Cameroun: des Français sur les traces du Mokélé-Mbembé

Ce mardi (20 juillet 2016, Ndlr) de printemps, un projet commun les a rassemblés à Strasbourg. Autour de la table d'une brasserie se trouvent Michel Ballot, ex-avocat venu spécialement de la Côte d'Azur, Fabrice Tortey, pharmacien installé en banlieue parisienne, Martin Hoffert, architecte à Colmar, et Pascal Coquis, journaliste aux Dernières nouvelles d'Alsace à Strasbourg. En janvier prochain, avec deux autres compagnons d'aventure, le quatuor doit se retrouver en pleine forêt, aux confins du Cameroun et du Congo.

Un monstre du Loch Ness africain
L'objet de leur périple lointain s'appelle le Mokélé-Mbembé, « celui qui domine la forêt » en lingala, un dialecte bantou. De quoi s'agit-il ? D'une sorte de monstre du Loch Ness africain, de la taille d'un éléphant et à la silhouette de dinosaure avec une corne sur la tête. Son nom est apparu en 1913 sous la plume d'un officier allemand, mais l'éventuelle existence du mystérieux animal a été évoquée dès le XVIIIe siècle par des missionnaires occidentaux.

Comme son cousin écossais, beaucoup en parlent, quelques-uns disent l'avoir vu, mais personne n'a jamais apporté la preuve du sérieux de l'affaire. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. La créature a suscité moult expéditions, même si son habitat supposé se trouve dans une région du monde particulièrement inaccessible et inhospitalière, le bassin du Congo et sa forêt tropicale.

Depuis les années 1970, Américains, Africains, Japonais ou Canadiens s'y sont risqués, parfois avec de très gros moyens. En vain. À son tour, l'écrivain et naturaliste britannique Redmond O'Hanlon s'est aventuré sur les eaux du lac Télé, en République du Congo, que l'on dit fréquentées par le Mokélé-Mbembé. Il en a tiré un livre drolatique, O'Hanlon au Congo. Quelques créationnistes s'en sont également mêlés. Pour eux, dénicher un sauropode ayant traversé les âges reviendrait à remettre en cause la théorie évolutionniste de Darwin. Chou blanc, encore.

Michel Ballot, explorateur contemporain
Aujourd'hui, rien ne prouve que cet animal ne soit pas autre chose qu'un pur fantasme, voire un attrape-nigaud pour Occidentaux, alimenté depuis un siècle par l'imaginaire des Pygmées fréquentant ces forêts denses et marécageuses. « On ne peut pas totalement exclure que le Mokélé-Mbembé n'existe pas, reconnaît Michel Ballot, l'homme qui consacre désormais une partie de sa vie à sa recherche. Mais je crois à son existence, bien sûr ».

Ce quinquagénaire au crâne chauve n'a pas la réputation d'être un de ces chasseurs de dahu au cerveau embrumé par des visions fantasmagoriques. Son intérêt pour le « Mokélé », comme il l'appelle en initié, est né d'échanges épistolaires entamés en 1977 quand il était lycéen avec le zoologue belge Bernard Heuvelmans, considéré comme le fondateur de la cryptozoologie, la « science » des formes animales cachées, dont il a repris les méthodes. Il est désormais père de famille et n'a pas renoncé.

Ces investigations se sont longtemps résumées à un travail documentaire. Au fil du temps, il a accumulé tout ce qui avait pu être écrit à ce sujet. Puis, à compter de 2007, il s'est mis à aller régulièrement sur le terrain, après avoir abandonné sa carrière d'avocat. Il ne compte plus les séjours à l'extrémité sud du Cameroun, le pays de son épouse. « C'est un choix de vie que je ne regrette pas, dit-il. C'est très difficile matériellement, mais je suis satisfait. Au moins, j'essaye de réaliser quelque chose dans ma vie d'homme. C'est presque devenu un métier à plein-temps. »

« Des conditions de vie infernales »
Chaque année, Michel Ballot laisse donc durant plusieurs semaines ses deux fillettes et sa femme à Roquebrune (Alpes-Maritimes) pour aller retrouver les Pygmées Bakas. Il a commencé par recueillir leurs témoignages, de villages en villages. « C'est un travail de fond, explique-t-il. Il a d'abord fallu me faire accepter ». Ces scènes sont visibles dans le délicat documentaire tourné sur ses pas par Marie Voignier en 2010, L'Hypothèse du Mokélé-Mbembé. Il ne trouve rien, ses interlocuteurs lui répondent poliment en l'appelant « patron », mais son obstination et sa patience sont touchantes.

Explorant d'autres secteurs que ses prédécesseurs, le Français avance en pirogue ou à pied, sur des chemins ouverts à coups de machette. Il traque indices et empreintes, dépose des caméras-pièges pour espérer saisir une image, se fait dévorer par les mouches et les abeilles… « Les conditions de vie sont infernales pour un Blanc, constate-t-il. Le pire ennemi, ce sont les insectes. Mais je m'y suis fait, petit à petit. Les Pygmées m'ont appris ce qu'il fallait faire, ou pas. Sans eux, en forêt, vous êtes un homme mort. »

C'est aussi en leur compagnie qu'il a conforté ses convictions sur l'existence de l'objet de sa convoitise. « Il faut faire attention, modère-t-il. Quand un local parle du Mokélé-Mbembé, il peut juste faire référence à un animal qu'il ne connaît pas. Il y a aussi tout un côté mystique et imaginaire, qui fait partie de leur monde. C'est difficile de démêler ce qui relève du rêve et de la réalité. Mais des témoins nous racontent des choses qu'ils ne peuvent pas avoir imaginées. En plus, on retrouve les mêmes descriptions de la part de gens qui n'ont pas été en contact. Les témoignages historiques sont aussi très importants. »

Une zone de recherche grande comme le Luxembourg
En dehors de ces dires, Michel Ballot s'appuie sur la découverte d'empreintes sur un îlot dont il dit qu'elles ne correspondent à aucun pied connu. Mais il ne croit pas à la survivance d'un dinosaure, ni à une confusion avec un quelconque éléphant ou hippopotame. Il imagine qu'un grand mammifère amphibie, « plutôt longiligne avec un long cou », aurait pu trouver un biotope à sa convenance et se maintenir à l'écart des regards dans ce secteur isolé du Cameroun, grand comme le Luxembourg. « En forêt, vous pouvez être à trois mètres d'un animal et ne pas le voir », poursuit-il.

Les questions sur l'absence de dépouilles de la bête ne le déstabilisent pas : « Là-bas, avec la chaleur et l'humidité, tout disparaît très vite. » Longtemps, Michel Ballot est allé sur place tout seul, guidé par des pisteurs locaux et soutenu par un mécène. Il s'entoure désormais d'une petite équipe de compatriotes qui participent au financement de ses expéditions. « Mais j'ai voulu revenir aux valeurs essentielles de l'exploration, avec le moins de moyens technologiques possible et peu de personnes, reprend-il. En forêt, il ne faut pas être bruyant. »

Lui qui ne se dit pas scientifique, juste « explorateur », « naturaliste » et « chercheur de terrain », avoue avoir eu des moments de « découragement ». Il a même failli tout arrêter en 2012, après être salement tombé malade en forêt. « Des personnalités très fortes m'ont aidé à repartir, ce sont mes locomotives », insiste-t-il, justement entouré d'une partie de ce « noyau dur » de passionnés rassemblés ce jour-là à Strasbourg.
Habitué à crapahuter en Afrique, Martin Hoffert en fait partie. « On rentre dans une dimension magique avec les Pygmées, raconte cet architecte alsacien. Quand on est sur place, on est transporté ailleurs. On est tout petit, on est tout seul, il n'y a plus que la nature. C'est paradisiaque. Et on se dit qu'on est peut-être à quelques mètres d'une créature extraordinaire. Depuis mon séjour sur place en janvier dernier, je pense chaque jour à ce qu'on a fait et à ce qu'on va faire. »

À ses côtés, Fabrice Tortey hoche la tête. « Quand on quitte le dernier village, on se retrouve dans la peau d'un explorateur du XVIIIe siècle », dit-il. Lui aussi est prêt à repartir en janvier prochain. À entendre parler les uns et les autres, on n'est pas forcément convaincu qu'ils trouveront un quelconque dragon. Mais on se dit que leur quête, même chimérique, est peut-être plus importante que le Mokélé-Mbembé lui-même.

Du lac Télé aux chutes de Nki
Les recherches de Michel Ballot se concentrent sur la partie sud-est du Cameroun, dans le secteur des chutes de Nki frontalières avec le Congo. Ses prédécesseurs s'étaient plutôt intéressés aux eaux du lac Télé. Située dans le nord-est de la République du Congo, cette vaste pièce d'eau a peut-être été creusée par la chute d'un météorite.
C'est là, dans les années 1950, que des pêcheurs locaux auraient capturé et tué un Mokélé-Mbembé. Avant de le dépecer et de le cuisiner, ce qui expliquerait qu'aucune trace de ce fait d'armes n'ait été conservée…

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