Bernard Dadié: La guerre aux Sans-culottes

Dernier rempart de la conscience patriotique africaine en Côte d’Ivoire, Bernard Dadié éclaire la jeune opinion ivoirienne sur les relents racistes de l’intervention militaire et économique de la France dans ses rapports en Côte d’Ivoire et au-delà, en Afrique.

N’est-il pas temps de cesser de jouer avec la vie des peuples ? Ascension, honneur ; certes, mais qui a-t-il jamais parlé des nuits sans sommeil ? Des cauchemars ? La guerre pour la domination, nous la connaissons, nous la vivons et dans la lutte pour l’égalité des hommes, les Amis des Noirs furent toujours présents. La traite cessa et les colonies virent le jour. Dans certaines, furent transférées les méthodes de travail de Saint Domingue. Notamment le travail forcé. Mépris de l’homme noir.

On nous parla de paix, d’égalité, souvent de fraternité. La cellule africaine logée à l’Elysée, permettait aux Français de s’occuper de leurs affaires. Gorée, Assinie devinrent des portés d’amitié. Verdier, Treich-Laplène, Binger furent suivis par des hommes de guerre qui ne cessent de brûler des pays peuplés de Sans-culottes. Ces amis qu’on impose au mépris de tous les droits que la France respecte, droits qui dans les colonies servent de décoration.

Lors de guerre de 1939 – 1945, l’Allemagne fit des prisonniers qu’elle remit à Paris pour un retour au pays, l’Afrique. Nous eûmes les morts de Thiaroye ; pour commencer et revivre les prouesses des frères de la côte, Côte d’Ivoire, Rwanda, morts, Burundi, morts, Zaïre, morts, Angola, morts, Togo, morts, Bénin, morts, Guinée, morts, Gabon, Tchad, morts, Centre Afrique, Somalie, morts.

Opération Turquoise, mort, opération Requin, des morts, des morts en RCA, le président, ancien tirailleur naturalisé Français pour excellents services rendus à la patrie, fut nommé président à vie, ensuite interdit de séjour à la France.  Nommé empereur par l’Elysée, il fut chassé du trône, ses domaines pillés. Ses diamants ? Hum ! N’avait-on pas oublié que la monogamie est de rigueur pour tout gaulois ? Il mourut moine. Cas que n’avait pas prévu la cellule africaine de l’Elysée.

Aussi le corps repose-t-il encore dans la brousse africaine, en attendant une décision du club Massiac dont les agents nuit et jour veillent sur le domaine privé qu’est l’Afrique noire. Moumier, compagnon du camerounais Um Nyombé ne fut-il pas empoisonné par un de ces agents spéciaux ? Bouaflé, morts, Dimbokro, morts, Dabou, Abidjan, Séguéla, morts, morts, Biafra, à la conquête du pétrole dont il faut priver certains pays en Afrique pour en faire demain des clients soumis. Les bibliothèques de la cellule ne seraient-elles pas pleines d’ouvrages relatant les prouesses des Frères de la côte ? Dont les avions nuit et jour ne cessent de nous tenir éveillés ?

Aussi des néophytes sortent-ils de ces lieux en hurlant  “même au prix de cent mille morts”, il nous faut le pouvoir.

Vedette, tapis rouge, gruman, applaudissements de la foule. A l’école ne nous a-t-on pas parlé de Las Casas, Marmontel, Abbé Raynal et de tous ceux qui ont lutté pour l’égalité des hommes ? Mais le club Massiac ne se promène-il pas avec des ‘‘fonds adéquat’’, la plus dangereuse des drogues et des armes ? Le président N’Krumah en voyage ne retrouva plus son siège. ‘‘La meilleure arme politique est la terreur. Tout ce qui relève de la cruauté impose le respect’’ a dit Himmler. Et que vivons-nous depuis 1944 ? Avons nous finit de compter les morts ? De voir nos maisons s’écrouler ? De voir des amis tombés à nos côtés ? De voir des quartiers s’enflammer parce que tel est le plaisir d’un individu qui se veut gouverneur ? Forêt classée, déclassée, peut-on énumérer tous les cas que chaque jour nous apporte ?

On parla d’indépendance et Sékou Touré eu des problèmes pour nous dire de rayer ce mot du vocabulaire. Le Syndicat des planteurs pris la tête de la lutte. Les morts jonchèrent les rues des villages qui brulaient et les prisons pleines, surpeuplées. Nous avions un député dont l’élection fut très difficile parce que les Frères de la côte déchainés voulaient les deux sièges. Nous nous approchions de l’époque où l’école nous fournissait trois ou quatre bacheliers par an et dansions à la barbe des Etats généraux de la colonisation. Et les femmes dans leur marche de protestation disaient ‘‘oui camarade, toutes les misères que l’on nous fait subir actuellement, c’est à cause de l’argent que les colonialistes tirent de notre pays. C’est pour cela que l’on emprisonne nos maris, nos frères et nos enfants, c’est pour cela que l’on nous impose de façon exorbitante’’.

Les Etats-Unis livraient la chasse au régime du kuklux klan et le président Obama ne peut que suivre cette voie lumineuse du respect de l’homme, même si l’Italie dans sa lutte contre l’Albyssinie reçut l’aide de la Société des Nations.

A la suite d’une conférence organisée par des serviteurs du pouvoir, Ekra Mathieu et ces amis furent arrêtés. Condamnés à mort avant d’avoir été jugés, qui sont-ils ceux qui à l’Elysée trônent dans la cellule africaine et ignorent que le monde évolue ?

Enfin, l’indépendance, une indépendance surveillée ; qui allait ranger les armes ?  Sanwi, pour les essayer et que dire de ce jeune homme qui vint de Paris pour dit-il appliquer une république républicaine à la place de la république monarchique, la république qui applique les idées d’un homme ? ‘Je fais ma politique’’ aveu qui rompit la confiance et mit à mort certains vieux syndicalistes. Doit-on penser au roi de Sikasso qui pour sauver sa liberté et sa dignité préféra mourir face aux troupes occidentales affamés de poudre et de soleil ?

‘‘Les gendarmes européens les forçaient à danser à la cadence des coups qu’ils recevaient’’, on nous jeta dans un fourgon à bestiaux arrosé de piment en poudre (rapport Damas). C’était une marche vers le pouvoir, ce vaste océan aux remous parfois imprévus et ceux qui disent et prédisent l’avenir ne sauraient être toujours à-jour. Ce qui est certain, c’est que le premier Septembre 1939, le coup de canon des Blancs rompit les chaines des Sans-culottes noirs. N’emportait-il pas l’ère du mépris et des injustices ?

Un matin, nous eûmes un président dont l’élection ne plut pas à tous. Dix ans de palabres. Ce président mit la main sur une banque, une banque qui même les hordes hitlériennes dans leur folie d’invasion respectèrent.

Longtemps contenue, la colère parisienne éclata, tel un volcan en éruption. Vaisseaux de guerre, sur l’océan, le ciel plein d’avions de guerre, les villes pleines de soldats, les bombardements vinrent de partout. Le pont De Gaulle avait ces morts, le pont Houphouët Boigny avait ces morts, des morts qui furent balayés telles des ordures ;  le palais présidentiel fut bombardé, la résidence fut bombardée, tous les résidents arrêtés, emprisonnés. Combien sont-ils les présidents de république traités comme des voyous ? ‘‘La France et ses tirailleurs’’ (Charles Onana) oh le beau titre. Dès les premières attaques de l’armé Allemande, ce sont encore les tirailleurs africains qui vont au feu pour défendre le territoire français contre l’invasion des S.S. ‘‘Les boches tiraient partout, les feuilles des arbres dégringolaient partout autour de nous’’. Les Allemands déploient leurs forces de frappe dans toute la région lyonnaise. Ils sont plutôt bien reçus par les tirailleurs sénégalais. (Onana)

Oui, un coup de poing, un coup de pied, une gifle donnée à un président de république africain est un affront pour tous, même pour les occupants brandissant le drapeau tricolore. Peut-on respecter des hommes quand on détruit même des monuments aux morts ? Quel avenir aura un pays soumis à des destructions, à des incendies d’archives, de documents à l’arrivé d’un autre président ? Ah ! Mon Dieu finira-t-on avec les arrestations pour marquer le droit de maître ? ‘‘A peine était-il sortit qu’un aide de camp du Général Leclerc entra, accompagné d’un très grand nombre de grenadiers qui m’environnèrent et s’accaparèrent de moi, me garrotèrent comme un criminel et me conduisirent à bord de la frégate la Créole’’ (Toussaint in J.P. Biondi) C’était à Saint Domingue, Paris se souvient-il ? ‘‘Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies’’ disait Danton en 1794. Au port, dans les rues, à l’aéroport, dans les airs, des occupants, des envahisseurs aux ordres de Paris.

Faire de notre pays un bagne pour le peuple qui parle de liberté. Une pléiade de serviteurs importés de Paris pour veiller sur le bagne aux habitants nuit et jour dépouillés, ‘‘la France que je combats écrit Théophile Kouamouo, cet Africain né à Charleville-Mézières’’. France libre reste avec nous, malgré ces pluies de bombes semées avec vif plaisir sur ces nègres descendant d’anciens tirailleurs qui parlent de dignité, ces enfants qui par ruées coururent vers les centres de recrutements en Septembre 1939.

08 Mai 1945 ! Fin de la guerre avec le parent allemand et début de celle avec les ‘‘Sans-culottes’’ africains, l’Afrique grand marché, et mine d’or d’où partaient les tirailleurs pour les isles, rébellion en mer, rébellion sur les chantiers, rébellion dans les villes, recherche de liberté et de dignités pour lesquelles le roi de Sikasso préféra perdre la vie face aux Troupes venues des bords de la Seine. Les Frères de la côte rangeront-ils jamais leurs barques ? Un président étant arrêté, battu, des domiciles fouillés, des richesses emportées, des hommes aussi, des documents déchirés, assaillants armés en colère circulant parmi des hommes désarmés.

Un matin, sur ordre du gouvernement, disent-ils, ils firent irruption chez moi, des FRCI, ils emportèrent bijoux et argent de mon épouse et la voiture de l’époux parce qu’il était président du CNRD. Prisonnier à Grand-Bassam ; Abidjan et autres ennuis, des temps qu’ils n’ont pas vécu.

Ordre du gouvernement. L’histoire, c’est l’histoire du wagon dans la forêt dans lequel furent signés des traités d’amnistice, l’histoire, c’est Hitler qui accepte de mourir et Mussolini pendu par les pieds. Le pouvoir, ils sont nombreux qui l’ont exercé et l’ont aussi abandonné. Les événements depuis 2002, des murs ; des coeurs et des corps en portent encore des traces, des balles des envahisseurs qui sèment la mort sur leur trajet. Des envahisseurs qui veulent éclairer leur voie à la lueur des mosquées et des églises. FRCI ! L’Europe industrielle a-t-elle encore besoin de bucher, de bois d’ébène ?

Maître du jour, mais pas du temps, au terme de mon séjour que vos armes se reposent. Je ne suis pas sûr qu’un coup ne parte d’une arme affamée. Epargnez moi cet affront.

Les morts d’hier et les morts d’aujourdhui, des rues, des maisons et des prisons vous saluent.

Bernard B. Dadié

-Grand prix de l’Afrique noire
-Grand prix de la Légion d’honneur
-Grand croix

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