A l’extérieur comme à l’intérieur, beaucoup d’observateurs de la scène camerounaise tiennent aujourd’hui pour seule certitude que le pays de Paul Biya est devenu, à la veille de la prochaine présidentielle, un véritable espace d’incertitude.
Il y a par exemple, incertitude sur le nombre d’élections depuis que M. Biya en a parlé des « élections » au pluriel. Incertitude quant au nombre et à la qualité des candidats qui seront dans l’arène si le scrutin a vraiment lieu, y en aura-t-il même plusieurs ? Incertitude sur la propre candidature de l’organisateur qui s’appelle Paul Biya, même si tout le monde est d’accord qu’il est le candidat naturel de son parti.
Incertitude sur ce que deviendrait le pays entre d’autres mains en cas d’alternance au pouvoir au demeurant peu probable. Incertitude quant à un « après Biya » que celui-ci provoquerait lui-même en quittant la tête du RDPC, pour donner à son parti l’opportunité d’un nouveau « candidat naturel ». Incertitude sur la durée d’un mandat qu’il pourrait être contraint d’écourter après sa victoire quasi certaine en octobre prochain, et sur la nature de la succession qu’il proposerait. Incertitude quant à l’avenir d’une économie dont les acteurs et leurs partenaires extérieurs sont manifestement sur leurs gardes comme s’ils redoutaient un tsunami.
Incertitude sur le plan de la coopération internationale où beaucoup de Missions diplomatiques ne se cachent plus pour préparer psychologiquement et stratégiquement leurs ressortissants ou collaborateurs à une éventuelle évacuation du pays. Incertitude quant aux réactions pré ou postélectorales d’une jeunesse qui rêve d’en découdre avec un régime dont elle n’attend plus grand’ chose. Incertitude sur le plan social où l’on entend de sourds grondements des travailleurs dans tous les secteurs. Incertitude sur le nombre d’électeurs prêts à se rendre aux urnes au regard de l’indifférence affichée par les populations. Incertitude par rapport à ce que ferait la grande muette en cas de grabuge… Incertitude suprême au cas où une révolution devait se déclencher dans un contexte d’impréparation où révoltés, rebelles ou insurgés… se trouveraient sans leaders pour les focaliser sur un changement ordonné, juste, tolérant et paisible. Toutes ces incertitudes et d’autres induisent le climat de peur qui s’empare actuellement du pays de parts en parts et instaure la suspicion entre les forces de la nation.
Le Cameroun pourrait pourtant faire, ici et maintenant, l’économie d’une révolution violente et irréfléchie. Il suffirait que M Biya veuille bien conduire lui-même une révolution pacifique à base démocratique et consensuelle
Nous sommes convaincus que si au crépuscule d’une vie généreuse et bien remplie il choisissait le prochain congrès du RDPC pour remettre par désignation ou par voie électorale la présidence du parti à un cadet social, il marquerait le début d’une décrispation sociopolitique propice à une révolution douce. Il pourrait ensuite reporter de quelques mois le scrutin présidentiel ; créer une Commission constitutionnelle avec la double mission d’élaborer, par voie de consultation, de concertation et de conciliation, une nouvelle loi fondamentale du pays, induisant un Etat de droit sur de bases institutionnelles justes, ainsi qu’un Code électoral garantissant à chaque citoyen majeur, la libre participation à la gestion publique du pays.
Pendant ce temps, il nommerait un gouvernement d’union nationale de transition pour administrer le pays. Et, se trouvant cette fois au-dessus des forces partisanes nationales, il se constituerait arbitre superviseur des opérations jusqu’à leur terme débouchant sur un calendrier électoral consensuel en 2012. C’est tout le bien que nous lui souhaitons quand les autres savent seulement lui dire « dégage », sans un mot sur ce qu’ils vont faire.
Comment qualifierait-on une telle démarche autrement que de « révolutionnaire », si en subvertissant ainsi de l’intérieur (ou d’en haut) l’ordre ancien établi, le Président Biya amenait les Camerounais à se réconcilier avec la politique ?
Ce faisant, il s’inscrirait d’ailleurs dans la postérité comme un patriote ayant permis à l’élite sociopolitique camerounaise de réaliser enfin avec l’Histoire, un rendez-vous manqué depuis 53 ans : en 1958 ( Table ronde refusée par la France ), et en 1991 (Conférence nationale souveraine déclarée « sans objet »). Ce fut à chaque fois l’opportunité refusée au peuple camerounais de se concerter à travers ses représentants, comme y ont droit tous les peuples indépendants, sur un projet commun de société, sur la nature et la forme de son Etat, sur ses valeurs de gouvernance et ses règles d’urbanité.
Or, les démocraties les plus authentiques dans le monde ne doivent pas leur bon fonctionnement seulement à leur âge. C’est même surtout à la solidité de leur socle institutionnel qui peut s’adapter aux circonstances du temps, sans se dénaturer au gré des ordonnances taillées sur les mesures de leurs dirigeants respectifs. Tant il est vrai que généralement quand c’est clair au départ, c’est clair à l’arrivée.
Nous ne sommes pas sûrs que M. Biya puisse ou veuille prendre en compte notre suggestion, si son entourage ou lui-même ne nous reconnaît pas le droit de nous mêler de politique comme journalistes, ou comme citoyens. Mais nous croyons assumer notre responsabilité sociale et/ou politique (selon le cas), et restons convaincus que quand un homme détient seul autant de pouvoirs dans un pays, il doit éviter que l’Histoire le condamne un jour de ne s’en être pas servi pour sauver son peuple de la perdition.
Jean Baptiste Sipa