Xénophobie, Expulsions: Camerounais, mal aimés de l’Afrique centrale ?

Le gouvernement gabonais a chassé de son territoire des milliers d’orpailleurs qui ont rallié le Cameroun par Djoum depuis le 2 juin 2011 dernier. Ces expulsions d’un pays voisin, de surcroît membre de la Cemac sont récurrentes depuis 30 ans. La guinée Equatoriale n’est pas en reste. Devenue eldorado, ce petit pays moins peuplé qu’un arrondissement de Douala n’a de cesse de refouler les Camerounais, parfois violemment et sans explication. Les Camerounais sont-ils les mal-aimés de l’Afrique centrale ou feraient-ils peur à leurs voisins ?

Ils sont pourtant recherchés pour leur compétence, leur expertise, leur esprit d’entreprise. Ils sont partout en Afrique centrale : de Libreville à N’Djamena, de Malabo à Bangui. Enseignants, ingénieurs, médecins, techniciens, commerçants et parfois aussi bandits de grands chemins, les Camerounais sont incontournables, ce qui leur joue souvent des tours qui prennent des allures parfois dramatiques. Le Gabon et la Guinée Equatoriale sont les plus gros consommateurs de main d’œuvre camerounaise. Ce qui ne semble pas faire plaisir aux autorités de ces pays qui transforment régulièrement les Camerounais en bouc émissaires lorsque pointent les difficultés socio-économiques. Souvent aussi, les Camerounais sont victimes des tracasseries policières qui se soldent par de l’arnaque.

Quand cela les arrange, les agents de la direction générale de la documentation et de l’immigration (Dgdi) du Gabon reprennent du service pour, disent-il, des activités de routine de  police administrative. Dans l’œil du cyclone, naturellement, des milliers d’immigrés sans papiers qui écument les rues de Libreville. Insidieusement, les flics gabonais filent, traquent, interpellent, incarcèrent et expulsent « les clandestins » sans ménagement. Plusieurs compatriotes se font prendre dans les lieux publics et dans des contrôles inopinés. Sans papiers ou avec, ils sont malmenés,  gardés à vue, embarqués dans les cars et reconduits à la frontière. Il n’est pas exclu qu’à quelques mois de la Can 2012, avec la participation ou non des Lions indomptables, cette oppression s’intensifie. Du côté de Malabo aussi, on pointe du doigt les Camerounais, quand rien ne va plus, que l’on accuse de tous les maux.

Vous avez dit intégration ?

La vérité est qu’il n’y a aucune volonté de faire de la zone Cemac une terre d’intégration comme cela se passe en Afrique de l’Ouest par exemple. Même entre Etats voisins, il est question de méfiance. Les dirigeants de ces pays ne se fréquentent presque pas. Les structures de coopération mise en place sont inopérantes. Air Cémac, passeport Cémac, etc., sont autant d’éléphants blancs dont on attend toujours la matérialisation et leur impact dans l’intégration sous-régionale. Pour ce qui est du cas spécifique de la coopération bilatérale avec le Gabon par exemple, née le 23 mars 1968 à Ngaoundéré, la commission mixte Cameroun-Gabon avait été présentée comme le cadre institutionnel privilégié d’évaluation et de promotion des relations entre les deux pays.

Son objectif était de maintenir, d’améliorer et de renforcer les liens fraternels, l’esprit d’entente et de coopération entre nos deux pays, et ceci dans tous les domaines d’intérêt commun. Elle devait se tenir tous les ans.  Hélas la dernière réunion du genre s’était tenue à Libreville en 1997. La précédente session du comité de suivi des résolutions de la grande commission mixte Cameroun-Gabon avait eu lieu en …1972. Il y a un an, la coopération entre le Gabon et le Cameroun a été relancée dans quatre directions principales : la coopération juridique, la coopération économique, commerciale et industrielle, la coopération culturelle, sociale, scientifique et technique, et finalement les questions de frontières et consulaires. Tout ceci est resté lettre morte à cause du peu d’empressement de nos partenaires de respecter quelques traités bilatéraux qui selon eux, profitent au seul Cameroun.

Quelques raisons peuvent être dégagées pour expliquer pourquoi le Cameroun fait peur à ses voisins : dans la sous région Afrique centrale, le Cameroun présente une puissance industrielle, agricole et commerciale qui impose du respect. Sur le plan académique, nous avons une ou deux longueurs d’avance. Sur le plan sportif et culturel, le Cameroun ressemble à un géant aux cotés des pays amis comme la Centrafrique , le Gabon, le Tchad et la Guinée Equatoriale.

Cette peur est-elle justifiée ? Entre la Belgique et la France , il n’y a pas match. L’un est un pays de service tandis que l’autre est une grande puissance au poids économique énorme. Mais les relations sont au beau fixe. Les voies de communication ont favorisé le brassage des populations et le commerce transfrontalier dans l’intérêt bien compris des deux pays, qui de surcroît partagent des valeurs culturelles, tout en gardant chacun son identité.  C’est ce défi que doit gagner l’Afrique centrale, où la simple libre circulation de biens et de personnes demeure une gageure, malgré les incantations des politiques pris dans l’étau de leurs égos respectifs ; au nom de la souveraineté de chaque Etat.

Evocation: Quand Ahidjo frappa du poing sur la table…

Ce n’est pas la première fois que le Gabon procède à l’expulsion sans menagement de Camerounais de son territoire. « Il faut fermer la frontière dans les plus brefs délais, et ne plus ravitailler ce pays en produits vivriers, tant que le Cameroun et le Gabon ne se sont pas mis d’accord pour indemniser ceux qui ont subi des maltraitances des militaires gabonais ». Telle est la réaction d’un internaute à la lecture de votre journal sur les graves évènements survenus la semaine dernière au Gabon, où des Camerounais ont été pourchassés, molestés et expulsés manu militari en direction de Djoum.

Quelle est la réplique du gouvernement camerounais face à ces exactions ? Selon nos sources « les autorités camerounaises et notamment le ministère des Relations extérieures s’est informé de la situation des Camerounais en difficulté au Gabon ». Le ministre Henri Eyébé Ayissi a indiqué que la situation était suivie de près, aussi bien par le gouvernement, à Yaoundé, que par l’ambassade du Cameroun à Libreville.

Cité par Le Jour, nous apprenons que «L’ambassadeur du Cameroun dans la capitale gabonaise a été reçu en audience par le général Michel Andjembé, directeur général de la documentation et de l’immigration. Il ressort de cet entretien que la situation se présente comme suit : sur environ cent personnes interpellées, une vingtaine, de nationalité camerounaise, auraient déjà été reconduites à la frontière ». L’ambassadeur du Cameroun au Gabon aurait rendu visite à ses compatriotes incarcérés, à qui il a apporté une assistance en vue d’améliorer leurs conditions de détention. Une semaine après, on n’a pas pu obtenir de nouvelles sur l’évolution de la situation.

Si Ahidjo avait été vivant et en poste, souligne Germain Koumyo Ekwe, chroniqueur sportif au journal Le Messager, Ali Bongo aurait reçu une réplique claire et précise sur ces expulsions à répétitions des Camerounais du Gabon. Koumyo se souvient comme si c’était hier des premières expulsions des Camerounais du Gabon, il y a… 30 ans. 

C’était en 1981.  C’était à l’occasion du match Union de Douala  contre Fc 105 du Gabon au stade la Réunification à Douala. Le match tirait vers sa fin. L’équipe gabonaise était menée au score par 5 buts contre 1. Mauvais perdants, les joueurs se mirent à simuler des chocs. Au moindre contact avec l’adversaire,  ils tombaient, croyant que l’arbitre pouvait annuler le match. En effet,  selon les règlements de la Fifa qui régissent le football, une équipe ne peut jouer avec moins de sept joueurs. Mais le match fut homologué au profit des Camerounais vainqueurs.

Indemnisation des victimes

Rentrée au Gabon, la délégation mentit que les joueurs ont été molestés. Les journalistes amplifièrent ce message à travers les journaux et à la Voix de la rénovation, la radio gabonaise, livrant ainsi les Camerounais du Gabon à la vindicte populaire.

Chauffées à blanc les populations de Libreville saccagèrent les commerces des Camerounais, la police ouvrit la chasse au Camerounais, procédant à des exactions et des expulsions. Face à l’ampleur de cette xénophobie, certains n’hésitèrent pas à traverser la frontière sans attendre d’être expulsés, laissant derrière eux, une vie, des biens et des êtres chers.

C’est alors que le président Ahidjo entra en scène. Il envoya un avion gros porteur de la Camair ramener au pays les compatriotes qui le souhaitaient. C’était l’époque ou le sentiment national avait un nom. Nuit et jours, les Camerounais de l’intérieur veillaient à l’aéroport, attendant l’arrivée des expulsés.

Pour protester contre le régime de Bongo, Ahidjo prit un train de mesures parmi lesquelles la fermeture des frontières. Ce qui eut pour effet d’asphyxier économiquement le Gabon, qui dépend toujours aujourd’hui du Cameroun en matière de produits vivriers, de main d’œuvre … La crise ne sera dénouée que lorsque le président gabonais débarqua toutes affaires cessantes à Yaoundé, voir Ahidjo. Il accepta l’indemnisation de personnes expulsées et demanda aux Camerounais de revenir au Gabon, assurant qu’il n’y aura plus des incidents de ce genre.

C’était il y a bien longtemps… 

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