Cameroun- Délit de nationalisme : André Blaise Essama de nouveau arrêté à Douala

 
Depuis quelques mois, on se demandait déjà si les prisons, commissariats et brigades de gendarmerie du Cameroun avaient fini par convenir d’une sorte de paix de brave avec l’activiste et nationaliste André Blaise Essama. On est fixé depuis mardi avec sa énième arrestation par les éléments de la Brigade de la Gendarmerie d’Akwa Sud à Douala, sur ordre du super maire -non élu mais nommé par décret présidentiel- de la capitale économique camerounaise, Fritz Ntone Ntone.

Comme à chaque fois, le dernier crime lui ayant valu son arrestation se résume à son grand  intérêt pour les grandes figures du nationalisme camerounais qu’il voudrait mettre en avant, contrairement aux autorités camerounaises plus enclines depuis la nuit des temps à promouvoir la mémoire du colonialisme français, quoiqu’elles aient coutume de redevenir nationalistes à chaque fois qu’un plénipotentiaire français, américain ou britannique, ou des organisations non gouvernementales étrangères osent un avis sur les violations des droits de l’homme, la corruption systémique au Cameroun, ou les tripatouillages électoraux au profit d’un président de la République qui totalise déjà 35 au pouvoir et ne fait pas mieux qu’en redemander.

Mardi, en effet, le délégué du gouvernement auprès de la Communauté Urbaine de Douala (CUD) procédait à l’érection d’une sculpture de la vidéaste et plasticienne française Sylvie Blocher, au très fréquenté carrefour dit Mobil Bonakouanmouang.

Certes Sylvie Blocher est une artiste appréciée de par le monde pour sa sollicitude envers les opprimés et les laissés pour compte, mais le lieu choisi pour ériger son mémoire en demande de pardon avait de quoi susciter la curiosité du panafricaniste André Blaise Essama qui a déjà fait de nombreux allers et retours entre la prison et le monde dit libre, pour avoir détruit des statues et autres monuments à la gloire des colons français qui trônent parfois jusqu’au cœur du quartier administratif de la capitale économique, Bonanjo, et surtout pour avoir exigé que des monuments soient érigés en reconnaissance des martyrs du nationalisme camerounais, qui sont allés jusqu’à donner leur vie entre les années 1940 et 1960 pour arracher le Cameroun entre les mains d’une France qui se l’était accaparé et s’y incrustait au prix des centaines de milliers de vies des “indigènes”.

Récemment, le combat de André Blaise Essama était focalisé sur l’érection d’un monument en hommage au Mpodol(1) Ruben Um Nyobe, véritable père de l’indépendance du pays, tué le 13 septembre 1958 par des supplétifs tchadiens des forces coloniales françaises.

Monsieur Essama n’a jamais compris qu’après avoir été réhabilité par la loi n° 91/022 du 16 décembre 1991 pour avoir “œuvré pour la naissance du sentiment national, l’indépendance ou la construction du pays, le rayonnement de son histoire ou de sa culture”, cette figure de proue de la lutte pour l’indépendance du Cameroun qu’est Um Nyobe, n’ait même pas un monument à lui dédié, alors que dans la ville de Douala où il lança son combat, fleurissent des monuments qui rappellent sans cesse aux citoyens le passé glorieux des bourreaux français du nationalisme camerounais.

C’est dans cet ordre d’idée qu’en 2014, André Blaise Essama, à travers l’Association Amisha Arts, avait fait concevoir un monument représentant Um Nyobe à Douala. Ledit monument fut même dévoilé mais ne fut jamais érigé, les autorités de la ville ayant tout fait pour l’en empêcher.

Le 10 juillet cependant, la Communauté urbaine de Douala faisant mine de revenir à de meilleurs sentiments, lançait “un avis d’appel d’offres national ouvert en procédure d’urgence” -dont Cameroonvoice avait fait écho en son temps, pour les travaux d’aménagement de l’esplanade Um Nyobe devant abriter le monument dédié au leader nationaliste camerounais. L’ouvrage doit être réalisé au lieu-dit Mobil “Njo-Njo” dans l’arrondissement  de Douala 1er.

L’initiative du délégué du gouvernement Fritz Ntone Ntone qui laissait  alors entendre que  ce projet a été pensé dans le but d’ « honorer la mémoire de nos héros nationaux » fut bien sûr marqué du sceau du mépris dont ont toujours fait montre les suppléants néocoloniaux qui dirigent le pays depuis l’avènement de celui-ci à un semblant d’indépendance en 1960 vis-à-vis des nationalistes camerounais.  

Mariane Simon-Ekane, militante du Manidem, parti  se réclamant de Um Nyobe piqua par exemple une grosse colère en apprenant le nom de l’endroit où allait être érigé la statue du Mpodol :  « Ah! Ces Kamerunais….Il leur en faut si peu !!! Peuple sans ambitions ou  déficit de culture politique ??? Aller mettre le monument de Um Nyobe dans une sombre rue du quartier Nkongmondo, pour bien sûr l’assimiler aux “bassas”, alors que UM NYOBE fait partie de l’Histoire de TOUS les Kamerunais, et laisser Philippe de Hauteclocque alias Leclerc TRÔNER, tel un roi, à la place du gouverneur à Bonadjo, N’EST ET NE SAURAIT ÊTRE POUR MOI UNE VICTOIRE. Bien sûr, pour les victimes “simplets”, à force d’avoir été trop longtemps privés de quelque chose, ils s’en contenteront, pas les révolutionnaires. Um Nyobe, Ernest Ouandié, Félix Moumié…et tous les autres Héros nationalistes Kamerunais trôneront dans toutes les grandes places des villes du Kamerun, comme le sont pratiquement tous les Grands Hommes dans leur pays », fit-elle remarquer à travers des posts sur les réseaux sociaux.

Le 13 juillet 2017, soit trois jours après l’avis d’appel d’offre de la CUD, André Blaise Essama, pour manifester sa colère contre cette banalisation des figures du nationalisme camerounais, s’en fut de nouveau s’attaquer au monument du Général Leclerc en guise de contribution personnelle à la disparition des symboles de la colonisation dans  les villes du Cameroun. Il fut interpellé ce jour-même par des éléments de la Direction de la Surveillance du Territoire (ST) 

 

Des mois sont passés depuis, et personne ne sait plus ce qu’il en est du projet d’aménagement de la  place Um Nyobe piloté par la CUD. Pis encore, alors que les citoyens de Douala attendent même ce peu pour s’en contenter, on leur érige en lieu et place, et à un carrefour des plus populeux des plus fréquentés et d’une visibilité sans pareille (où la police empêcha violemment André Blaise Essama, il y a un an, d’ériger une statue de feu John Ngu Foncha -ancien Premier ministre du Cameroun anglohone, artisan incontestable de la Réunification des ex-Cameroun oriental et occidental en 1961, puis ancien vice-président du Cameroun fédéral-), une sculpture qui certes n’avait pas l’allure provocatrice –puisque déclinant le mea-culpa d’une française  pour les crimes commis au Cameroun par les dirigeants de son pays-.

En citoyen digne, André Blaise Essama s’est approché du délégué du gouvernement pour savoir de quoi retournait ce pied de nez à la conscience nationale. La réponse, on la  connait : le délégué du gouvernement, fort de sa puissance, n’a fait ni un, ni deux, et a simplement demandé braves gendarmes présents sur les lieux, de se saisir de l’impertinent perturbateur.

Et cette séquestration de plus dure depuis 48 heures déjà
 

Comme quoi, en ce qui concerne André Blaise Essama, les autorités camerounaises qui ne sont ni obligées de partager sa façon d’exprimer sa colère ni de l’arrêter pour cela, sont déterminés à réécrire en plus surréaliste, une fresque du célèbre roman « prisoner without a crime » de Albert Mukong.

A moins que Essama, lui, soit coupable de nationalisme.

(1) porte la parole des siens, en langue bassa du Cameroun

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