. Une défaite de Buhari serait certainement assimilée par ses soutiens les plus idéologisés à de la tricherie électorale, ce qui avait déjà donné lieu à des effusions dans le pays lors des élections de 2011 (plus de 900 personnes avaient trouvé la mort, des églises avaient été brûlées et des milliers de citoyens avaient du fuir les zones de conflit). En se concentrant sur les origines ethniques et la religion, cette campagne a en effet légèrement déchiré le tissu social nigérian, et les différentes parties sont divisées comme jamais. Quel qu’en soit le résultat, ces élections seront donc un véritable test pour l’unité du pays. Espérons que les appels au calme – à la fois par des figures politiques étrangères comme John Kerry et les candidats eux-mêmes, soient entendus. Ces élections sont déjà annoncées comme les plus libres jamais organisées au Nigeria, et si les violences sont évitées, le pays en sortira grandi.

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