La France veut faire exploiter la forêt du Congo

 
L'Agence française de développement soutient la levée à terme du moratoire sur l'exploitation de la forêt de la République démocratique du Congo, même si elle s'en défend publiquement.

Ce programme pourrait être responsable de l'émission d'au moins 610 millions de tonnes de CO2, selon des ONG. Soit autant que l'aviation internationale en 2015. Et un cheval de bataille de plus : en 2018, la France prend la présidence de l'Initiative pour la forêt en Afrique centrale (CAFI), un partenariat entre États bailleurs et pays du bassin du Congo. En principe, l'objectif est de préserver cette immense étendue forestière, la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l'Amazonie. C'est bon pour le climat car les arbres et leur écosystème capturent des millions de tonnes de CO2. Et c'est un mode d'action contre la pauvreté qui préserve les réserves vivrières et les lieux de vie de leurs habitant·e·s, dont certain·e·s appartiennent aux peuples autochtones pygmée et bantou. Le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, le Congo et la RDC participent à l'initiative.

À Bonn, lors de la récente COP23, Nicolas Hulot a reçu le passage de témoin de son homologue de Norvège, qui assure la présidence sortante. Un événement s'est tenu au pavillon français. Le ministre s'y est déclaré « fier de ce partenariat qui nous donne les moyens d'être, ensemble, les gardiens de la forêt ».

Sur ce dossier, l'Agence française de développement (AFD), principal organe public français d'aide aux pays pauvres, est en première ligne. Selon les informations de Mediapart, la direction Transition écologique et ressources naturelles de l'agence soumettra début 2018, pour la troisième et dernière fois, une proposition de programme de bonne gouvernance forestière en RDC. Le document doit être soumis aux instances dirigeantes de l'AFD, puis au comité congolais en charge d’examiner les projets financés par la CAFI, en vue de sa mise en œuvre. Ce projet doit financer le renforcement des capacités des autorités locales, ainsi que des expérimentations, notamment des plans de gestion des forêts communautaires et communales et l’expansion d’exploitation sous concessions dites industrielles.

Jean-Luc François, le directeur de l'AFD chargé du programme, explique que « l'objectif est la réduction des émissions de gaz à effet de serre de la déforestation due à l'exploitation des bois » et « qu'en pratique, on attend de ce projet une meilleure protection des tourbières, une réduction des émissions liées à la déforestation dans les zones de développement rural, à l'exploitation artisanale, ainsi que dans les grandes concessions qui opèrent aujourd'hui sans plan d'aménagement forestier ».

Mais une coalition d'ONG internationales, parmi lesquelles Global Witness et Greenpeace, craint au contraire que le projet n'encourage l'exploitation industrielle des parcelles forestières. La RDC a décrété un moratoire sur l'allocation de nouvelles concessions forestières industrielles en 2002. Son objectif était de contenir une industrie qui présentait des risques au sortir de la guerre civile, et de permettre l'essor d'une gestion forestière durable, capable de créer des emplois et de générer des recettes fiscales. Depuis, il a été régulièrement violé, l’administration accordant de nouvelles concessions.

En novembre, le ministère de l'environnement et du développement durable de RDC a diffusé un document étudiant les conditions d'une levée du moratoire sur l'attribution de nouvelles concessions forestières. Il a aussi organisé un atelier de « lancement solennel » et de discussion à ce sujet à Kinshasa. Depuis deux ans, le gouvernement congolais a initié un processus de discussion allant dans ce sens. « Dans ce contexte, les efforts fournis par la communauté internationale visant à l'amélioration de la gouvernance forestière en RDC, à travers la collaboration et le financement du gouvernement congolais pour protéger ses forêts et ses tourbières, seraient discrédités », écrivent les associations dans un communiqué diffusé lors de la COP23. La CAFI a fait connaître son désaccord avec Kinshasa, mais le sujet est dans l'air.

À tel point qu'il est repris et appuyé par la France à travers l'AFD, même s'il faut fouiller dans ses documents de travail pour en prendre toute la mesure. Mediapart a pu lire la proposition que la banque française de développement a déposée auprès du comité technique du FONAREDD, l'organisme chargé du suivi financier des stratégies de réduction des gaz à effet de serre liés à la déforestation, en RDC. Ce dispositif provient du mécanisme REDD+, créé au sein de l'ONU pour que des pays riches versent des compensations financières aux pays en développement en échange de la préservation de leur forêt. Dans cet épais document, l'AFD décrit sa proposition de « programme de gestion durable des forêts » pour quatre ans. Le montant total du programme s'élève à 18 millions de dollars. L'AFD s'engage à fournir 5 millions d'euros. C'est la deuxième version, datée de juin 2017, d'un projet déjà présenté quelques mois plus tôt – voir à ce sujet cet article du Monde –, qui avait suscité la levée de boucliers d'associations locales et d'ONG de défense de l'environnement.
 
Parmi les cinq objectifs mis en avant, l'AFD propose d'« appuyer l'exploitation industrielle légale des trois anciennes provinces forestières : Bandundu, Équateur et Orientale ». Selon l'agence française, « le secteur forestier offre de réelles opportunités de développement pour le pays ». Dans ce but, son programme « visera une amélioration des modalités de prélèvement des produits ligneux (bois d'œuvre et bois énergie) dans les forêts naturelles ». Le programme est pourtant présenté comme un outil de préservation de la forêt du bassin.

Jade Lindgaard, Mediapart

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