Cameroun : les dangers d’un regime en pleine fracture

SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS

Après 28 ans sous la présidence de Paul Biya, le Cameroun est dans une situation de grande instabilité potentielle à l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2011. Le flou constitutionnel et légal qui prévaut, les rivalités entre les barons du régime, les tentatives du gouvernement pour contrôler le processus électoral, la rupture du contrat politique entre gouvernants et gouvernés, l’importante paupérisation et les nombreuses insatisfactions de la population, le niveau élevé de la corruption  ainsi que les frustrations d’une grande partie de l’armée font craindre la possibilité d’une crise majeure. Pour l’éviter, Biya et son gouvernement doivent restaurer l’indépendance de l’organe chargé d’organiser et de superviser les élections, rendre institutionnelle et impartiale la lutte contre la corruption et garantir la neutralité des forces de sécurité. Ils doivent aussi, de manière urgente, mettre en place les institutions prévues par la Constitution de 1996, afin d’éviter une vacance du pouvoir et l’éven­tualité de violences lors d’une transition, y compris si celle-ci était causée par un événement imprévu comme le décès en fonction du président, aujourd’hui âgé de 77 ans. Les partenaires les plus influents du Cameroun, en particulier la France et les Etats-Unis, doivent apporter un soutien actif à ces mesures afin d’empêcher des troubles.

Le parti au pouvoir est de plus en plus divisé. Bien qu’il domine toujours la vie politique, il est conscient de son manque de légitimité et il est affaibli par des rivalités internes pour le contrôle des ressources et des positions en prévision de « l’après Biya ». Après avoir fait supprimer la limitation constitutionnelle du nombre de mandats présidentiels, Biya, qui est à la fois craint et contesté au sein de son parti, maintient délibérément l’incertitude sur son éventuelle candidature. De nombreux membres de son parti nourrissent de leurs côtés des ambitions présidentielles.

Les forces de sécurité, pilier important du régime, sont elles aussi divisées. Quelques corps d’élite sont bien équipés et entraînés alors que les unités ordinaires, même si elles reçoivent des salaires corrects, manquent de ressources et sont très peu préparées. L’armée dans son ensemble souffre de tensions entre générations, notamment à cause du refus des vieux généraux de prendre leur retraite qui bloque la promotion des officiers plus jeunes. Des éléments des forces de sécurité sont aussi connus pour être impliqués dans des activités criminelles.

A cause du niveau important de la corruption qui gangrène le pays, d’un système politique clientéliste et d’une importante présence sécuritaire dans toutes les sphères de la vie quotidienne, beaucoup de citoyens se sentent exclus. Plus de la moitié de la population ayant moins de vingt ans, le taux élevé du chômage et du sous-emploi chez les jeunes est une source considérable de tensions sociales. Etant données de telles fractures, le décès de Biya en fonctions pourrait entraîner une importante crise, aggravée par le flou entourant les dispositions constitutionnelles pour une transition. Un tel scénario ne se produira pas forcément, mais, la démocratie étant en panne, la question de la gestion de « l’après Biya » est déjà au centre des rapports politiques au sein du régime, et est considérée comme une importante cause potentielle d’instabilité. Dans tous les cas, l’élection de 2011 donnera facilement lieu à un conflit si elle est mal organisée ou si elle manque de transparence. L’organe chargé d’orga­niser et de superviser les élections n’a pas de légitimité et a déjà connu un mauvais départ lors de sa mise en place. Si la possibilité d’un changement politique dans des conditions démocratiques n’existe pas, il y a de fortes chances que des citoyens ordinaires, des membres de la classe politique et/ou des éléments des forces de sécurité choisissent l’option de la violence pour sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent.

La longue présidence de Biya, sa manipulation des identités ethniques, la corruption et la criminalisation des élites ont nourri de nombreuses frustrations. Les graves violences urbaines de 2008, qui ont mêlé revendications économiques, contestation du régime et manipulation politique et causé plusieurs dizaines de morts, donnent une idée des risques d’un violent conflit. Une situation chaotique pourrait conduire à un coup d’Etat militaire et aurait certainement des répercussions néfastes pour la région, pour laquelle le Cameroun a été jusqu’à présent un pilier de stabilité.

A moyen terme, le Cameroun fait face à de nombreux défis pour améliorer la gestion de ses ressources publiques, une question qui est au cœur de ses problèmes. Mais à court terme, des actions urgentes doivent être menées pour éviter une crise autour de l’élection de 2011.

RECOMMANDATIONS

Au gouvernement du Cameroun :

1.  Favoriser une meilleure transparence dans le processus électoral en restaurant l’indépendance de l’organe chargé d’organiser et de superviser les scrutins ; revoir le code électoral ; établir des listes électorales fiables ; et élargir la base électorale, dont la faible portée actuelle fait craindre l’exclusion de nombreux citoyens du processus.

2.  Mettre en place le plus rapidement possible les institutions prévues par la Constitution de 1996 mais qui n’ont toujours pas été créées, dont le Sénat, le Conseil constitutionnel et les Régions.

3.  Améliorer les efforts de lutte contre la corruption en :

a) revoyant l’opération de lutte contre la corruption « Epervier », qui a abouti pour l’instant à l’arresta­tion de plusieurs dizaines de hauts fonctionnaires et d’anciens ministres, afin de l’inclure dans un processus institutionnel et impartial de lutte contre la corruption.

b) créant un organe de lutte contre la corruption réellement indépendant du pouvoir exécutif et qui fonctionne selon des procédures légales claires.

c) en favorisant une sensibilisation des citoyens à la lutte contre la corruption et en mettant en place un système de sanctions transparentes et systématiques contre les auteurs de pratiques illégales.

4.  Ouvrir un dialogue sincère avec les forces de l’oppo­sition sur la question de l’organisation de l’élection et de la lutte contre la corruption.

A la communauté internationale, et en particulier aux gouvernements français et américain :

5.  Peser de tout leur poids pour pousser le gouvernement à mettre en place le Sénat, le Conseil constitutionnel et les Régions.

6.  Continuer à soutenir le processus électoral, mais dénoncer clairement les mauvaises pratiques et/ou les pratiques déloyales.

7.  Commencer à prévoir des missions d’observation pour l’élection présidentielle de 2011 ; s’accorder sur une position commune à l’égard des pratiques inacceptables avant, pendant et après l’élection ; insister sur la nécessité de faire en sorte que toutes les parties acceptent les résultats et que des moyens légaux et pacifiques de contestation des résultats soient disponibles.

8.  Utiliser leur aide et leur appui dans le domaine de la formation au secteur sécuritaire pour pousser le gouvernement à reconnaître l’implication des forces de sécurité dans les violations des droits de l’Homme, en particulier lors du mouvement de contestation de 2008, et à faire en sorte que les auteurs de ces violations répondent de leurs actes. 

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