La Françafrique en marche: Quand régnait l’aujoulatisme

S’il y a un homme que Alexandre Biyidi Awala, alias Mongo Beti, a le plus détesté et combattu sa vie durant, c’est bien Louis Paul Aujoulat.  Mongo Beti lui en voulait surtout pour son action à l’émergence d’une élite politique post coloniale, qui n’avait conscience des enjeux et de la libération du Cameroun du joug colonial, et du progrès véritablement indépendant de ce pays. Dans un formidable article, publié par Le Messager le 13 août 1992, l’auteur du vibrant ouvrage « Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobé » écrit :

« Le Dr Aujoulat a incarné à la perfection le refus opposé avec une obstination criminelle par la France à tout dialogue avec l’UPC. Il est vrai que c’est la tradition de la France de ne jamais négocier avec les mouvements indépendantistes dans ses colonies, ainsi qu’en témoigne une histoire constante de Saint-Domingue en 1791 au Cameroun d’aujourd’hui, en passant par la Syrie , l’Indochine, l’Algérie. Ce sectarisme a conduit à chaque fois à une guerre de libération longue et sanglante. Le Dr Aujoulat le premier a appliqué cette stratégie au Cameroun, et, de plus, avec un fanatisme et un savoir-faire dont atteste aujourd’hui encore,  malgré les nombreuses décennies écoulées, la totale monopolisation du pouvoir réel au Cameroun par ses héritiers ou ses disciples. »

L’Aujoulatisme était donc cette pratique initiée par l’ancien secrétaire d’Etat à la France d’outre-mer, et qui consistait à parrainer des élites politiques fantoches qui s’opposent aux nationalistes, à leur esprit et à leurs idées. Louis Paul Aujoulat détestait à mort Ruben Um Nyobe et tous ses camarades de l’Upc qui réclamaient l’indépendance véritable du Cameroun. C’était le partisan du Cameroun qui devait rester sous la tutelle de la France quand bien le pays avait accédé à la souveraineté internationale. Pour ce politicien français, qui semblait n’avoir des Noirs qu’un mépris raciste, les dirigeants du Cameroun indépendant devaient rester sous les aisselles de la mère patrie, la France , de manière à garantir ses intérêts. C’est ainsi que sous le parrainage de ce médecin français,  qui fonda au Cameroun la fondation médicale Ad Lucem, reconnu plus tard d’utilité publique, est né des hommes politiques de l’acabit de André Marie Mbida, Ahmadou Ahidjo, et tous ces « mécréants politiques », (pour utiliser une expression chère au feu père Engelbert Mveng), qui ont gouverné le Cameroun les 25 premières années après l’indépendance du Cameroun. On les appelait alors les Aujoulatistes, c’est-à-dire des hommes politiques partisans du parrainage permanent de la France sur le Cameroun et qui se sont compromis par rapport à la lutte des nationalistes camerounais. Ils reproduisent les mêmes oppressions sur le petit peuple, développe la corruption et la violence d’Etat sur les citoyens, et s’opposent avec la violence la plus abjecte à toute souveraineté réelle de notre pays par rapport à l’ancienne puissance coloniale. La plupart des historiens contemporains sont formels : ce sont les Aujoulatistes qui ont introduit au Cameroun les sectes aux relents diaboliques telles que la franc-maçonnerie, la rose croix et autres. E. R., étudiant camerounais, doctorant en histoire dans une université française explique : « Le Dr Aujoulat était réputé franc-maçon, avec tout ce qu’il y a comme pratiques ésotériques. Il se dit même qu’il affectionnait les pratiques homosexuelles. Il s’en serait livré avec certaines élites proches du pouvoir à l’aube de l’indépendance.  Paraît-il , c’était pour eux le passage inévitable pour avoir une promotion au sein de la haute administration du Cameroun indépendant. Il voulait en cela montrer à tous qu’il  dominait toute l’élite au pouvoir de 1950 jusqu’au début des années 60. Cela s’appelait l’Initiation Aujoulatiste. Une fois ainsi initiée, la jeune élite pouvait alors être recommandée pour entrer dans le sérail politique camerounais. »

De toute les façons, Mongo Beti appelle cela « La malédiction Aujoulatiste ». Il s’agit « d’une spirale tragique » (l’expression est toujours de Mongo Beti) dans laquelle la France nous a précipitée et voudrait en sorte que les élites du Cameroun se retrouve en déphasage avec la mémoire historique de leur pays, et davantage le combat  que les nationalistes ont mené au prix de leur vie avec du sang abondamment versé sur cette terre bénie de Dieu appelé Cameroun. Sous la houlette de l’Aujoulatisme, le peuple du Cameroun se retrouve donc dirigé depuis 50 ans par des hommes qui se caractérisent par leur soumission et allégeance constantes et quasi permanentes vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. D’où la colère de Mongo Beti qui, du vivant du Dr Louis Paul Aujoulat, n’hésitait pas de lui envoyer tous les 13 septembre, date anniversaire de l’assassinat de Ruben Um Nyobe, une mettre ouverte de protestation pour sa contribution morbide à l’éclosion d’une élite politique fantoche au Cameroun.

Aujourd’hui encore, l’esprit Aujoulatiste semble loin de s’être estompé au sein de la classe politique. Il n’y a qu’à voir comment nos dirigeants ont tous le regard tourné vers l’ancienne puissance coloniale lorsqu’il faut prendre une position sur des questions majeures de politique internationale qui divisent. E.R, notre doctorant en histoire explique : «Vous constaterez que depuis l’indépendance grâce à ces réseaux d’influence tissés par les dirigeants français, les dirigeants camerounais se réfèrent toujours à l’Elysée avant de prendre la moindre position. L’instauration des sommets France-Afrique, puis Afrique-France se situaient dans cette logique. La France a toujours traité avec les dirigeants camerounais au mépris du petit peuple. Le dirigeant camerounais qui osera prendre son courage à deux mains pour s’opposer aux intérêts de France, que ce soit sur le plan politique ou économique sait très bien qu’il risque d’être déstabilisé. Plus grave encore, l’homme politique camerounais qui osera faire dire et revisiter l’histoire du Cameroun notamment sur les aspects de la lutte de libération initié par les nationalistes  sait très bien qu’il n’aura jamais le soutien de la France  ».

 Au final l’espoir réside peut être dans ces propos de Mongo Beti dans une « Lettre ouverte à ceux  qui n’ont rien compris  à L’Afrique » publiée  dans Jeune Afrique Economie n°168 en juin 1993 : « Les populations n’attendent pas qu’on viennent les prendre en main. Ce qui leur manque, c’est la possibilité d’utiliser leur initiative. Les systèmes politiques africains sont oppressifs, on ne le dira jamais assez. En Afrique, les systèmes politiques sont des dictatures. Le Cameroun est un Etat despotique, même si le parti unique a été officiellement supprimé. Les dirigeants ont pour mission de suivre une certaine ligne, puisqu’ils ont été mis là par le Nord. » On cherche à croire le contraire. Mais en vain.

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