La pornographie de l’humiliation

Un énorme buzz à travers les réseaux sociaux et des reprises – timides – par les sites Internet de Radio France Internationale et de CNN, et par des pure players comme slateafrique.com et  afrik.com.  Les images obscènes d’humiliation des «otages» de Bouna, dont Pascal Affi N’Guessan, président du FPI, et Michel Gbagbo, fils aîné du président ivoirien renversé, qui ont «fuité» sur la Toile après avoir été vraisemblablement prises par les hommes du «comzone» Morou Ouattara, ne seront pas oubliées de sitôt et représenteront sans doute un tournant dans la perception internationale de la vraie nature du régime d’Alassane Dramane Ouattara.

Les scènes qu’elles nous donnent de voir, les paroles qu’elles nous donnent d’entendre, nous renseignent également sur l’état d’esprit et les dispositions psychologiques de nos actuels   gouvernants.  Morou Ouattara pose son groupement politique en victime absolue et ses  adversaires d’hier en figures diaboliques totales. Dogbo Blé est un «monstre» qui a tyrannisé Abobo, fulmine-t-il. Se souvient-il seulement que le village ébrié d’Anonkoua Kouté, que les forces pro-Ouattara ont attaqué durant la nuit, tuant de nombreux civils endormis, fait partie de  la commune d’Abobo ? Le centre émetteur de la RTI, où deux civils – dont un adolescent – sont morts calcinés par la «grâce» des combattants antiGbagbo, se trouvait également à Abobo.

Morou Ouattara fustige les refondateurs, qui ont ruiné le pays par leurs achats d’armes et leurs détournements de fonds, allant jusqu’à ne pas payer certains fonctionnaires – ah bon ? On en oublierait presque que les premiers à avoir acheté des armes pour mener une guerre en Côte d’Ivoire sont les financiers occultes des ex-Forces nouvelles. Qui, selon des rapports non démentis des experts de l’ONU, ont continué à en acquérir après la signature de l’accord de Ouagadougou. On en oublierait presque qu’en matière de bonne gestion, la zone gouvernementale était un paradis par rapport à la «zone CNO» où les soldats n’ont jamais été payés, où les taxes vont toujours directement dans les poches des «Comzones» ou dans les caisses d’une structure ad hoc qui ne doit de comptes à personne : la «Centrale». On en oublierait également que le Premier ministre du régime «démoniaque» stigmatisé par Morou a été, pendant trois ans et neuf mois, Guillaume Soro, visage officiel de l’ex-rébellion. Quand on a été pendant de longues années un «commandant» des Forces nouvelles, on ne peut pas jouer les «indignados» de la vingt-cinquième heure. A moins d’avoir été contaminé par la grande  névrose de la mémoire disséminée dans le corps social ivoirien par un certain nombre d’idéologues véreux…

Une autre chose frappe celui qui regarde attentivement la vidéo mettant en scène l’épreuve de torture morale imposée aux «otages» de Bouna. Dès que Morou a terminé son «sermon» et énoncé la sentence punitive – «pompez» –, ses nervis dirigent leurs caméras vers les «réprouvés»  pour filmer leur humiliation. Des images qui seront très vite assez diffusées pour que des officiels de l’ONUCI puis le grand public les voient. «Comment ces gens s’arrangent-ils pour que ces images qui les accablent pourtant soient sur Internet ?», s’interrogent les  observateurs un peu trop rationnels. Ils ne réalisent pas que cette «pornographie de  l’humiliation» répond à un désir d’assouvissement de pulsions sadiques collectives encouragé – assez curieusement –par le sommet de la pyramide.

Arrestation du président Gbagbo et sa famille, le 11 avril 2011 par les la LICORNE et les forces rebelles de Ouattara.

Cette culture du voyeurisme mortifère n’a-t-elle pas été, d’une certaine manière, «officialisée» le 11 avril à l’hôtel du Golf, siège provisoire de la présidence Ouattara, où les images  d’humiliation de Laurent, Simone et – déjà – Michel Gbagbo ont été diffusées dans l’urgence et la jubilation sur TCI puis, dans ses aspects les plus trash, sur Internet ?  Il n’y a qu’Eugène Dié Kacou, patron désormais zélé du Conseil national de la presse (CNP) qui, voulant sauver le nouveau pouvoir de lui-même, met toute son énergie à censurer ces images insupportables certes, mais criardes de vérité…
Enfants de la télé, fils naturels du numérique et de la poudre à canon, les compagnons de route de Guillaume Soro ont pris, depuis 2002, l’habitude de laisser une trace digitale signalant leurs «exploits». Qui se souvient de «Kass», chef rebelle pro-IB emblématique, dont les performances sexuelles filmées se sont retrouvées sur des VCD vendus comme des petits pains à la «Sorbonne», et dont le corps endolori a été exhibé selon le même procédé après son assassinat par ses petits camarades de la tendance rivale ?

Il faut aller assez loin dans la sémiologie politique pour comprendre cette obsession de l’image violente. Simone Gbagbo jetée par terre et tenue par les cheveux par des combattants aux yeux injectés de sang, des jeunes patriotes embastillés improvisant sur le court de tennis de l’hôtel du Golf un chant de zouglou en l’honneur de la «solution», les photos des corps sans vie d’Ibrahim Coulibaly dit « IB » ou de « Maguy le Tocard »… Tous ces clichés visent à faire comprendre à notre inconscient collectif que nous sommes entrés dans l’ère de la terreur. Tu te plies ou on t’achève ! Ainsi va la vie dans la «nouvelle Côte d’Ivoire».

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