Statue de la honte : Paul Biya ne veut pas être betonnisé de sitôt

Et ceci d’autant plus qu’il aurait été tout aussi étonné que la majorité des camerounais, du fait que les élites du Sud face de l’inauguration de sa statue non sollicitée, un des moments forts du Comice agro-pastoral qui se tiendra du 09 au 14 décembre 2010 à Ebolowa, capitale de sa région natale.

Ce qui au départ se voulait une surprise, soit un cadeau offert au digne fils du Sud par les élites du Sud pour services rendus, a finalement coulé dans les médias et continue d’indigner le public. Certains s’étonnant du lien avec la célébration du monde rural, d’autres du coût exorbitant de cette oeuvre. Qui pourrait dépasser les 100 millions de Francs CFA pour du béton bronzé à l’effigie de Paul Biya dont le dévoilement est prévu lors du rendez-vous agricole d’Ebolowa qui se veut pourtant apolitique.

Cette politisation subite, et à ce moment de l’histoire, d’un évènement jusqu’ici réservé au monde rural, est tellement étrange que dans une entrevue accordée au confrère Le Terroir, le très respecté centenaire papa Nô Manouère Mfouapon Ismaëla, né en 1904, père fondateur du Comice Agropastoral en 1961 à Baham III, regrette la déviation que prend désormais cet événement national du monde agricole. Relégué aux oubliettes jusqu’à cette entrevue, ce pionnier qui a façonné le monde agricole de notre pays soutient que s’il est invité à Ebolowa, «je vais me contenter d’aller voir.  J’estime avoir fait mon temps et en avoir fait assez. Il me plaît de souligner en passant que sur la haute instruction de l’ancien Chef de l’État (Ahmadou Ahidjo : ndlr), tous les Ministres chargés de l’agriculture de son époque m’avaient toujours associé à l’organisation du Comice.  Notre pays, depuis le temps a produit beaucoup d’ingénieurs agronomes qui sont jeunes et efficaces. Il est simplement regrettable qu’ils soient dévoyés ou souvent, abandonnés à eux-mêmes», déplore-il en dénonçant tous ces gâchis. Si une statue devrait être érigée, logiquement c’est à lui que reviendrait le mérite. Mais non! Heureusement, très héroïque, il remercie le Tout-puissant de lui avoir donné la force ainsi qu’une si longue vie.
   
Une statue en moins de 5 mois pour Biya mais rien en retour pour la population du Sud en 28 ans. Le manque dans tous les domaines est tellement évident au point où le quotidien Le Jour annonçait dans une de ses publications que faute d’hôtel, Jules Marcellin Ndjaga, gouverneur de la région du Sud, devrait déménager de sa résidence afin que le chef de l’État y soit logé pendant le comice. L’inauguration de l’hôtel n’étant prévue que quelques mois après le rendez-vous.
Or, si le présent est garant de l’avenir, on peut croire sans risque de se tromper que ces travaux inachevés seront abandonnés après les 5 jours de réjouissances. Et pour preuves, où en est-on avec la suite des travaux du cinquantenaire à Yaoundé? Tout a été laissé au lendemain des festivités.  Pourtant la statue sera prête à temps dit-on. Si on est donc sur et certain qu’elle est l’un de rares projets de ce rendez-vous qui pourra être complété à 100% d’ici le 09 décembre, cette trouvaille des élites du Sud n’est pas de bon goût pour la majorité des camerounais qui s’étonnent de cette façon, non représentative d’une volonté nationale, de remercier le chef de l’état. Il en va de même pour les habitants de la région du Sud, qui soutiendraient n’avoir rien reçu de ses élites durant les 28 ans de pouvoir de Paul Biya qui a toujours nommé une armada de ministres et de directeurs issus de cette partie du Pays.

Paul Biya : Homme discret
Il n’est un secret pour personne que l’homme fort d’Étoudi a toujours préféré rester discret comme il l’a continuellement été depuis ses études collégiales au séminaire. Souvent dit très effacé, il n’apprécie pas du tout qu’on face des gains ou marchande son image et surtout sa personnalité. Se voulant président de tous les Camerounais, il préfère que ses imagines et effigies soient utilisées uniquement dans le cadre des activités de son parti le RDPC. En dehors du parti, il souhaite rester l’homme du rassemblement, et partant, le président de tous les Camerounais.
Or, faire une statue du lui à ce moment ci, qui plus est, dans sa région natale, le relèguerait, quand l’histoire de son règne sera un jour écrite, à celui qui était aimé seulement par les élites originaires de sa région natale. Faux ! Paul Biya le sait très bien. Cette œuvre serait plus politique qu’honnête à l’aurore d’un autre mandat de 7 ans. L’histoire politique d’un homme s’écrit comme on veut l’écrire et dépend énormément de  l’idéologie du successeur. À preuve que connaissent les jeunes des œuvres d’Ahmadou Ahidjo?
Il se pourrait également que très fâché contre les initiateurs de ce projet, il aurait préféré que soit privilégié un bon centre de soin de santé pour remercier les agriculteurs de la région du Sud pour leurs efforts et soutiens à l’économie du Cameroun, ou une grande école d’exploitation minières pour l’Afrique centrale, à la place de ce qui pourrait connaître une durée éphémère et ne servir  pour le reste du temps qu’un lieu de repère pour oiseaux accipitridés aussitôt qu’il ne sera plus au pouvoir. Si entretenir les parcs publics est si difficile, imaginez une statue? Qui plus est dans une ville qui manque souvent d’eau et d’électricité au point où Jules Marcellin Ndjaga, gouverneur de la région du Sud, demande aux établissements de tourisme de la ville, de se doter
de groupes électrogènes et de châteaux d’eau pour faire face aux éventuelles coupures d’énergie et d’eau pendant le comice.
Raison de plus pour que Charles Ateba Eyene, digne fils éclairé du Sud, crie son désaccord à l’érection d’une telle statue, sur laquelle d’après lui, «les populations du Sud pourraient se déchaîner en cas d’échec du comice. Ou alors, tout simplement servir d’urinoir après quelques mois, portant ainsi grandement atteinte à l’image du Président Biya » soutient-il dans une communication titrée : Débat sur le comice agropastoral d’Ebolowa.
 
Une statue pour masquer  30 ans d’échec du développement de la région du Sud Certains faits sociaux, comme les manifestations des jeunes pour la faim de 2008, ou encore celle de jeunes d’Akom 2, comme le rapporte dans un article Aurore Plus du mardi 09 Novembre 2010, sont des signaux avant coureurs d’une contestation à grande échelle qui couve. En effet, le journal de la ville de Douala, rapporte que les jeunes d’Akom 2 se seraient opposés à la tenue des manifestations des activités du 28ième anniversaire du renouveau par les élites du Rdpc dans leur région. Comme le témoigne ce ras-le-bol manifesté par de Samson Ango, président du conseil communal des jeunes d’Akom 2 : « Nous en avons marre » Nous en avons marre. Il n’y a pas de réseau téléphonique à Akom 2, pour être en contact avec le reste du monde. Les routes sont impraticables, il n’y a pas de courant électrique, les commerçants ne peuvent pas conserver des produits frais, il n’ y a pas d’eau potable. Mais tous ces gens, du haut de leur fortune, viennent se moquer de nous chaque année. Nous avons décidé de mener notre action jusqu’au bout, à partir de ce jour de l’anniversaire de Son Excellence Paul Biya. Nous prenons une semaine; il n’ y aura pas de classe à Akom 2 ; aucune boutique ne sera ouverte, zéro marché périodique. Il n’ y aura rien. Même pas un service administratif.”, a-t-il soutenu avec insistance.

Adulés quand ils sont au pouvoir : mais détestés dès leurs chutes Paul Biya sait très bien, que qui conque, ce que devient la gestion des images d’un ex-président dès qu’il n’est plus l’homme fort de son pays, ou bien lorsqu’il est déchu. Et dans ce sens, on pourrait être tous d’accord avec lui sur la pertinence de cette œuvre pour le moins étonnant. Car les images de Saddam Hussein, renversées par les jeunes et traînées dans les rues de Bagdad ou de celles de Nicolas Cescescu en Roumanie à sa chute, ne peuvent laisser insensible aucun homme politique à ce que peut devenir, en un laps de temps, du béton moulé quand on perd le commandement.  Voir sa statue tirée dans la rue par des jeunes en colère et épris de vengeance n’a sans doute pas été apprécié par l’homme Dieu de Bagdad qui se croyait invincible et qui, jusque là se maintenait au pouvoir par la force d’une armée tombée subitement en débandade et incapable, pour une fois, de bastonner ou de tirer à balles réelles sur ces jeunes, devenus des héros d’un jour contre l’homme fort réduit à zéro en un jour. L’avenir étant revenu vraiment aux jeunes comme le martelaient souvent dans leurs discours sans lendemain ces dictateurs déchus.

Plus proche de nous en Afrique, M. Biya doit aussi se demander, comme tous les camerounais, ce que sont devenues de nombreuses statues des pires ennemis du peuple qu’a connus l’Afrique : à savoir d’Eddy Amin, Bokassa, Hissen Habré, voire même du Dieu sur terre Mobutu?  Tous ses tyrans de la pire espèce qui se croyaient les César africains, donc intouchables de leurs vivants, ont vu leurs statues soit s’envolées en éclat dès leurs chutes ou abandonnées et devenues des lieux de repos avec pour seuls visiteurs assidus des oiseaux et quelques reptiles. Ce qui semblait donc, à son initiation, être un hommage, un signe de réussite ou une preuve de la toute puissance de l’homme fort est devenu le temps d’une révolte, un zéro, de regret et de réduction à néant des  figures d’hommes politiques qui ont pour certaines  connues gloires, popularités et désapprobations comme aboutissement de leur règne. Dommage mais c’est souvent ce que l’histoire retient des dictateurs. Et surtout quand ces œuvres hypocrites qu’on leur dédie ne sont pas honnêtes et n’émanent pas d’une volonté nationale.

Lula da Silva, président Brésilien, qui s’en va en janvier prochain après deux mandats n’a pas de statue hypocrite. Pourtant il a placé son pays au rang des grandes nations en seulement 10 ans de pouvoir. Il est fort à parier que ce ne sont pas ces genres d’images que Paul Biya vaudrait que l’histoire retienne de lui. D’autant plus qu’une statue d’un chef d’état ayant fait et qui fera probablement plus de 30 ans de règne sans partage, donnerait des arguments aux médias qui attribueront davantage le qualificatif de dictateur qu’on tend à tors ou à raison à coller à ces hommes qui restent longtemps au pouvoir par des moyens pas toujours démocratiques. Une modification de la Constitution, une statue, le culte de l’homme au point de l’élever au rang de Dieu, étant généralement perçus comme des éléments classiques d’une dictature enracinée.

Statue de l’unité ou de la division?
Cette statue laissera pantois certaines élites. Elle pourrait ravivé de plus belle la rivalité entre élites du Sud et celles du Centre. En fait certaines élites du centre pourraient ne pas apprécier cette initiative solo puisqu’il aurait préféré que le Centre, notamment Yaoundé, soit le lieu de prédilection d’une telle œuvre. La guerre froide que se livreraient les élites de ces deux régions pour le contrôle du parti en sera ainsi extériorisée. Ce combat à distance, comme prétendent certains observateurs et analystes sociopolitiques, se voit non seulement dans le choix des dénonciations dans le cadre de l’opération épervier, mais également au sein même du parti des flammes où une lutte sans merci pour la succession de Paul Biya ferrait rage. Le Centre pensant qu’après Biya se sera son tour. Ce qui ne cesse d’alimenter un possible schisme après le départ du président à vie du RDPC. Division déjà observable lors de certaines activités organisées par le RDPC dans la capitale où on se présence en fonction de son allégeance. Il n’est un secret pour personne que le Centre pencherait pour René Sadi l’actuel secrétaire général du RDPC, alors que le Sud pourrait former un block derrière Mebe Ngo’o, Ministre de la défense, placé déjà, disent certains sur l’autoroute d’une classique succession inspirée du Gabon voisin.

Biya a le choix
Cependant, le comice d’Ebolowa, rencontre la plus attendue de toute l’histoire du Cameroun, 20 ans d’attente, pourrait être un point tournant dans l’histoire da la vie politique de Paul Biya. Va-t-il accepter d’inaugurer ce qu’il sait lui-même que cela pourrait être sans objet dès son retrait de la vie politique?
Va-t-il supporter que les médias étrangers présents à ce rendez-vous agricole parlent de lui comme un dictateur en évoquant le coût de cette oeuvre et en faisant un rapprochement avec celle  de Mobutu, Eddy Amin ou Bokassa? Va-t-il cautionner cette dilapidation de l’argent des donateurs pour du béton bronzé alors que la maison à Ebolawa, monument historique, manquerait 5 millions pour sa réfection?  Va-t-il accepter une statue qui, au lendemain du comice sera livrée à la broussaille et aux intempéries en lieu et place d’une école de référence pour l’avenir des jeunes de la région, ou d’un centre de santé de référence pour les agriculteurs, incapables de payer pour des soins adéquats ou de se déplacer dans la capitale Yaoundé pour se soigner?

Va-t-il enfin accepter d’être hanté par une statue de la honte qui pourrait, qui sait, être traînée dans la rue après sa chute? Espérons qu’il avait appris sa leçon avec le fameux Albatros, qui n’avait eu que le temps de quelques heures de vols au cours desquelles sa famille et lui avaient failli mourir. Même si la sagesse est de mise, ne dit-on pas aussi que la honte ne tue pas? Un vernissage en catimini de cette statue pourrait sauver la face. À lui de décider.
 
Martin Stéphane Fongang Copyright © 2010 www.icicemac.com
 

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