La chronique préélectorale au Cameroun est marquée ces 48 dernières heures par un chassé-croisé de ralliements notables : Christian Penda Ekoka qui passe à l’opposition, et Jean-Jacques Ekindi qui revient dans le giron d’un régime envers lequel il manifestait une vive opposition depuis son départ du Rdpc en 1991.
Pour ainsi dire les deux natifs de Douala viennent d’effectuer sans l’avoir prémédité, une sorte de permutation : il y a, d’une part, Christian Penda Ekoka, économiste et conseiller technique du président sortant et candidat à l’élection présidentielle, Paul Biya, qui, déjouant les prédictions d’un certain Mathias Owona Nguini, polémiste haineux et anti-Maurice Kamto notoire récemment improvisé spécialiste de l’art divinatoire, l’annonçait il y a quelques temps chez Akere Muna,
a annoncé mercredi son ralliement à l’un des candidats les plus sérieux de l’opposition contre l’actuel locataire du Palais de l’Unité, le Pr. Maurice Kamto du MRC.
De l’autre, Jean-Jacques Ekindi. Cet opposant parmi les plus virulents au régime Biya, qui après avoir développé pendant plus de 25 ans de nombreuses théories à même de permettre de venir à bout d’un régime avec lequel il est en délicatesse depuis sa démission en 1991 de l’ancienne section Rdpc du Wouri (au point de se faire désigner par le téméraire sobriquet de « Chasseur du Lion », Paul Biya étant le lion de la scène politique et lui l’homme qui lui donne la chasse), a décidé à la surprise de tous d’apporter son soutien à son ancienne “proie”.
Chacune des deux personnalités dont l’acte de ralliement cristallise les attentions a évidemment tenu justifié sa décision.
D’abord Christian Penda Ekoka, qui en homme de sciences, justifie le choix porté sur Kamto par le résultat d’une démarche scientifique : «Nous avons utilisé plusieurs critères incluant notamment l’occupation du terrain par le candidat, le volume et la fréquence des meetings, l’expérience du candidat, le programme du candidat et par-dessus tout, la volonté et la détermination du candidat, de transformer et de moderniser le Cameroun. Nous l’avons fait au sein du Mouvement «Agir», mais pour ne pas rester dans un choix de mouvement, après avoir épuisé ces critères, on s’est dit qu’il fallait aussi confier ce processus de sélection à une tierce partie. C’est à partir de cela qu’il y a eu convergence entre notre classement et le classement tiers. Et celui qui a obtenu le meilleur score c’est Maurice Kamto. Et sur cette base, nous avons décidé de lui apporter tout notre soutien. Les autres candidats n’ont pas démérité. Et puis, ce n’est pas le moment d’une victoire personnelle. C’est vraiment un moment de rassemblement, il faut véritablement qu’il y ait changement. Je souhaite donc que notre choix triomphaliste, parce que l’heure est grave», fait-il savoir.
L’homme qui tient par ailleurs à voir le président actuel prendre sa retraite à la suite d’une défaite électorale au soir du 7 octobre a profité de l’occasion à lui offerte d’expliquer son ralliement à Kamto pour appeler les candidats de l’opposition à faire la preuve de leur grandeur d’âme et de leur dépassement en travaillant dans le sens d’une coalition avec le candidat qu’il soutient : «C’est très important que le Cameroun commence à voir ainsi émerger, un personnel politique de remplacement. Ces jeunes font notre fierté. Naturellement que ce soit pour Joshua Osih ou pour Akere Muna, leur expérience doit être de mise à profit pour que la donne change. Ce sont des personnalités de grande valeur qui savent s’oublier et mettre l’intérêt national au-dessus des ambitions personnelles. Ils sont bien conscients que l’heure est grave, s’il y a un perdant dans cette situation, ce sera le Cameroun. Si nous sommes unis, nous sommes sûrs de gagner, si nous sommes divisés, ça peut être difficile». A lire entre les lignes la pensée de Penda Ekoka que beaucoup présentent comme un esprit rigoureux et méthodique, il n’est pas exclu qu’il appelle ainsi son favori à être à son tour réceptif aux démarches allant dans le même sens quitte à sacrifier sa candidature pour celle d’un autre opposant.
De son côté, Jean-Jacques Ekindi explique sa décision (qui frise le renversement de situation –où le prédateur devient la proie) de s’offrir au Lion vorace d’Etoudi par la déception à lui infligé par ses pairs de l’opposition, notamment les candidats, qui n’ont pas souscrit à son initiative à leur intention d’une concertation pour une stratégie commune ou à son projet d’encadrement de leurs actions dans le cadre de l’élection du 7 octobre. Toujours dans cette logique d’explication de sa reddition, l’ancien chasseur de lion qui a fini par succomber au charme du lion juge tous les candidats de l’opposition à l’élection présidentielle inaptes à résoudre la crise anglophone.
Alliances logiques et contre-nature, véritable attraction de la présidentielle du 7 octobre 2018 ?
Déduction logique, pour Jean-Jacques Ekindi dont le retournement de veste (sur fond d’alliance contre-nature) peut être assimilé à l’action d’un individu qui, face à une menace mortelle se tire une balle dans la tête pour … échapper à la mort, c’est le candidat du parti au pouvoir, à l’origine de ladite crise, et ayant brillé jusqu’ici par son incapacité à la résoudre depuis deux ans (ou plutôt par sa détermination à la plonger de plus en plus dans les profondeurs de l’enlisement), qui lui semble avoir le profil idéal de celui qui peut résoudre « la crise anglophone ». C’est donc pour cela qu’il a pris l’option Biya, pour « ne pas confier le destin du pays à n’importe qui » (sic). En d’autres termes l’option de confier le destin du Cameroun à celui qui se présente comme son meilleur fossoyeur. A en rire ou en pleurer ?
Il faut dire qu’en attendant le Jour-J de sa tenue, la prochaine élection présidentielle au Cameroun n’aura pas de cesse de dérouler son lot de surprises dont les alliances et mésalliances qui se nouent entre les acteurs politiques en sont les principales.
On connaissait déjà l’épisode hilarant de 20 prétendus leaders (sans troupe) de l’opposition qui avaient décidé de rallier le candidat président sortant Paul Biya, sous le prétexte tantôt que les candidats de l’opposition à la présidentielle de 2018 n’avaient pas de programme, tantôt qu’ils n’avaient pas accepté de s’unir sous la bannière d’un candidat unique (donc plus solide) pour renverser le mastodonte du Palais de l’Unité, candidat pour la cinquième fois à sa propre succession depuis le retour au pluralisme, après l’avoir été deux fois à l’époque du parti unique.
Parmi ces ralliés, les plus bruyants sont deux anciens farouches opposants de Paul Biya :
un certain André Banda Kani, naguère haut responsable puis président du Manidem dont les coups de gueule contre la tyrannie du régime Biya, ou encore l’activisme à l’époque où les Camerounais réclamaient la lumière sur le sort des 9 jeunes hommes arrêtés au quartier Bépanda à Douala et sans doute exécutés froidement par l’armée (Cf. Affaire des 9 disparus de Bépanda) au temps du Commandement Opérationnel (2ème phase), résonnent encore dans les esprits comme si c’était hier.
Puis un certain Momo Jean de Dieu, qui se fit un nom à la même époque de l’Affaire des 9 disparus de Bépanda, pour avoir défendu intrépidement en justice la cause des familles qui voulaient voir plus clair dans la disparition des leurs. Il s’était par la suite lancé dans l’arène politique en créant un parti politique dénommé Les Patriotes puis renommé Patriotes Démocrates pour le Développement du Cameroun (PADDEC). C’est sous les couleurs de ce parti d’opposition que l’homme se présenta à l’élection présidentielle de 2011 contre Paul Biya. C’est encore au nom de ce parti qu’il déclara, après la catastrophe ferroviaire qui fit des centaines de morts en octobre 2016 : « … nos dirigeants sont des Français au service de la France et non au service de nos peuples. Ne nous y trompons plus. Ils clament être panafricanistes quand la France veut changer des pions internes de son échiquier personnel. Ils sont tous les ennemis de notre peuple. ». Eh bien, l’homme qui avait commis tout un album musical en 2011 pour décrier les frasques du régime Biya (voir vidéos) a fini par se rallier au même Biya qu’il qualifie tantôt de « nouveau Um Nyobé (le père du nationalisme camerounais, ndlr) » tantôt de « sage ».
Bien sûr, comme Banda Kani, Jean de Dieu Momo qui s’est découvert subitement une âme de sauveur de Paul Biya dont il aurait éventé un complot visant son élimination physique, n’aura réussi à tromper aucun Camerounais sur ses véritables motivations. Des langues un peu plus pendues que d’ordinaire affirment que les membres du G20 (le groupe des 20 partis dits “d’opposition”soutenant la candidature de celui que le panafricaniste Kemi Seba a surnommé “Highlander”) ou “G-faim” pour les méchantes langues, auraient été appâtés par une somme de 15 millions versée à chacun d’eux par le ministre de l’administration territoriale, Paul Atanga Nji, dont la principale mission au sein du gouvernement et du Conseil National de sécurité serait de brouiller la scène politique camerounaise par des actes de corruption, en témoignage le vrai faux sondage annonçant une possible victoire de Paul Biya (avec plus de 80% de suffrages) réalisé par un obscur cabinet (Ennovative Solutions) basé à Houston dans l’Etat du Texas aux Etats-Unis, dont le promoteur ne serait autre qu’un certain Marinus Atanga, son frère cadet.