Victoire, incertitudes et espérance

Abraham Lincoln a dit qu’on peut tromper une partie du peuple tout le temps, (et) tout le peuple une partie du temps, (mais) qu’on ne peut tromper tout le peuple tout le temps.

On peut difficilement ne pas rapprocher de cette vérité ce qui vient de se passer en Tunisie. Ce qui incline à penser qu’il s’agit d’une victoire du peuple finalement informé de  l’imposture de son système dirigeant, et révolté à la faveur d’une triste réalité qui s’appelle la famine. Les choses auraient pu se passer ainsi dans une dizaine de pays d’Afrique noire en 2008, si leurs peuples avaient atteint le niveau de maturité politique qui permet de transformer une « émeute de la faim » en une révolution populaire. Avec la montée vertigineuse, généralisée et incontrôlée des prix qui sévit actuellement sur les marchés des mêmes pays, on ne peut jurer que le spectre de la révolte s’en éloigne. Avis donc à tous les Délégués du gouvernement dont la répression des « sauveteurs » est devenue la première donnée de la conscience.

L’infortune de Ben Ali a commencé par l’auto-immolation, le 17 décembre dernier, d’un vendeur à l’étal dont la police avait détruit la marchandise d’où il tirait sa subsistance. De proche en proche, tous les jeunes, et tous les pauvres dont le sort était proche du sien, puis les travailleurs pour qui le coût de la vie était devenu trop élevé pour leur salaire de misère, suivis des syndicats, etc. ont occupé la rue malgré la répression brutale des « forces de l’ordre », contraignant le Chef de l’Etat à s’enfuir au bout d’un mois, après que le peuple ait considéré comme « sans objet » ses promesses de changer de gouvernement, d’anticiper les élections, et de ne pas  briguer un nouveau mandat. A l’occasion, il a confessé qu’il avait été trompé par son entourage, sans doute parce qu’il n’avait plus le temps de vérifier s’il n’y avait pas « d’apprentis sorciers » derrière les manifestants  Et ce n’est pas la dernière fois qu’un peuple entendra pareille confession en Afrique, de la bouche d’un Chef qui sera pris en flagrant délit de longévité immobile au pouvoir. Avis donc à ceux qui rusent pour être dits « élu à 99,99% » par des électeurs qui sont absents dans les urnes, et qui jouissent ensuite du pouvoir comme si le peuple était le cadet de leurs soucis, en s’inquiétant uniquement de ce que la « Communauté internationale », le Fmi ou la Banque mondiale pensent d’eux. Quand un Chef oublie trop longtemps que l’origine de sa légitimité est la souveraineté de son peuple, il devient légitime pour ce peuple de s’en séparer par tout moyen semblable à de la légitime défense.

Le problème, c’est ce qu’il faut faire du pouvoir après en avoir chassé « le dictateur ». Et là, malgré le bon fonctionnement des institutions tunisiennes qui ont permis au pays d’avoir trois présidents en 48 heures, sans coup d’Etat militaire, la nation tunisienne se trouve dans les incertitudes d’une transition menacée par des nostalgiques de Ben Ali, qui tuent et pillent à travers le pays, comme s’ils voulaient confisquer la révolution pour y substituer le terrorisme. Et le responsable de ce risque énorme, c’est encore M. Ben Ali qui laisse derrière lui un pays politiquement déstructuré, et une opposition si symbolique qu’elle ne peut même pas encadrer cette juste révolution de la rue, sans composer avec les héritiers du fuyard. Nous autres Camerounais savons ce que peut produire un cocktail « d’hommes nouveaux et d’hommes de renouveau ».

En perspective, on peut d’abord se réjouir que l’Armée ne se soit pas emparée du pouvoir, et qu’elle s’efforce seulement de ramener le calme dans le pays. Encore qu’elle a bien du mal à le faire, et que le peuple est obligé de s’organiser en groupes d’autodéfense. La bonne espérance dans la situation serait que le premier ministre qui a été reconduit par le Président de la République par intérim, ait assez d’équation personnelle pour se distancer d’une politique partisane, afin de réunir dans un gouvernement de consensus, des personnalités assez représentatives pour créer les conditions d’une alternance démocratique permettant le renouvellement du personnel politique, mais empêchant aussi que le pays se divise en deux blocs de « tout gagnants » net de « tout perdants », ou d’islamistes et de non islamistes. Pour cela, il n’est pas certain que soient suffisants les six mois dont dispose le Président de l’Assemblée nationale de par une Constitution dont l’impact est trop mécanique par rapport aux circonstances qu’impose la réalité sociopolitique créée par le règne du Président sortant. Bonne chance tout de même au courageux peuple tunisien.

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