Ce que risque le pouvoir de Yaoundé en cas de report
La menace d’une contestation nationale et internationale plane. Analyse.
Quand est-ce que le président de la République va-t-il regagner le Cameroun ? Après une visite d’Etat en Chine, et vraisemblablement des vacances en famille, et en compagnie d’une suite bien restreinte comme d’habitude en Suisse, Paul Biya est annoncé au pays le week-end prochain ou alors en début de semaine prochaine à en croire des sources informée du sérail politique. Ces derniers mois, le chef de l’Etat dédaigne Yaoundé et préfère prendre ses quartiers dans son village natal Mvomeka’a où il a passé de longs séjours. Selon quelques hiérarques du régime, « le chef de l’Etat a besoin de se concentrer au maximum face aux défis du futur ».
En s’isolant ces dernières semaines du côté de Genève, Paul Biya qui a avec lui le ministre René Emmanuel Sadi, secrétaire général du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), par ailleurs le parti au pouvoir, devrait être en train de cogiter sur l’évènement majeur qu’attendent les Camerounais depuis le début de l’année. Il s’agit de l’élection présidentielle qui devrait normalement se tenir cette année. On est à quelque 60 jours de la date probable du scrutin attendu pour la première quinzaine du mois d’octobre 2011.
Entre le 13 septembre et le 13 octobre 2011
Selon la constitution du Cameroun (Article 6, alinéa 3), le mandat du président est remis en compétition 50 jours au plus avant son terme et 20 jours au moins avant le même terme. Cela viendrait à dire que, constitutionnellement, puisque Paul Biya a été investi le 03 novembre 2004, date considérée comme le début de son mandat, ledit mandat doit être remis en compétition au plus 50 jours avant la date du 03 novembre 2011. Selon ce principe donc, au plus tôt ce sera le 13 septembre 2011, et au plus tard, 20 jours avant ce 03 novembre 2011, c’est-à-dire le 13 octobre 2011. Ainsi, avant ou après cet intervalle (celle du 13 septembre au 13 octobre 2011) on parlerait d’un scrutin anticipé ou d’un scrutin reporté. Par ailleurs, selon la loi du 13 avril 2011 portant organisation de la suppléance à la présidence de la République , Paul Biya doit convoquer le corps électoral au plus tard 40 jours avant la date du scrutin. C’est dire que si au 03 septembre 2011, (soit 40 jours avant le délai légal pour l’organisation des consultations) ce corps électoral n’était pas convoqué, l’on devrait conclure au report de l’élection présidentielle. La date du 3 septembre reste donc très attendue par les Camerounais.
Tractations
Pour l’instant Paul Biya est dans les délais. Mais les tractations et autres manœuvres au sein du parti au pouvoir semblent indiquer qu’on s’achemine bien vers un report de cette élection présidentielle. Premier indice : récemment, le secrétaire national à la communication du Rdpc, Jacques Fame Ndongo, est allé indiquer aux médias d’Etat qu’un congrès du parti au pouvoir se tiendrait avant la présidentielle. Du coup, les spéculations provenant aussi bien au sein du « parti des flammes », que de l’opinion proche du pourvoir en place, ont commencé à subodorer un congrès qui se tiendrait soit fin août 2011, soit début septembre 2011.
La question qui se pose est celle de savoir si le parti de Paul Biya peut prendre le risque de se mettre en congrès, avec tout ce que cela représente comme enjeux, tractations et négociations politiques, alors que le corps électoral sera pratiquement déjà convoqué à cette date. Si l’on veut être logique, la réponse pourrait être non. Au sein du Rdpc et mêmes des services de sécurité, une bonne partie de l’opinion serait en train de proposer à Paul Biya de mettre le congrès du parti assez loin de l’ambiance électorale de la présidentielle avec son lot d’intrigues. Sauf donc changement de dernière minute, Paul Biya pourrait bien, contrairement à l’apparence actuelle au sein du sérail politique, faire reporter l’élection présidentielle en début d’année prochaine. On parle de mars 2012, au cours de ce qui constituerait des élections générales, à en croire nos sources.
Illégitimité
Mais ce ne sera pas une décision facile à prendre. Car les risques de perdre sa légitimité politique, aussi bien sur le plan national qu’international, existent. Des sources indiquent ainsi que Paul Biya pourrait se baser sur l’esprit de l’article 15, alinéa 4 de la constitution du Cameroun, en explorant la notion de « en cas de force majeur » à la place de « crise grave » ; avec notamment le fait principal selon lequel, l’électorat de la diaspora camerounaise qui a désormais été intégré dans la législation n’est pas encore au point.
Le risque est donc que, après la date du 3 novembre 2011, sur le plan national, y compris au sein même du Rdpc, des voix discordantes et contraires à la pensée de l’actuel président de la République , pourraient commencer à s’élever, pour qualifier Paul Biya de président illégitime. Et dans le contexte international actuel, caractérisé par les soubresauts du printemps arabe et surtout de l’opposition officiellement marquée des chefs d’Etats occidentaux (principalement Barack Hussein Obama et Nicolas Sarkozy), face aux chefs d’Etats « qui veulent absolument s’éterniser au pouvoir ». Paul Biya est-il prêt a courir ce risque ? Seul l’avenir le dira.
Jean François CHANNON