Le ministre du Travail Eric Woerth sur TF1 le 7 septembre 2010.
Bien sûr, ce n’est pas la première fois que le pouvoir tend l’oreille en direction des journalistes. L’affaire des écoutes de l’Elysée – qui à l’époque visaient déjà Le Monde, entre autres – restera comme l’une des plus vilaines taches sur le bilan du président François Mitterrand. Un quart de siècle plus tard, le retour de ces pratiques aussi anciennes qu’insupportables n’en est que plus révoltant. Nicolas Sarkozy n’était-il pas celui qui avait promis une “république irréprochable” [en avril 2007, lors de la campagne présidentielle] ? S’il se confirme que les services de contre-espionnage ont été sollicités par l’Elysée pour identifier la source d’un journaliste et que cette source, une fois connue, a aussitôt été éloignée de Paris, ce serait gravissime. Le signe que le pouvoir est prêt à tout, y compris à enfreindre ses propres lois (le dispositif sur le secret des sources a été renforcé il y a à peine quelques mois [en janvier 2010, pour rendre la législation française conforme au droit européen]) pour étouffer une affaire Woerth-Bettencourt décidément trop embarrassante.
Le soupçon pesait déjà sur la procédure. Pourquoi le parquet se contentait-il d’une enquête préliminaire sans nommer de juge d’instruction ? Ce nouveau coup de théâtre ne fait qu’entacher un peu plus la crédibilité des investigations. Sans parler de la légitimité à maintenir au ministère du Travail un Eric Woerth si grossièrement protégé qu’il n’en devient que plus suspect. Avec quel résultat ? Une ambiance délétère qui pourrit le climat politique, nourrit le poujadisme et pollue le débat sur les réformes de société comme celle des retraites. Une justice privée de ses moyens, une presse dont les sources sont taries : c’est la séparation même des pouvoirs et la liberté de la presse qui sont bafouées.
Il y a quelques mois, déjà, l’utilisation des services de renseignement de l’Etat à des fins privées avait fait polémique. Il s’agissait alors d’enquêter sur les rumeurs qui prêtaient une liaison à la première dame de France. Le contre-espionnage avait admis que cette mission lui avait été confiée. L’Elysée serait-il en situation de récidive ? Choquant sur le principe, ce nouveau recours aux “services” fait aussi froid dans le dos. Le patron du contre-espionnage vient de révéler ce week-end que les menaces terroristes n’avaient jamais été aussi fortes en France depuis quinze ans. Pas vraiment le moment de disperser ses efforts en partant à la chasse aux “gorges profondes”.