Cameroun- Revenir au fédéralisme ou affronter la sécession : L’ultimatum de Herman Cohen à Paul Biya

Quatre mois après un fâcheux précédent   le régime en place au Cameroun est de nouveau aux prises avec un diplomate américain. Et cette fois-ci, il s’agit d’un ancien  responsable à u très haut niveau de l’administration américaine, Herman Cohen, qui prédit rien moins que la partition du pays si le gouvernement ne se résout  pas à concéder aux anglophones, ce qui peut être considérer comme une revendication médiane, voire minimale : le retour au fédéralisme qui a prévalu de 1961 au hold-up constitutionnel de 1972.

Si le gouvernement avait eu tout le loisir en mai-juin dernier de convoquer l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun Peter Henry Barlerin pour lui taper sur le doigt et lui rappeler le principe diplomatique de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain (après qu’il eut donné au président Biya le conseil de quitter le pouvoir pour éviter le pays dans le chaos), une action similaire pourrait se révéler difficile, voire impossible dans la mesure où celui qui vient d’adresser une pique au Cameroun à propos de la crise anglophone est un ancien membre du gouvernement américain, n’étant du reste plus en fonction.

«Le temps est compté pour le gouvernement du Cameroun dans les régions anglophones. Retournez à la fédération d’avant 1972 dans un délai d’un an ou faites face à une sécession totale en Ambazonie», a écrit l’ancien Secrétaire d’Etat Adjoint chargé des affaires africaines  Herman Jay Cohen, qui parle d’expérience des périls au devant desquels court le pays situé au carrefour de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest, si ses dirigeants continuent avec l’option suicidaire de la répression militaire systématique des menées sécessionnistes des anglophones des régions du Nord-ouest et du Sud-ouest.

Déjà en février dernier, un autre tweet du même Herman Cohen tirait la sonette d’alarme :

Traduction  : “Le gouvernement camerounais devrait comprendre la leçon de l’histoire selon laquelle la répression violente sur les séparatistes anglophones dans la région de l’Ouest peut finalement menacer la stabilité et le pouvoir du parti au pouvoir à Yaoundé”

Il avait remis ça un mois plus tard, en écrivant sur son fil tweeter, le 8 mars 2018, que “Le gouvernement du Cameroun doit comprendre que la seule solution à la crise au Cameroun occidental est un retour au système fédéral original qui a été aboli illégalement pendant l’administration Ahidjo”.

Les dirigeants camerounais peuvent-ils se prévaloir de leurs propres turpitudes?
Venant d’un haut diplomate, et surtout si l’on fait abstraction du fait que cet ancien membre de l’administration Clinton (de 1989 à 1993) ne soit plus en service, des réactions comme celles-ci peuvent constituer des manifestations flagrantes « d’ingérences dans les affaires intérieures » du Cameroun dont les dirigeants aiment à montrer combien ils sont sourcilleux sur la souveraineté de leur Etat quand ils essuient des critiques pour leur gestion je-m’en-fichiste des  affaires du pays, mais jamais quand il s’agit d’acquérir de l’extérieur –dans le cadre des coopérations militaires- des armes pour faire museler les populations étiquetées “terroristes” pour les besoins d’une certaine cause.  Il n’en demeure pas moins que le gouvernement camerounais qui peut se sentir froissé de ne pas être soutenu par tous dans son entreprise de préservation de l’intégrité territoriale et de sauvegarde de l’unité nationale, devrait aussi, dans un sursaut d’exercice introspectif, se demander, en tenant compte de ce qui est à l’origine de l’enlisement de la crise actuelle, si c’était vraiment nécessaire de créer une situation de massacre à huis-clos en zone anglophone pour arriver à ces pourtant nobles fins, donnant ainsi à ceux qui pourraient nourrir des desseins sombres contre le Cameroun, des armes pour atteindre leurs objectifs.

On a en effet beau se cacher derrière son petit doigt en arguant que les Camerounais n’ont pas besoin de se prévaloir des culture et langue des autres pour nourrir des desseins divisionnistes, personne ne niera décemment que le Cameroun est avant tout le fruit de la colonisation (allemande) qui, prenant exemple sur le modèle de la constitution des Etats européens agrégèrent des dizaines, voire des centaines de royaumes (qui étaient en soi des Etats souverains au sens contemporain du terme) autour de ce qui est devenu l’Etat du Cameroun. Et bon nombre de ces royaumes ou Etats souverains de l’époque d’avant la pénétration occidentale en Afrique en général et au Cameroun en particulier, étaient le fruit des sécessions ou des scissions: un prince quittant le territoire paternel avec des alliés pour fonder au sein du même royaume un autre ou pour aller plus loin créer le sien propre. 

On en voudra encore pour preuve le fait que le nom Cameroun qui lui est attribué est aussi le produit de la colonisation : depuis le « rio dos camaroes » (entendez « rivière des crevettes » par lequel les portugais désignèrent le seul fleuve Wouri (pour sa richesse en crevettes) à Cameroun et Cameroon par lequel les Français et les Anglais respectivement, substituèrent l’appellation allemande Kamerun qui ne veut rien dire dans ces deux langues, pas plus que Kamerun ne signifiait rien en Allemand, en passant par « Camerones » qui fut utilisé par les Espagnols.

Du coup, évoquer aujourd’hui le fédéralisme en termes de  « rétropédalage » comme si revenir en arrière pour bien faire les choses était plus criminel que de persister dans une fuite en avant destructrice est un non-sens politique qui ne peut déboucher que sur la partition que la majorité des camerounais ne souhaitent pas, il va sans dire.

Et puis, il faudra toujours garder à l’esprit que même dans le cas où la seule solution se révélerait être la sécession, le Cameroun n’aurait pas inventé le fil à couper le beurre, et ne disparaitrait pas de la surface de la terre pour cela seulement. L’Ethiopie et le Soudan, plus puissants militairement que le Cameroun, continuent tout de même d’exister malgré qu’ils ont été amputés pour l’un de l’Erythrée et pour l’autre du Sud-Soudan. Bien plus, l’Ethiopie vient de renouer des relations inimaginables il y a seulement un quart de siècle avec l’Erythrée, tandis que le Soudan offre volontiers ses bons offices aux pourparlers inter sud-soudanais alors qu’il y a quelques décennies, il n’admettait même pas l’éventualité de l’existence en rêve d’un Etat indépendant du Sud-Soudan. L’Indonésie a fini par lâcher du lest sur la question du Timor. La Russie est aujourd’hui beaucoup plus puissante qu’à l’époque où elle se coltinait les autres soviets forcés à la fin des années 1910 de s’agglutiner à elle. La Serbie n’est pas morte du fait de l’indépendance des anciens Etats qui formaient avec elle la fédération yougoslave… Les exemples sont légion.

Alors c’est quoi le problème de ces gens qui attirent les regards malveillants sur le Cameroun en envoyant nos enfants tuer et se faire tuer là où il suffirait que ceux qui ont la responsabilité de préserver la paix ravalent leur orgueil et appellent sans condition à des pourparlers sur la base d’un minimum consensuel ?

C’est vraiment quoi leur problème ?

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