1er décembre 1944, le jour où la France a tiré sur ceux qui ont contribué à la délivrer des griffes nazi

Rappel des faits ou du moins de ce que l’on en sait. En 1940, les tirailleurs sénégalais – appellation générique désignant des combattants de plusieurs pays d’Afrique noire – participent à la campagne de France. Des milliers meurent au combat. Entre 1 500 et 3 000 d’entre eux, sitôt faits prisonniers, sont froidement abattus par des soldats allemands gavés d’idéologie suprémaciste. Après l’armistice, près de 70 000 soldats indigènes venus de tout l’empire sont internés dans des camps de prisonniers aménagés sur le territoire français (frontstalags). La sous-alimentation, le froid, la maladie et le travail forcé déciment les prisonniers. Des internés parviennent à s’évader, cachés par la population complice, et rejoignent les rangs de la Résistance.

ARRIÉRÉS DE SOLDE

Dès 1944, les frontstalags sont libérés au fil de l’avancée des forces alliées. L’administration organise le rapatriement de leurs occupants africains vers les colonies. Deux mille tirailleurs se retrouvent ainsi, le 3 novembre 1944, à Morlaix (Finistère). De là, ils doivent embarquer sur le Circassia. Mais les soldats exigent au préalable de recevoir leurs arriérés de solde, quelques milliers de francs de l’époque. Trois cents s’obstinent, refusent de monter à bord et sont expédiés manu militari dans un centre de détention des Côtes-d’Armor. Les autres obtempèrent finalement après avoir touché un quart de la somme et surtout après avoir reçu la promesse de recevoir le reste à l’arrivée.

Une nouvelle grogne éclate lors d’une escale à Casablanca et 400 tirailleurs restent à quai. Ce sont 1 280 soldats qui arrivent finalement à Dakar, le 21 novembre 1944. Ils sont aussitôt enfermés dans des baraquements, à quelques kilomètres de là, dans la caserne de Thiaroye. Les autorités coloniales entendent les renvoyer dans leurs foyers. Les hommes réclament d’abord leur dû. Le 28 novembre, la tension monte. Cinq cents hommes sont sommés de prendre un train pour Bamako. Ils refusent. Venu négocier, le général Dagnan est pris à partie. Il promet le paiement des arriérés. Mais le 1er décembre au matin, le camp est encerclé par un imposant dispositif humain et matériel.

TUÉS POUR L’EXEMPLE

Armelle Mabon (maître de conférences à l’université de Bretagne Sud) a conclu dans une remarquable publication de 2013 que les autorités militaires au plus haut niveau voulaient, depuis la veille, faire un exemple contre des soldats qu’elles estimaient en état de rébellion. “Les contradictions multiples et les nombreuses incohérences associées aux témoignages suggèrent fortement la préméditation”, affirme-t-elle. Les officiers auraient pris prétexte d’un début d’échauffourée pour tirer. Certaines des victimes avançaient sur les hommes qui les encerclaient, exhibant leurs galons français. Bilan : des centaines de tués. Certains avancent le chiffre de 335 morts.

Une trentaine de mutins seront condamnés à des peines allant jusqu’à dix ans de prison, avant de bénéficier d’une grâce amnistiante du président Auriol en 1947. A une exception, les auteurs de la fusillade et ceux qui l’auront ordonnée ou couverte ne furent jamais inquiétés.

GRAVE BAVURE MILITAIRE

“Il faut réhabiliter les tirailleurs morts, blessés, pour avoir simplement réclamé un droit dont ils ont été spoliés”, estime Armelle Mabon, qui a publié ses conclusions dans un ouvrage collectif aux PUF en octobre 2013 :Nouvelle histoire des colonisations européennes (XIXe-XXe siècles). Sociétés, cultures, politiques.

Thiaroye n’est pas resté simplement dans l’Histoire comme une grave bavure militaire. La fusillade s’inscrit, avec les événements de Sétif et d’autres, dans cette période où les autorités coloniales, après s’être comportées souvent sans grand honneur pendant le conflit, furent incapables de percevoir les changements induits par la seconde guerre mondiale. Les tirailleurs rentraient d’Europe porteurs de valeurs nouvelles. “Ils viennent à la colonie avec l’idée bien arrêtée d’être les maîtres, de chasser les Français”, redoute ainsi le lieutenant-colonel Le Berre dans son rapport. Le général Dagnan craint que ces hommes ne “forment le noyau agissant de tous les groupements hostiles à la souveraineté française”.

Mais la France sera obligée in fine, de reconnaître les droits inaliénables de tous les peuples d’Afrique et d’Asie à l’autodétermination. Ceux d’Afrique noire gouvernés encore par des commis et supplétifs français sont les seuls à ne pas profiter des potentialités de leurs pays et des fruits de l’indépendance. Pour des millions d’entre eux, l’histoire y compris celle de Thiaroye reste méconnue.

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