La guerre de la France au Cameroun – Enoh Meyomesse: « La déconstruction du discours officiel fait peur »

La guerre de la France au Cameroun - Enoh Meyomesse: « La déconstruction du discours officiel fait peur »

L'écrivain et auteur explique pourquoi certains caciques au pouvoir sont mal à l'aise à l'idée d'admettre une guerre d'indépendance au Cameroun.

François Hollande admet l'idée d'un conflit au Cameroun mais en délimite le début après l'indépendance. Est-ce par ignorance ?

La guerre du Cameroun était noyée entre deux guerres, celle d'Indochine et d'Algérie. La nôtre commence dans la nuit du 18 au 19 décembre 1956, à la veille du scrutin du 23 décembre 1956, élections législatives anticipées. Cette guerre tombe au plus mauvais moment pour se faire connaitre, car lointaine pour l'opinion française, elle l'est d'autant plus que les jeunes français vont en service militaire en Algérie, leur parents se sentent concernés. Tandis qu'au Cameroun, ceux qui combattent sont des militaires de métier qui viennent d'être mis en déroute à Dien Bien Phu en Indochine. Voilà pourquoi la guerre se déroule dans l'ignorance totale. Le premier officier envoyé pour diriger le corps expéditionnaire français au Cameroun est un colonel du nom de Crest Devilleneuve, lui comme les autres n'ont pas bonne réputation en France parce qu'ils viennent d'être défaits en Indochine. Pierre Messmer aussi est arrivée au Cameroun venant d'Indochine. Deuxième élément qui peut justifier cette ignorance c'est que le Cameroun, dans l'opinion publique française, n'est pas un pays qui sera conservé, ceci dû à son statut de territoire sous tutelle de l'Onu placé sous administration française. Enfin, troisième élément, la communauté française est réduite au Cameroun en comparaison à son nombre au Sénégal, en Côte d'ivoire, au Congo Brazzaville dont la capitale avait été celle de la France libre, celle du général Charles De Gaule.

Doit-on parler d'un début de reconnaissance de ce conflit après de longues années d'oubli ?
Non, c'est dans la tradition de la gauche qui n'a jamais été pour l'aventure coloniale. Ce refus de la gauche est à l'origine de l'autonomie budgétaire et financière des territoires coloniaux. Tout ce qu'il y avait comme budget de fonctionnement et d'investissement devait provenir des impôts et taxes prélevés dans la colonie, les pro-colonialistes ont ainsi pu atténuer la critique de la gauche. Les milieux anti coloniaux ont toujours dénoncé l'aventure coloniale, Jean Paul Sartre, Jean Lacouture, Albert Camus… C'est l'héritage de la gauche. La preuve dans cette mouvance, c'est François Mitterrand qui exigera la démocratie en Afrique francophone, dans son discours de La baule. Dès sa prise de pouvoir, il a aussi ouvert la possibilité aux Africains de bénéficier de la loi de 1901 sur les associations. François Hollande a simplement puisé dans les archives de la gauche.

Que dire du discours officiel camerounais sur la guerre ?

L'équipe dirigeante au Cameroun depuis André-Marie Mbida est héritière de l'esprit Aujoulat qui était opposé à l'indépendance. Son parti, le Pdc, à son congrès d'Abong-Mbang en janvier 1958 avait préconisé l'indépendance du Cameroun dans un délai minimum de 10 ans, le temps de former des cadres. L'Union camerounaise de Ahmadou Ahidjo aussi était contre l'indépendance, l'avocat antillais, Jules Ninine un élu de ce parti, qui a représenté la circonscription du Nord à l'assemblée nationale française en était opposé. Le 15 mai 1957, lors du débat d'investiture du gouvernement Mbida, Ahmadou Ahidjo, au nom du groupe parlementaire U.C. avait mis en garde André Marie Mbida contre une éventuelle tentation de réclamer l'indépendance. Dans le rapport de la mission de visite de l'Onu au Cameroun en 1955, il est stipulé que le Cameroun est divisé en deux sur la question de l'indépendance. Pendant que le Sud la réclame, le Nord s'y oppose catégoriquement et n'exclut pas une partition du pays.

Pensée qui s'est traduite dans les faits dans le statut du Cameroun du 16 avril 1957 qui a divisé le Cameroun en deux, la région du Nord ayant eu son autonomie et tout le reste du pays. C'est cet esprit qu'Ahidjo amène au pouvoir et se traduit par la négation de l'indépendance avant sa proclamation. Dans les premiers accords de tutelle signés en décembre 1958, il cède à la France le sous-sol et la monnaie. La proclamation de l'indépendance le 1er janvier 1960 était du coup vide de contenu. Le bénéfice qu'a tiré ce courant politique a été la gestion du pays. Le 20 mai 1972, ce courant a aboli la fête de l'indépendance faisant du Cameroun l'un des rares anciens territoires coloniaux au monde qui ne célèbre pas son indépendance.

Ce courant ne peut que considérer la guerre d'indépendance comme du désordre, des tueries inutiles. Les héritiers de ce courant ont les lèvres brulées par les noms d'Um Nyobé et autres qu'ils considèrent comme des perturbateurs du cours normal de l'histoire. Ils omettent ainsi le fait que sans ce qu'ils appellent les tueries inutiles, l'indépendance du Cameroun n'aurait jamais été proclamée le 1er janvier 1960. Car ces « tueries inutiles » ont accéléré l'histoire non seulement du Cameroun, mais de toute l'Afrique francophone. Le maquis du Cameroun a été le déclencheur de la cascade d'indépendances des colonies françaises d'Afrique noir au mois d'aout 1960. Tel a été le rôle historique irremplaçable du maquis camerounais. C'est pourquoi Um Nyobé n'est pas simplement un héros camerounais mais un héros africains.

Les héritiers d'Aujoulat sont visiblement mal à l'aise à l'idée d'admettre une guerre d'indépendance…

Cette reconnaissance met à mal tout le discours officiel depuis l'indépendance. D'abord le discours sur la paix qui sous-entend qu'il y avait une guerre civile au Cameroun, or c'était une guerre d'indépendance, ce qui n'est pas la même chose. Et le discours sur l'Unité nationale qui suppose que nous étions désunis, ce qui est complètement faux, nous n'avons jamais été désunis. Pendant qu'on a divisé le Cameroun administrativement, les Camerounais sont demeurés un, sentimentalement. C'est cette perspective de déconstruction du discours officiel qui fait peur. Ils vont raconter quoi après

Propos recueillis par Claude Tadjon

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