Je ne suis pas une crevette !

La maîtrise de notre mission en tant que citoyen depend de notre pleine possession de notre histoire, de la conscience de notre place dans le monde et des réalisations de nos ancêtres.

L’actualité sociopolitique à Kemet (Afrique) devrait amener les uns et les autres à s’interroger sur la réalité des concepts et des systèmes de valeurs qui régissent nos sociétés. Parlant de système de valeurs, nous constatons les limites de la « démocratie occidentale » qui s’est imposée à nous…en vérité qu’on s’ingénie à nous imposer. Cette démocratie dont nous attendons toujours de voir les bienfaits nous est vendue par les « experts » des institutions dites internationales ou les « spécialistes de l’Afrique » comme une panacée ou l’antidote universel, comme la pilule miracle qui ferait encore gravement défaut au Continent.

Passé sous silence le fait que Kemet (ou Kamita) perdit définitivement son indépendance en -525 de l’ère européenne (EE) à la suite des invasions sémites assyriennes avec le saccage de la capitale et ville sainte de Ouaset (Thèbes). Ce processus de destruction de la civilisation kemite (africaine noire) allait se poursuivre avec les invasions grecques et romaines, puis se parachever par les invasions arabo-musulmanes dès le 7ième siècle EE et l’arrivée des européens juifs et chrétiens dès le 15e siècle EE.

Ne nous en cachons pas, l’esclavagisme colonialisme dont le Continent fut victime perdure encore aujourd’hui sous diverses formes, certes plus sournoises mais tout aussi efficaces que les razzia négrières, les travaux forcés ou le pillage des richesses à ciel ouvert. Les noms de code sont entre autres : Plan d’ajustement structurel, Allègement de la dette, Initiative PPTE, Coopération Nord-Sud, Objectifs du millénaire, Bonne gouvernance, Multinationales, Mondialisation, Institutions internationales, Forces de maintien de la paix, Organismes non-gouvernementaux, Aide humanitaire, etc.

Nous le voyons, l’évolution de l’ordre esclavagiste colonialiste est tout aussi mécanique que diabolique. Pourtant, les « experts internationaux » et les « spécialistes de l’Afrique » − à grand renfort de rhétorique moralisante − finissent par nous convaincre que « le problème » de l’Afrique c’est le manque de démocratie, la mauvaise gouvernance, une démographie galopante, les pandémies, les dictatures, le retard technologique, etc., etc. Un acteur hongrois s’est ainsi illustré à Dakar : la scène se déroule chose non curieuse à l’Université Cheikh Anta DIOP. Il a joué son rôle comme bien d’autres avant lui pour dire que « le problème de l’Afrique, c’est que l’Afrique n’est pas encore assez entrée dans l’histoire ». Le même acteur qui de son pupitre élyséen se pose aujourd’hui − pour ceux qui refusent de lire l’histoire − en défenseur des droits et libertés des populations de Côte d’Ivoire. Ne nous égarons pas, ce n’est pas le sujet. Il s’agit ici, comme prévu, t’interroger la pertinence des noms et des concepts.

Les noms et les concepts

Il est important de savoir que chaque « nom » est un « concept », et que chaque concept a été pensé, élaboré pour un but précis. Chaque concept a son origine et son histoire, et appartient de ce fait même à un creuset socioculturel déterminé. Aucune pensée n’est « universelle », l’universalisme est une chimère, en réalité la négation de l’Autre. C’est en cela que tous les noms, c’est-à-dire tous les concepts ne peuvent être adaptés à toutes les situations. Un article paru dans la presse relève qu’ :

« Une certaine propension au raccourci pousse une catégorie d’Africains à renoncer à comprendre, pour s’être convaincus par facilité que les autres ont déjà tout dit, tout pensé, tout trouvé. Quand les autres auraient effectivement tout pensé et tout trouvé, ils l’auraient fait pour eux, en fonction de leur vécu à eux et de leurs attentes à eux…» (MBOCK, Au-delà de Gbagbo : l’Afrique, 2011).

Dans la même implacable logique on peut lire :

« Les hommes agissent en vue de satisfaire leurs besoins et leurs aspirations. Or la réalité varie avec les milieux et pose donc à l’homme des problèmes différents selon les milieux. Les besoins et les aspirations varient en conséquence…Enfin les oppositions entre les classes et les peuples reposent sur des oppositions d’intérêts et d’aspirations et font que la réalité n’est pas considérée dans la même perspective ni dans le même éclairage.

« Les différences et les oppositions qui affectent la réalité et les intérêts entraînent des différences et des oppositions correspondantes dans leur expression théorique et aboutissent à des philosophies différentes et mêmes opposées » (TOWA, L’Idée d’une philosophie négro-africaine, 1979).

Ainsi la sagesse africaine, que résume la Maat, s’oppose à la loi du plus fort et même à la loi de la majorité connue sous le nom de suffrage universel. Ici, le consensus à travers la palabre est la règle d’or. Ce qui est valable pour Dupont n’est pas forcément valable pour Nkodo, ce qui est nécessaire pour Moscou ne l’est pas forcément pour Akonolinga.

La Maat, rappelle TOWA est une « notion dense et complexe qui désigne l’ordre cosmique, social et intérieur. Sur le plan physique, la Maat est exactitude, mesure correcte; sur le plan social et éthique, elle est vérité, justice et ordre » (TOWA, op. cit).

 
Maat

C’est dans cette optique qu’il est vital pour toutes celles et tous ceux qui ont pour ambition de travailler un temps soit peu à l’amélioration continue des conditions de vie matérielle et culturelle des populations kemites, de valider par une démarche critique tous les noms, termes et concepts que nous utilisons, à plus forte raison si nous continuons à nous exprimer en une langue qui n’est pas la nôtre. Nous disions déjà dans un précédent article que « le doute est la porte d’entrée du savoir » ; nous pourrions ajouter que le propre d’une action intellectuelle est d’empêcher de tourner en rond, de nous contraindre à nous interroger et à interroger. Dans cette démarche, seuls les noms ou les concepts qui auront résisté à notre examen critique seront retenus en partie ou en totalité, ou tout au moins redéfinis et adaptés à la réalité kemite (réalité africaine). Saisir la réalité kemite dans sa plénitude est le chemin à suivre, Amilcar CABRAL, leader nationaliste du Cap-Vert l’avait saisi à sa manière pour dire qu’ :

« …il incombe à la fraction de jeunes intellectuels capables de résister aux tentations du pouvoir et de l’enrichissement d’apporter les éléments de connaissance scientifique nécessaires à la libération.

«…Mais la question n’est pas tant le rôle des intellectuels que l’histoire en Afrique leur a en quelque sorte mis sur les épaules, mais leur capacité de l’assumer jusqu’au bout. Pour renaître en tant que classe révolutionnaire, il ne leur suffit pas des connaissances historiques et scientifiques acquises par leur double formation universitaire et politique en Occident (ou de contenu occidental), il leur faut découvrir leurs propres réalités africaines et pouvoir apporter aux masses africaines la connaissance des structures sociales africaines.» (BENOT, Indépendances Africaines, 1975)

Si nous devons assumer les conséquences de l’entreprise esclavagiste colonialiste qui déstructura les sociétés kemites, si nous devons composer avec la division de Kemet en petits territoires rebaptisés par l’esclavagiste colonialiste avec des noms en tout genre et même des noms de crustacés. Si nous devons dégager les responsabilités africaines dans le long calvaire du Continent, la perte de la civilisation et du règne de la barbarie : nous devons comme le suggérait Cheikh Anta DIOP « être capables d’accéder à la vérité par notre propre investigation intellectuelle, nous maintenir à cette vérité jusqu’à ce que l’humanité sache que l’Afrique ne sera plus frustrée, que les idéologues perdront leur temps, parce qu’ils ont rencontré des intelligences égales qui peuvent leur tenir tête sur le plan de la recherche de la vérité » (Conférence à Niamey, 1984). Molefi Kete ASANTE pour sa part nous recommande de regarder vers l’extérieur à partir de notre centre, de sanctifier notre propre histoire et de méditer sur la puissance de nos Ancêtres (L’Afrocentricité, 2007).

C’est dans cette perspective qu’il faut saisir l’opportunité d’interroger le concept de Nation camerounaise. Le Cameroun n’a pas été le fruit de notre intelligence ou de notre volonté en tant que peuple. Le Cameroun couve des contradictions qui n’ont jamais été débattu. Les populations vivant sur ce territoire qui sera rebaptisé comme tel par les esclavagistes colonialistes ont subi le sort de l’histoire. Histoire qu’il faudrait maintenant assumer de manière objective. Notre sagacité intellectuelle doit donc nous permettre soit de nous débarrasser de l’héritage forcé légué par des siècles d’esclavagisme colonialisme, soit alors, de saisir cet héritage dans son imperfection, le modifier et l’adapter à notre réalité.

Je ne suis pas une crevette

Le Nom du territoire sur lequel nous vivons prend ici tout son sens. En quoi est ce que être une crevette serait un objet de fierté ? Ne dit-on pas que celui qui te donne ton Nom te donne aussi ta Place. Dès 1472 EE, les esclavagistes juifs et chrétiens qui écumaient les côtes kemites depuis quelques années déjà allaient à tour de rôle confirmer la Place qu’ils entendaient donner aux territoires soumis. En lieu et place du nom Wouri, on aura Rio dos Camaroes et ensuite Rio dos Camarones ; qui veut dire Rivière des Crevettes respectivement en portugais et en espagnol.

Le territoire de l’actuel Douala allait d’abord être rebaptisé Camarones puis Kamerun, nom de baptême, qui au fur et à mesure que l’entreprise esclavagiste colonialiste avançait vers l’intérieur des terres allait devenir le nom de tout le territoire conquis dans le feu et le sang, par la croix et le fusil. Cameroun veut donc dire crevette, mais j’entends qu’on le sache : je ne suis pas une crevette, et, notre pays n’est pas un étang de pénéiculture (élevage de crevettes).

 
Camaroes ou Camarones

Notre histoire ne commence pas à « l’âge de la pierre » quelle soit taillé ou polie, ni avec la « civilisation Sao ». Notre histoire ne commence surtout pas en 1472 EE avec l’arrivée des esclavagistes portugais juifs et chrétiens ; cela est impossible et le prétendre est inacceptable : l’affirmer sonne comme une insulte supplémentaire à la mémoire de nos Ancêtres, à la mémoire de l’humanité. Notre histoire s’est déroulée de manière ininterrompue dans le temps et dans l’espace depuis l’apparition de la première humanité dans la région des Grands Lacs jusqu’à nos jours. Les travaux de Cheikh Anta DIOP, de Théophile OBENGA et de bien d’autres permettent à eux seuls de taire toutes polémiques à ce sujet. Cette première humanité à l’origine des Arts, des Sciences et de la Religion allait aboutir dans la Vallée du Nil à Ta Meri (Égypte antique) et Ta Seti (Soudan antique) à la première civilisation humaine.

La civilisation selon le paradigme kemit se caractérise par au moins trois éléments que sont : la super-structure idéologique (croyances, valeurs, éthiques et spiritualité), la structuration humaine (organisation sociologique, politique et économique) et enfin l’infrastructure matérielle (urbanisation, occupation de l’espace, architecture, technologie, etc.). Se nommer en tant qu’individu, nommer ses villages, villes, régions, provinces et royaumes ne pouvaient donc attendre 1472 EE.

Ainsi Kemet fait encore aujourd’hui l’expérience de noms de « pays » en tout genre, des noms sans portée historique, parfois comiques, souvent tragiques. C’est le signe par excellence de la soumission à un ordre qui nous échappe. À côté de « Cameroun », on a par exemple « Côte d’Ivoire » ou plus exactement Côte de l’ivoire qui vient aussi du portugais Costa do Marfim (Marfim = Ivoire). Ce nom désignait un comptoir destiné au trafic de l’ivoire et bien sûr d’Êtres humains ; on pourrait s’étonner qu’il finisse par être une source de fierté et d’orgueil.

Dans la même foulée, Rio de Gabao (Gaboa = Caban) donna « Gabon ». « Sénégal » qui vient d’une francisation de Sunu gal qui veut dire notre pirogue. « Brazzaville » ville baptisée en hommage au criminel Savorgnan de Brazza. Costa dos Escravos (Côte des Esclaves) était le nom esclavagiste colonialiste du territoire occupé aujourd’hui par le Togo et le Benin. Ce nom fut bien sûr abandonné, c’eût été un peu gros et fort peu catholique de le conserver.

Au grand étonnement de beaucoup, ces anomalies perdurent malgré les « indépendances africaines » qui, en principe, devraient apporter aux Africains la capacité de nommer et de se nommer selon leur propre réalité. Ama MAZAMA dit avec raison que : « le Nom doit refléter qui nous sommes » (L’impératif Afrocentrique, 2003).

Heureusement que quelques exemples démontrent qu’il ne s’agit pas d’une fatalité : ce qui a été fait peut-être défait. Sous l’action de personnes hautement dévoués à leur peuple Costa do Ouro (Côte de l’Or) fut changé en Ghana, Haute-Volta en Burkina –Faso, Rhodésie du Sud en Zimbabwe. Certes, le Nom n’est pas « tout » mais c’est le commencement de tout ; il nous relie à notre passé, reflète qui nous sommes et définit nos aspirations. Le premier acte (le plus symbolique et le plus significatif) que nous posons lorsqu’un enfant vient au monde est de lui donner un nom par amour et par nécessité. Quel serait alors ce premier acte pour une Nation si ce n’est de lui donner un nom tout aussi par amour et par nécessité ?

L’occasion se présentera où la question des noms hérités du colonialisme sera discutée à l’échelle du Continent. Par contre ce qu’il faut retenir c’est que l’apparition de cette multitude de « pays » n’a pu empêcher la régression. Pour Bakary DIARRA : « consacrer la cartographie actuelle du Continent, et les noms de ces pays, c’est entériner le projet belliciste de l’Europe » (Conférence à Montréal, 2010).

Le problème camerounais

Le « Problème » est d’abord celui dont les solutions ont partiellement été proposées par Ruben Um NYOBÈ dans Le Problème National Kamerunais puis par Félix Roland MOUMIÉ dans L’ONU et Le Problème Kamerunais et dans La Révolution Kamerunaise. Mais le problème est aussi et surtout celui qu’a posé Cheikh Anta DIOP, en l’occurrence celui de la perte du contrôle de notre système éducationnel depuis la chute de Ta Meri (Egypte antique) et la destruction de Ouaset à -525 EE.

«…La perte de la civilisation est une chose qui arrive…elle est toujours le fait de la perte de la souveraineté nationale. Lorsqu’un peuple cesse d’être maître de son système éducationnel, il régresse. L’Égypte à partir du moment où elle a été occupée par Cambyse, il a suffi de 7 siècles continus d’occupation étrangère. Cambyse en -525, Alexandre de Macédoine en -333 et puis ensuite les Romains en -47. Et Alors Juvénal poète satirique romain du 2ième siècle après JC, décrit les égyptiens comme un peuple sans industrie, un peuple qui est retombé dans la sauvagerie, un peuple barbare qui pratiquait l’anthropophagie. Et il suffit simplement que ce même peuple égyptien qui n’avait même pas encore émigré, celui-là même qui avait créé la civilisation dans la même vallée, en restant surplace et en ne perdant que son système éducationnel, en restant sous le joug de l’étranger qui l’empêchait de mener son destin comme il le voulait, cela à suffit pour que surplace il retombe dans la barbarie. Voilà de quelle manière on régresse. » (Conférence à Niamey, 1984)

Si à la suite d’un examen critique nous choisissons de maintenir le nom « Cameroun » en tant que dénomination du territoire que nous occupons, nous devrions par un effort supranational l’intégré pleinement– et cela dans tous les aspects de la vie – à la réalité kemite et à un État fédéral continental tel que prôné par DIOP dans son livre référence Les Fondements Économiques et Culturels d’un État Fédéral d’Afrique Noire (Présence Africaine). Nous ne pouvons découvrir notre mission qu’en étant en pleine possession de notre propre histoire, qu’en étant conscient de notre place dans le monde et des réalisations de nos Ancêtres les plus lointains.

Ahanda Imakhu Hem Heru

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