Quand Londres dépense des fortunes pour éviter un procès à deux anciens hauts fonctionnaires

Plus de 700 000 euros d'argent des contribuables pour sauver la mise de deux anciens hauts responsables britanniques ? L'histoire a tout du scandale en puissance. Mais quand une sombre histoire de tortures et de détention en est à l'origine, on touche à l'affaire d'Etat. Jack Straw, ancien ministre de l'Intérieur et Mark Allen, ancien directeur du MI6, les renseignements extérieurs britanniques, sont attaqués au civil par Abdel Hakim Belhaj, un opposant libyen au colonel Mouammar Kadhafi, et sa femme Fatima Boudchar.

Selon le couple, ils ont été arrêtés en 2004 en Malaisie avant d'être renvoyés en Libye via Bangkok. Ils affirment que l'opération a été menée conjointement par le MI6, la CIA et les services secrets libyens. Le récit fait par les deux plaignants fait froid dans le dos. Fatima Boudchar raconte avoir été enchaînée contre un mur pendant cinq jours et attachée durant un vol de 17 heures, ce qui l'aurait laissé au bord de l'agonie.

Elle aurait été incarcérée en Libye jusqu'à la naissance de son fils, venu au monde en sous poids. Quant à son mari, il dit avoir été enfermé dès son arrivée dans le pays et avoir croupi dans les geôles libyennes durant six ans. Une période lors de laquelle il aurait été régulièrement torturé.

Pas la première fois

Une histoire sordide qui rappelle furieusement celle contée par Sami al-Saadi, un autre opposant de l'ex-leader libyen. Ce dernier, sa femme Karima, ainsi que ses quatre enfants âgés de 12, 11, neuf et six ans, auraient été détenus à Hong-Kong avant d'être remis à la Libye. Là encore, le MI6 est accusé d'avoir joué un rôle prépondérant.

L'une des filles de Saadi, Khadija, affirme avoir entendu sa mère «se résigner à l'idée que nous allions rentrer pour être exécutés par le colonel Kadhafi». La jeune fille assure s'être évanouie en écoutant ces mots : «J'étais sûre que nous serions tués.» Sami al-Saadi, à l'instar d'Abdel Hakim Belhaj, clame qu'il a été emprisonné durant six ans et torturé.

La police a enquêté sur ces affaires. Mais le service en charge des poursuites a considéré, au début du mois, que les preuves étaient «insuffisantes» pour pouvoir instruire l’affaire.

En 2011, en plein effondrement du pouvoir, des documents provenant du MI6 et destinés au chef des renseignements libyen, Moussa Koussa, ont été retrouvés. Dans ces écrits, Mark Allen s'enquiert notamment du rôle des services britanniques dans la sécurisation de l'arrivée de ce qu'il nomme «air cargo». Des informations troublantes.

Un flopée d’avocats

La famille Saadi a été indemnisée à hauteur d’environ 2,4 millions d'euros il y a deux ans. Le couple Belhaj a, lui, souhaité poursuivre au civil. Pour ceux qui assurent sa défense, il s'agit d'une des dernières chances d'exposer le rôle des services britanniques dans ces événements.

A la vue des sommes dépensées par les autorités pour empêcher que cela se produise, on se dit que la route est encore longue pour les plaignants. Les chiffres révélés sous le Freedom of Information Act sont éloquents. Le 10 septembre 2015, le gouvernement a dépensé plus de 420 000 euros pour des conseils internes, ainsi que plus de 300 000 en conseils externes. Le tout dans un seul but : empêcher la comparution de Jack Straw et de Mark Allen. Deux ténors du barreau, payés environ 300 euros de l'heure, ainsi qu'une petite armée d'avocats, moins coûteux, ont été engagés à cet effet.

«Le gouvernement a gaspillé plus d'un demi-million de livres venant des contribuables pour défendre le fait que cette affaire de torture ne devrait pas aller jusqu'au procès. Tout cela pour éviter un scandale au MI6 et à la CIA», a affirmé Cori Crider l'un des avocats des plaignants et membre de l'organisation de défense des droits de l'homme Reprive. Il insiste sur le fait que ses clients ne réclament pas de compensations financières mais des «excuses».

Le Parlement va s’emparer du sujet

Une affaire qui implique l'activité d'un gouvernement étranger ne devrait pas être jugée comme n'importe quelle affaire. C'est en substance la base de la défense du gouvernement. La Cour suprême du Royaume-Uni se penche actuellement sur ce point précis.

L'actualité pourrait donner un coup de pouce à Abdel Hakim Belhaj et Fatima Boudchar. Le 29 juin, le Parlement britannique se penchera sur la problématique de la participation des renseignements britanniques à la livraison de prisonniers à l'étranger.

«Le gouvernement devrait utiliser cette semaine de débat comme une opportunité pour enfin faire le ménage à propos de l'implication britannique dans ces enlèvements et ces tortures. Et également pour demander pardon aux victimes de ces honteuses pratiques», a déclaré Cori Crider. Avant de poursuivre : «Dire pardon aux femmes et aux enfants qui ont été kidnappés et violentés par les services secrets britanniques n'est pas la seule chose à faire. Notre pays doit maintenant clore ce sombre chapitre de la “guerre contre la terreur”.»

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