Cameroun : L’impossible alternance (Tribune)

” Si nous ne faisons pas de bêtises , nous sommes au pouvoir pour trente ans . “

Ces propos, furent tenus par Alain Peyreffite, le ministre de l’éducation nationale du Général de Gaulle, au soir du 30 juin 1968, après le raz de marée enregistré par le parti gaulliste, au lendemain de graves émeutes estudiantines du Quartier latin en mai 1968 .

De Gaulle, vient alors de clore triomphalement la partie qui l’a opposé début mai , à la “chienlit” , que foutent les étudiants.

Initialement opposé, au souhait de son premier ministre, Georges Pompidou, de dissoudre l’Assemblée nationale, et d’organiser dans la foulée les élections législatives anticipées, l’homme du 18 juin dispose d’une majorité absolue au palais Bourbon.

Réaliste, il sait que ce résultat , il ne le doit qu’à la frayeur créée chez des petits et grands bourgeois , par la perspective du basculement du pays tout entier, dans le chaos engendré par la plus grande grève de l’histoire du pays .

Alors, il organise imprudemment un référendum , autour de la question de la régionalisation et de la réforme du Sénat. Le 27 1969 avril , au terme de la victoire du non, il jette l’éponge, comme il s’y était engagé en cas de désaveu.

Mais cette démission , ne signe pas pour autant la fin du règne des gaullistes .

Les propos d’Alain Peyreffite, cités plus haut, auraient très bien pu être tenus, dans le contexte actuel de la crise post-électorale au Cameroun, par un baron du RDPC au pouvoir .

Paul Biya, revenu au Cameroun en 1962, au terme de ses années d’études en France à l’âge de 29 ans, n’a plus jamais quitté l’antichambre du pouvoir, et connaît plus qu’un autre, la géopolitique du pays à merveille. Il connaît aussi à la perfection, ses compatriotes et leurs mentalités. Et ce d’autant plus que, 80% d’entre eux, sauf erreur, sont nés sous son long règne .

En ancien haut fonctionnaire, il maintient de manière ferme , son étreinte sur l’appareil administratif , afin de jouer à merveille de son pouvoir de nomination , comme d’une arme de précision, mais aussi comme d’un pouvoir de nuisance et de dissuasion , contre d’éventuelles velléités d’émancipation ou de rébellion.

Il peut ainsi , faire et défaire les carrières des uns et des autres , au gré de ses convenances . Cette tactique , a le mérite de réduire l’étanchéité de la frontière entre l’administration, et le RDPC , et partant de tenir ainsi tout le monde en respect .

le système Biya, qui a généralisé la pratique du mensonge , la vénalité, le goût du pouvoir absolu, a suscité dans toutes les sphères de la société, des millions de “petits Biya” , y compris au sein des partis d’opposition. Chacun tient à être Paul Biya , dans son périmètre d’influence. Tout s’achète et se négocie, à prix d’or.

En 1992, sentant le pouvoir lui échapper , il avait convoqué en catastrophe le Breton, Loïck – Le Froc Prigent, alors patron de la compagnie pétrolière Elf .

De Gaulle avait voulu ce géant pétrolier , comme pompe à finances des basses œuvres des officines gaulliennes . Le tyran camerounais, sollicite un prêt de 45 millions de dollars , gagé sur les futures productions pétrolières .

Si une bonne partie de ce magot, va en effet atterrir dans des comptes off – shore , situés dans des paradis fiscaux comme les Îles Caïmans, l’autre partie va rester au pays des Lions Indomptables, pour retourner les dirigeants des partis d’opposition…

Oui, en effet, au Cameroun, tout se monnaie, se négocie et s’achète. Tous les hommes, barons du régime , membre de l’intelligentsia, de l’establishment ou de l’opposition compris.
Chaque homme a un prix , et il faut savoir l’évaluer . Car, au pays de Roger Milla, les hommes n’ont que les convictions de leurs porte-feuilles, ou de leurs ventres, ce qui, me direz-vous, relève du pareil au même.

Dès le lendemain du déclenchement de la crise post-électorale, Paul Biya qui avait naguère copieusement engueulé feu Omar Bongo, en présence de son homologue Équato-Guinéen, Obiang Nguema, pour n’avoir pas su ou pu calmer et refroidir les ardeurs de son opposant, Pierre Mamboundou, sortit son carnet de chèques .

À l’époque, le tyran camerounais qui joua les bons offices, entre son voisin gabonais, et son illustre opposant adoubé par la France, avait dit à l’homme de Franceville :

“Écoute Omar, tu fais une énorme connerie en laissant ainsi ce type dans la nature. Un monsieur comme lui, dont nous apprenons qu’il est constamment dans le besoin, se calme facilement avec des espèces sonnantes et trébuchantes “

Calmer avec des liquidités, le tyran camerounais sait faire . Pour couper le vainqueur putatif, de l’élection présidentielle d’octobre 2018, d’une part importante de ses soutiens, il va, tel une pieuvre, se déployer en plusieurs tentacules, et installer des chevaux de Troie un peu partout, parmi certains membres de l’opposition, y compris au sein même de l’activisme de la diaspora .

Avec Paul Biya, on part de la carotte au bâton, sans transition. Pas de préliminaires, ni voie médiane. C’est l’un ou l’autre . Ainsi de plusieurs membres de l’opposition, qui subissent en ce moment même, des actes de mal traitance pour avoir décliné des propositions indécentes, qui leur étaient faites au détriment de leurs convictions.

Mais, certains n’ont pas ces pudeurs et scrupules. Ils encaissent, et discutent après , quitte à naviguer ensuite à contre-courant. Un homme qui a faim, disait Félix- Houphouët Boigny , le premier président ivoirien, n’est pas un homme libre . Ce à quoi , on pourrait ajouter , ventre affamé n’a point de convictions.

Et Paul Biya, qui se targue d’être le meilleur élève de François Mitterrand, qui lui a plusieurs fois sauvé la mise, en déjouant entre autres, une révolution de palais qui aurait pu emporter son régime en 1994, n’ignore pas une des rengaines de ce dernier :

” Nul ne résiste à l’argent . L’argent qui broie les hommes , achète et écrase tout, y compris les consciences. “

Avec ou sans Paul Biya, si le RDPC sait payer qui de droit, et ne fait pas de bêtises, ils sont au pouvoir, pour au moins 50 autres années. Et les camerounais, auxquels il ne restera plus que leurs yeux pour pleurer, ne devront alors leur salut , qu’à un Dieu providentiel, s’il existe !

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