Côte d'Ivoire: Pourquoi la LIDHO, la FIDH et le MIDH ne participent pas au procès contre madame Gbagbo ?

A la veille de l'ouverture prévue du procès de Simone Gbagbo devant la Cour d'assises d'Abidjan, la FIDH, le MIDH, et la LIDHO qui accompagnent et représentent 250 victimes parties civiles dans les procédures judiciaires relatives à la crise post électorale, ont décidé, malgré 4 années de travail et de collaboration avec la justice ivoirienne, de ne pas participer à ce procès organisé à la va-vite et où Simone Gbagbo comparaîtra seule.

Nos organisations sont engagées depuis 2012 dans les procédures judiciaires nationales et notre collectif d'avocats nationaux et internationaux représente aujourd'hui, outre la FIDH, le MIDH et la LIDHO, près de 250 victimes des crimesles plus graves commis pendant la crise post électorale.

Notre participation en tant que parties civiles à ces procédures est née de la conviction que la justice ivoirienne saurait faire face à l'immense défi que constitue la nécessité d'une réponse judiciaire à la crise post électorale, et que c'est au niveau national, en complémentarité avec l'enquête ouverte devant la Cour pénale internationale, que la justice pourra, au plus près des victimes, rendre une justice impartiale, crédible et effective.

C'est au nom de cette conviction, renforcée par les engagements répétés des autorités ivoiriennes en faveur d'une justice impartiale, que nos organisations ont, avec les victimes que nous accompagnons, décidé de contribuer activement aux procédures judiciaires en cours, en exerçant les droits reconnus par le droit national aux parties civiles, et en accompagnant devant les magistrats instructeurs les victimes afin que leur témoignage puisse être recueilli et les auteurs des crimes qu'elles ont subi poursuivis et jugés.

Outre ce travail judiciaire, nos organisations ont toujours soutenu publiquement, en Côte d'Ivoire et sur la scène internationale, l'importance des procédures engagées, saluant les étapes positives qui sont intervenues, en particulier la mise en place et le maintien de la Cellule spéciale d'enquête et d'instruction (CSEI) et un certain rééquilibrage des poursuites, tant attendu par les victimes, et alertant aussi sur les blocages qu'ont pu rencontrer les magistrats et enquêteurs dans leur travail de recherche de la vérité.

C'est dans ce contexte que nos organisations ont appris, de manière incidente et avec stupéfaction, l'imminence du procès à venir de Mme Simone Gbagbo, lors de la session d'Assises qui vient de s'ouvrir. Cette stupéfaction a été d'autant plus grande que les droits les plus élémentaires des parties civiles ont été bafoués puisque nos avocats n'ont jamais été notifiés des différentes étapes qui ont mené à l'organisation de ce procès : ni, fin 2015, lorsque la décision a été prise de disjoindre le cas de Mme Gbagbo du dossier d'instruction visant les crimes les plus graves commis pendant la crise post électorale où sont inculpées plus de 150 personnes, ni en janvier 2016, lorsque la Chambre d'accusation a été amenée à se prononcer sur la mise en accusation et le renvoi de Mme Gbagbo devant les assises.

« La négation de nos droits de parties civiles a privé nos organisations de la possibilité d'informer de manière éclairée les victimes que nous accompagnons, et que nos avocats auraient été amenés à représenter lors de ce procès. Celles-ci ont été privées d'exercer tous les droits liés à leur statut de victimes participant pleinement à la procédure judiciaire », a déclaré Patrick Baudouin, président d'honneur de la FIDH et avocat des victimes.

Si ces droits avaient été respectés, nos associations et les victimes que nous accompagnons auraient pu exprimer, judiciairement, leurs doutes quant à la crédibilité d'un procès organisé dans ces conditions.

Dès lors, comment concevoir, alors que la crise post électorale a été émaillée de la perpétration des crimes les plus graves, à l'échelle du pays, avec une multiplicité d'auteurs présumés et de victimes, dans un enchevêtrement de responsabilités pénales que la justice se doit d'individualiser, qu'un tel procès organisé à la hâte, avec Simone Gbagbo comme seule accusée, puisse permettre de rendre véritablement et effectivement justice aux victimes ?

Nos organisations estiment que la volonté manifestée par les autorités politiques et judiciaires de répondre au plus vite à la Cour pénale internationale et au mandat d'arrêt émis par elle à l'encontre de Mme Gbagbo ne devrait pas conduire à un morcellement des procédures, au détriment des victimes.

« Lors du procès pour les atteintes à la sûreté de l'État tenu entre décembre 2014 et mars 2015, l'ensemble des observateurs ont dénoncé un procès insatisfaisant, où le nombre de personnes mises en cause (83) ne permettait, en aucun cas, d'établir la responsabilité pénale individuelle de chacun. Mais isoler aujourd'hui Mme Gbagbo n'est pas plus satisfaisant. » a déclaré Me Yacouba Doumbia, président du MIDH et avocat des victimes.

En effet, la juger seule, en l'absence de ceux avec lesquels elle est accusée d'avoir planifié et commis les crimes les plus graves et dont certains sont aujourd'hui inculpés pour les mêmes faits, ne permettra pas de saisir l'entière réalité de l'appareil répressif mis en place par Laurent Gbagbo et son entourage à l'issue de l'élection présidentielle de 2010.

Pour éviter les écueils de procès collectifs, comme celui de l'année dernière, ou d'un morcellement des procédures menant à des procès individuels, comme celui de Mme Gbagbo, nos organisations appellent les autorités judiciaires à adopter une stratégie pénale claire incluant la tenue d'une série de procès couvrant les différentes séquences de la crise post électorale. Une telle approche, basée sur l'analyse des faits, des preuves et des témoignages permettrait de juger de façon cohérente les principaux responsables et de comprendre non seulement le « système Gbagbo » et sa dérive criminelle à l'issue de l'élection présidentielle de 2010, mais également les crimes graves commis par les FRCI au cours de leurs offensives en 2011.

Ce sont les raisons pour lesquelles, sans pour autant renoncer à représenter les victimes de la crise post électorale, qui continuent de placer leurs espoirs en la justice, nous avons décidé de nous tenir à l'écart de ce procès, en espérant que les procès à venir ne reproduiront pas les mêmes manquements, d'autant que les instructions toujours en cours au sein de la CSEI ont connu des avancées encourageantes.

« A l'issue de ce procès, et quel qu'en soit le verdict, les victimes continueront d'attendre la tenue des véritables procès de la crise post électorale et d'exiger que des réponses crédibles et claires soient apportées aux questions qu'elles se posent depuis 5 ans : comment un tel déferlement de violence a pu se produire dans le pays, quels en ont été les mécanismes et qui en sont les responsables ? » a déclaré Pierre Adjoumani Kouame, président de la LIDHO.

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