C’est une affiche de campagne qui a fait le buzz dans la période de l’entre deux tours du dernier scrutin présidentiel en Côte d’Ivoire. Citant pêle-mêle les problèmes quotidiens qui irritaient le plus les Abidjanais, notamment l’état calamiteux du carrefour de l’Indénié, elle s’interrogeait avec fureur : «C’est la guerre ?» Comme pour dénoncer de la manière la plus vive la tendance du staff du candidat-président Laurent Gbagbo à expliquer tous les dysfonctionnements de la machine étatique par la crise politico-militaire qui a commencé le 19 septembre 2002.
Si cet agacement était légitime provenant du citoyen lambda, il devenait évidemment indécent dès le moment où il était utilisé par la ligue politique qui avait pris l’initiative de la fameuse guerre et choisi de couper le pays en deux pour mieux conquérir le pouvoir. En effet, au coeur de cette dénonciation de «la guerre absurde imposée à notre pays», se trouvait, peut-être mal exprimée, un véritable enjeu de civilisation.
La guerre peut-elle être anodine, indolore, homéopathique ? Beaucoup, à Abidjan, n’ont pas été loin de le penser jusqu’à l’apparition du «commando invisible» et le début d’une vraie belligérance dans la capitale économique. Avant de subir, amers et meurtris, la transposition dans leur cité d’une culture de la violence qui avait déjà, et de manière morbide, fait ses preuves dans la principale ville du centre de la Côte d’Ivoire.
L’Université de Bouaké avait-elle été désossée pour être «revendue», carreau après carreau, ordinateur après ordinateur, sur le marché noir de la contrebande ouest-africaine ? L’Université d’Abobo-Adjamé, et dans une moindre mesure de Cocody, devait subir le même sort. Les véhicules des entreprises et des particuliers ayant
pignon sur rue à Bouaké avaient-ils été «réquisitionnés» en septembre 2002 pour les besoins de la cause ? Plus de huit ans plus tard, les parkings d’Abidjan, les plus fournis de l’Afrique de l’Ouest francophone, ont subi la furia impitoyable des «libérateurs». Les habitants de Séguéla, Man, Duékoué, Bangolo… avaient-ils expérimenté le sentiment de peur au ventre permanente, vu des cadavres en putréfaction dans les rues et les forêts ? Désormais, Abidjan a été, elle aussi, traumatisée par une débauche de folie humaine ne reculant devant rien. Abidjan connaît l’odeur de la mort.
«C’est la guerre ?» Oui, c’est la guerre ! La «bonne» guerre que de nombreux Ivoiriens n’ont cessé d’appeler de leurs voeux a eu lieu. Elle n’a pas eu les vertus purificatrices et thérapeutiques annoncées. «FRCI : trop c’est trop !», se plaint le quotidien pro-Ouattara Le Nouveau Réveil, dénonçant les «libérateurs applaudis hier» qui «deviennent des bourreaux aujourd’hui». Au point de vue économique, c’est la catastrophe. L’outil de production de la Côte d’Ivoire a été minutieusement détruit, et le gouvernement nous promet une croissance négative la plus optimiste possible mais qui, déjà, fait peur : – 6,3%. Et on se demande par quelle acrobatie le ministre de l’Economie et des Finances va-t-il financer un budget en hausse d’environ 20%, dans un contexte où les entreprises, exsangues, n’auront pas la force de supporter un assaut de racket fiscal pour remplir les
caisses.
Les pluies sont là, et les inondations aussi. Pour montrer que le long sabotage par la guerre de l’économie ivoirienne – qui a empêché (et empêchera) des investissements d’envergure – peut également handicaper un chef autre que Laurent Gbagbo. Sur les marchés, les commerçantes et les acheteuses ne cessent de se plaindre. Le panier de la ménagère était devenu un sachet. Maintenant, plus besoin de sachet, tout tient dans une seule main !
Sylvie Kouamé