Cameroun : la démocrature en crise

L’épidémie de choléra qui touche des milliers de personnes et qui a causé la mort de centaines de victimes, se propage au nord du Cameroun. Si cette épidémie est due aux inondations, elle reflète avant tout l’état sanitaire du pays. Le choléra est une maladie de la pauvreté qui se développe là où l’accès à l’eau potable n’est pas garanti comme certains quartiers et villages. Depuis sa prise de pouvoir en 1982, Paul Biya a rendu encore plus pauvre l’immense majorité de son peuple vivant pourtant dans un pays riche en matières premières.

Le Cameroun peut être considéré comme une exception en Afrique puisqu’il est dirigé par ceux qui ont lutté militairement, avec les colonisateurs, contre le mouvement d’indépendance nationale incarné, à l’époque, par l’UPC (Union des Peuples du Cameroun). Une guerre qui fera des milliers de morts et où l’armée française n’hésitera pas à utiliser le napalm. Cette infamie originelle continue de peser sur des dirigeants qui ne peuvent même pas se targuer d’avoir gagné la liberté et la dignité pour leur peuple. En effet, Biya n’est autre que le premier ministre d’Ahidjo, l’homme de l’ancienne puissance coloniale. Considéré comme le dauphin, Biya n’a pas eu la patience d’attendre son tour et s’est emparé du pouvoir au premier signe de faiblesse d’Ahidjo.

Biya n’a fait que suivre la politique de son prédécesseur en maintenant un centralisme oppressif sur le pays, en transformant le parti du pouvoir -le RDPC- en parti-état, en distillant les divisions ethniques. Il a développé une politique de clientélisme, s’entourant d’une classe dirigeante composée de baronnies et de clans ; autant de vecteurs de corruption qui s’entre-déchirent entre générations, entre ethnies, entre militaires et civil, etc. Parallèlement, les conditions de vie de la population se sont considérablement dégradées avec une augmentation du travail informel au détriment du travail normé, un chômage endémique pour les jeunes qui représentent près de la moitié de la population, un délabrement des services de santé et d’éducation, des salaires misérables pour les fonctionnaires qui les poussent à monnayer leurs services.

L’échéance sur laquelle tout le monde a les yeux fixés est celle de 2011, date de la prochaine élection Présidentielle. Biya a fait changer la constitution lui permettant de se représenter, option la plus probable, même s’il continue à entretenir le flou sur sa candidature. Tirant les leçons de ses propres actes passés, Biya s’est appliqué à éliminer tous les dauphins déclarés ou potentiels en utilisant le plan épervier, un plan anti-corruption, dépendant directement de la Présidence, qui se révèle être une arme redoutable contre les différentes factions dirigeantes. Epervier plane sur la tête de chaque cacique du pouvoir, leur impose le silence et leur soumission. Pour Biya c’est tout bénéfice car, en même temps qu’il se débarrasse de ses concurrents, il donne des gages à la population et à la communauté internationale sur sa volonté d’assainir le pays, même si personne n’est dupe. Les pays occidentaux font semblant d’y croire, seule la stabilité du pays compte car elle permet aux multinationales de piller le pays en tout quiétude.

Pour la population, la volonté est forte d’obtenir un changement, de virer Biya et toute sa clique de parasites, mais comment y arriver ? Au niveau électoral en 1992, Fru Ndi du SDF (acronyme anglais du Front Social Démocrate) avait gagné, mais la victoire fut volée par Biya ; depuis l’opposition dans sa grande majorité a boycotté celle de 1997. La question se pose aussi sur la tactique électorale car les élections sont à un tour, celui qui a le plus grand nombre de voix l’emporte, ainsi en 2004 la division de l’opposition et les fraudes ont permis à Biya de conserver le pouvoir. Au niveau des luttes, tout le monde a en mémoire les grandes manifestions de 2008 qui ont ébranlé tout le pays, contre la pénurie alimentaire et contre le changement de la constitution permettant à Biya de briguer un quatrième mandat. Ces mobilisations ont été durement réprimées faisant des dizaines de morts et ceci sans changement notable, si ce n’est une augmentation des salaires des fonctionnaires.

L’opposition n’a pas pris la direction politique de ce mouvement et n’a pas réussi à le structurer et à l’ancrer dans les quartiers populaires. L’enjeu est d’être capable d’offrir une alternative aux luttes populaires afin qu’elles ne soient pas dévoyées, par des fractions du clan Biya, vers des conflits ethniques car ce risque est réel.

Ce défi peut être relevé, le MANIDEM (Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie) qui a conservé les meilleures traditions de l’UPC et qui se situe dans l’opposition radicale à l’ordre capitaliste néocolonial, peut jouer un rôle important. D’autant que dans les débats du principal parti de l’opposition le SDF (Front social démocrate), une aile de gauche se dessine. En France nous devons faire notre part de travail dans la solidarité et la dénonciation du soutien du gouvernement français à Biya.

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