Nord-Cameroun : La tradition enterre les albinos vivant

Ils sont systématiquement éliminés à leur naissance au nom de certains préjugés largement répandus.

C’est avec l’avènement de l’université de Maroua et le déversement dans la communauté que l’on peut apercevoir des albinos arpenter les rues de Maroua. Une curiosité pour bon nombre d’habitants de la région de l’Extrême Nord, et même des toutes les régions du septentrion. Aussi curieux que cela puisse paraitre, dans presque toutes les traditions, ils sont systématiquement éliminés à leur naissance. Les préjugés des temps anciens traitent cette catégorie de personnes comme étant «des mauvais présages», signes de malheur ou encore «les enfants de mauvais esprits».

Un chef traditionnel de Yagoua explique: «Dans le temps, chez nous les Massa, qui avons un teint particulièrement noir, on conçoit mal que vous donnez naissance à un albinos. Et la tendance générale veut qu’on le tue par quelque procédé que ce soit à la naissance. Puisque cela ne s’explique pas que vous êtes noir et que vous donnez naissance à un blanc. Ça fait peur aux parents qui pensent que c’est l’incarnation d’un malheur». Pareil dans la communauté Moundang, qui peuple le département du Mayo Kani. Le directeur du centre multifonctionnel de promotion des jeunes de Domayo à Maroua donne sa version René Danzabé.

«Chez nous les Moundang, les albinos n’existent pas. A la naissance de l’albinos, on va directement l’abandonner à coté d’une termitière ou en brousse jusqu’à ce qu’il meure. Ainsi, leur gène a pratiquement disparu et on ne les rencontre pas dans la communauté», explique t-il. En dépit d’une certaine similitude dans les us et coutumes des entités ethniques du Grand Nord, la pratique est donc la même partout. Une pratique qui ne se limite pas seulement aux albinos, mais également à tout nouveau né qui présente une malformation génétique. René Danzabé précise que «chaque fois qu’un enfant présente seulement une malformation, y compris un albinos, on le dépose au bord de la termitière jusqu’à ce qu’il se déshydrate et meure. Ils sont considérés comme des enfants portant malheur».

Modernisme
Chez les Mafa, peuples vivant dans le département du Mayo Tsanaga, la naissance d’un albinos dans la famille est un mauvais présage, dit-on. Pour Justine Ndarata, ménagère, «lorsqu’une femme donne naissance à un albinos, on se dit que c’est un mauvais esprit. On va l’abandonner soit au bord de la rivière pour que les dieux de l’eau l’emportent ou encore en pleine broussaille. Une fois déposé, la personne rentre sans regarder derrière lui jusqu’à son domicile». Cela signifie qu’on a rendu au dieu de la forêt ou de l’eau son rejeton. Il convient néanmoins de noter que ces pratiques sont révolues en raison du modernisme et de l’évolution des mentalités.
Aujourd’hui, c’est une pratique qui relève des temps anciens même s’il faut reconnaître, à la vérité, que les albinos de parents originaires du Grand Nord se comptent sur le bout des doigts. «Je pense que c’est un problème de gène. Au Nord, ces gènes ne peuvent résister au rude climat et au soleil sur lequel nous vivons continuellement dans l’année», ironise un enseignant. Une thèse que réfutent pourtant les scientifiques. En dépit de la réticence des leaders religieux à s’exprimer sur l’élimination des albinos à la naissance, quelques-uns estiment qu’ils n’ont pas vécu ni la naissance d’un albinos dans leur entourage, ni assisté au rite d’élimination.

Pasteur Philippe Guidassa, de l’Union des églises évangéliques au Cameroun, pense pour sa part que cette pratique relève d’une période très ancienne. «Je crois qu’il faut évoquer d’autres raisons liées au climat de la région. Ceux que j’ai interrogés sur la question estiment qu’il y a trop de soleil au Nord et cela ne peut permettre aux albinos de bien grandir. Le soleil peut les tuer avant un certain âge et dans notre société, lorsqu’on imagine qu’un enfant albinos ou qui présente une malformation aura des problèmes durant toute sa croissance, il constitue une source de dépense supplémentaire pour les parents déjà très pauvres. Ils préfèrent s’en débarrasser outre mesure et en faire un autre». Même s’il reconnait que: «C’est Dieu qui donne l’enfant. Et quelque soit ce qu’il vous a donné, il faut en être fier. C’est pourquoi, de nos jours, on ne tue plus les albinos, même s’il faut reconnaitre qu’ils sont rares. Il y des produits modernes adaptés à leur peau quelque soit le climat qu’il fait». Une hypothèse que partage aujourd’hui bien des populations du Grand Nord. Mais il aura fallu que beaucoup d’albinos meurent innocemment pour en arriver là.

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