Cameroun- Plan d’urgence humanitaire en trompe-l’oeil à 13 milliards: La dernière mauvaise solution à la crise anglophone


Réfugiés camerounais anglophone dans un camp du HCR au Nigeria en 2017

Officiellement annoncé  le 20 juin  par le Premier ministre camerounais Philemon Yang, le soi-disant plan  d’urgence humanitaire  en faveur des victimes de la crise anglophone pourrait en réalité se révéler n’être qu’une grosse escroquerie d’un régime machiavélique,  pas toujours résolu à trouver une véritable solution au soulèvement   voulu,  créé et  bien entretenu par lui  de la minorité anglophone.

Mercredi, le gouvernement camerounais, par la voix de son chef, le Premier ministre Philemon Yang, a dévoilé un plan d’urgence humanitaire qui sera financé à  hauteur de 12,7 milliards de francs CFA, en faveur des réfugiés et déplacés de la crise anglophone dont la situation faisait partie des préoccupations relevées lors de la mission d’écoute effectuée à Bamenda (chef-lieu de la région du Nord-ouest) fin mai dernier  par la  Commission nationale pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme (CNPBM).
Les près de 13 milliards devront servir dans les domaines d’intervention identifiés comme axes prioritaires de mise en œuvre dudit “Plan d’urgence” : la protection des personnes déplacées ; la fourniture des denrées alimentaires et des produits de première nécessité ; les soins de santé ; l’éducation ; la reprise des activités économiques, notamment agricoles ; le logement et la reconstitution des documents d’état-civil et les pièces administratives individuelles.

Mais à lire entre les lignes les termes de l’annonce de cette mesure qui est en fait le résultat des pressions intenses mises sur le gouvernement par la communauté internationale et les organisations de défense des droits de l’homme à l’instar de Amnesty International, on peut douter de la volonté du gouvernement de dépasser le stade de la simple annonce pour poser des actes concrets d’apaisement.


Philemon Yang et son gouvernement annonçant à la presse le Plan d’urgence

D’abord, le gouvernement commence par nier entièrement sa responsabilité dans la crise dont il est en réalité le premier responsable pour avoir opté de mâter dans le sang et à travers des arrestations injustifiées les revendications des anglophones qui n’étaient au début que d’ordre professionnel, les poussant alors à remettre au goût du jour leur volonté de vivre dans un Etat propre à eux, pour ainsi rompre le neoud gordien de la marginalisation, du mépris et du musèlement.

On peut ainsi lire, du point de vue du gouvernement qui a étalé sa perception  (avec des œillères) de la crise actuelle dans un document intitulé « POINTS SAILLANTS DU PLAN D’ASSISTANCE HUMANITAIRE D’URGENCE POUR LES RÉGIONS DU NORD-OUEST ET DU SUD-OUEST » que :
–     Des individus mal intentionnés ont transformé des revendications légitimes en prétexte pour causer la terreur dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.
–     Les actes de terrorisme ont principalement ciblé le système scolaire, le tissu économique, les forces de maintien de l’ordre, l’administration et les autorités traditionnelles.
–     Les actes de terreur ont abouti à un bilan particulièrement lourd du côté des forces de défense et de sécurité, 84 décès sont enregistrés à ce jour.
–     Le chef de l’Etat s’emploie à restaurer la paix et la sécurité dans les deux régions, dans le respect des lois et règlements de la République.
–     La terreur entretenue par les bandes armées a conduit à des déplacements de populations à l’intérieur du territoire national et vers un pays voisin et ami.
–     Sous l’autorité du président de la République, le gouvernement a commencé à apporter une réponse àla problématique des personnes déplacées internes (PDI), et souhaite accroître les mesures de soutien, avec la collaboration de ses partenaires et l’ensemble des bonnes volontés.


Violences en zones anglophones. C’est le cycle infernal depuis le début de la crise en novembre 2016

Autant de grossiers mensonges qui ne sont pas pour arranger les choses pour de nombreuses raisons quand on sait que les revendications que le gouvernement qualifie aujourd’hui de “légitimes” avaient débouché sur le passage à tabac des avocats des enseignants et des étudiants, le meurtre par les forces de l’ordre de certains “revendicateurs légitimes”, l’arrestation de leurs meneurs dont certain ont séjourné au moins 8 mois au tristement célèbre bagne de Kondengui à Yaoundé dans la zone francophone),  très loin de leurs régions de résidence où il y a pourtant de nombreuses juridictions et prisons, ce qui avait donné l’impression qu’ils étaient emmenés en déportation. Certains d’entre eux ne furent libérés qu’à la veille de la rentrée scolaire 2017-2018, à la suite d’un décret présidentiel, le chef de l’Etat espérant ainsi se servir de cet acte de magnanimité comme un gage de bonne volonté pouvant permettre au gouvernement de casser le mot d’ordre de boycott des activités  scolaires et économiques qui prévalait dans les régions anglophones du fait justement de ces arrestations, et beaucoup –dont certains ont été dernièrement condamnés à de lourdes peines de prison –entre 10 et 15 ans- furent maintenus en détention.

On fera abstraction du fait que malgré les accusations itératives du gouvernement contre les activistes anglophones, de nombreux indices ont démontré en leur temps que les actes de terrorisme visant le système scolaire et le tissu économique étaient à imputer aux forces gouvernementales qui pourraient s’en être servis comme prétexte à l’intensification de la répression, de même que l’on ne reviendra pas sur le caractère compréhensible –justifiable ou non- des répliques des groupes armés anglophones qui ne pouvaient continuer d’assister impuissants aux massacres des leurs, mais on ne manquera pas de relever que le chef de l’Etat camerounais qui a succombé très facilement à la tentation de la pacification par la force suggérée par les personnes qu’il avaient soi-disant missionnées dans les régions anglophones pour jouer les médiateurs, mais qui se contentaient de n’y rencontrer que leurs acolytes d’autorités traditionnelles et administratives, ainsi que les militants du parti au pouvoir pour qui tout va toujours bien dans le meilleur des mondes, au lieu de prendre langue avec les contestataires –quant à eux traqués, torturés et/ou  tués sans autre forme de procès- n’a rien fait dans le sens de « restaurer la paix et la sécurité dans les deux régions, dans le respect des lois et règlements de la République » comme le prétend le Premier ministre. Pis encore, la généralisation de la traque des contestataires, insurgés et autres sécessionnistes aux personnes civiles à travers des tueries massives et l’incendie des habitations et très souvent de villages entiers, faute pour l’armée de pouvoir identifier leurs ennemis avec exactitude ou de leur mettre la main dessus, est ce qui a justement poussé près de 60.000 anglophones à prendre le chemin de l’exil pour le Nigeria voisin et plus de 160.000 autres à quitter leurs localités de résidence pour se réfugier dans d’autres villes des régions francophones du Cameroun.

Comme on peut le voir, face à un problème donné, le gouvernement   s’obstine volontairement à trouver de mauvaises solutions, ce qui n’aboutira qu’à de mauvais résultats. Et il voudrait en effet donner le sentiment qu’il n’est nullement préoccupé par la résolution du problème anglophone, qu’il ne s’y serait pas pris autrement qu’en nommant à la présidence du Comité chargé de piloter le plan d’urgence humanitaire un certain Atanga Nji que la chronique locale désigne comme un de ceux qui ont intérêt à ce que la crise pourrisse le plus longtemps possible.

Et comme si cela ne suffisait pas, la collecte du budget prévisionnel du Plan d’urgence humanitaire semble reposer sur une hypothétique solidarité nationale : « L’appel à la solidarité et la générosité pour le financement dudit Plan s’inscrit en droite ligne des actions gouvernementales antérieures, comme ce fut déjà le cas avec la crise humanitaire découlant du terrorisme de Boko Haram », écrivent ses concepteurs gouvernementaux qui semblent se fiche carrément de la gueule des Camerounais.

Comment, grands dieux, un gouvernement qui a dépensé des dizaines de milliards pour acheter des munitions afin de faire la guerre à ses propres compatriotes alors qu’il avait la possibilité de faire l’économie de cette guerre sale et injustifiée –fut-ce en achetant les esprits des contestataires comme il en a l’habitude en d’autres occurrences-, qui a gaspillé d’autres centaines de millions en inutiles missions de conviction des Camerounais de la diaspora et autres vraies-fausses concertations avec de vrais-faux interlocuteurs (à l’exception de la dernière mission d’écoute du CNPBM qui a eu l’air de prendre enfin au sérieux la crise dite anglophone, peut-il aujourd’hui en appeler aux bonnes volontés pour financer la réparation des dégâts qu’il a causés ?

Et puis, si en tenant compte des détournements qui ont émaillé la contribution des Camerounais à l’effort de guerre contre les terroristes de Boko Haram qui est une guerre tout à fait justifiée et à laquelle souscrit le Cameroun  tout entier, personne ne consentait à apporter le moindre centime, faudrait-il alors penser que le plan d’urgence devrait être relégué aux calendes grecques ? C’est la question qui parcourt les lèvres depuis l’évocation des moyens de réalisation y afférents. Une question qui traduit aussi l’appréhension des Camerounais que cet argent qu’on leur demande de collecter “solidairement” servira à autre chose qu’à ce à quoi il est officiellement destiné. Le financement de la campagne électorale de Paul Biya par exemple.

En fait même en ne tenant pas compte des mises à jour statistiques, le nombre des Camerounais déplacés suite à la crise anglophone et donc dans le besoin d’une assistance humanitaire était estimé début mai à quelques 220.000 individus, dont 60.000 refugiés au Nigeria. Or le ministre de l’Administration Territoriale et président du Comité de Pilotage du Plan d’Urgence Humanitaire affirme quant à lui que les Camerounais qui ont été contraints de trouver refuge au Nigéria voisin seront pris en compte : «Tous ces volets sont pris en compte dans le Plan qui a été minutieusement préparé. C’est pourquoi il y a un volet humanitaire. Cela veut dire que même ceux qui se retrouvent par exemple à l’étranger seront pris en compte. D’où l’implication de plusieurs départements ministériels qui vont travailler en synergie sous la coordination de Monsieur le Premier ministre. Ce Plan décidé par le chef de l’Etat est un grand geste de portée nationale et internationale».

Comment 12,7 milliards de francs peuvent-ils suffire à prendre en charge 220.000 personnes dont les habitations ont été incendiées pour la plupart, les champs et cultures détruits par l’armée, et ensuite servir à réhabiliter les infrastructures scolaires et sanitaires, reconstruire les logements détruits et  favoriser la reprise de l’activité économique, quand on sait que même si cet argent n’était que simplement réparti aux personnes nécessitant une assistance humanitaire chaque personne ne se retrouverait qu’avec  environ 58.000 francs CFA ?

Une véritable insulte !

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