A vaincre sans péril…

Le Pasteur Kenmogne a plus que probablement raison (voir Le Messager du 03 août 2011), de penser qu’en fait, si M. Biya tient tant à impliquer les ecclésiastiques et laïcs de l’Eglise catholique dans son processus électoral, c’est moins pour qu’ils y promeuvent la transparence et la sincérité dans les prestations des institutions où ils sont nommés, et le comportement des acteurs dont ils vont porter le sac, que pour qu’ils certifient, ou cautionnent à tout le moins, de leurs neutralité et moralité présumées, une victoire dont il se croit assuré, au regard de la dérision apparente de ses concurrents potentiels.

Car, de ce point de vue, et si l’on ne prend en compte que ce qui s’appellerait objectivement ” le rapport des forces en présence “, le candidat du Rdpc n’a pas besoin de frauder en 2011 pour se faire réélire, et cela quel que soit le nombre d’électeurs dans les urnes. La dérision tient au fait que ceux des opposants qui osent lever la voix, ne serait-ce que dans les médias, semblent n’avoir pour objectif que ” le départ de Paul Biya du pouvoir “. Ils sont pourtant conscients que le seul départ de l’actuel Président ne changera pas ” le système gouvernant népotiste et corrompu”, dont ce dernier apparaît d’ailleurs, par moments, plutôt comme l’otage servant de bouclier politique à l’oligarchie prédatrice.

Même si nous encourageons tous ceux qui en ont l’âge à s’inscrire sur les listes électorales, il nous semble bien douteux que le peuple camerounais veuille aller aux urnes pour élire des opposants qui viendraient assurer la continuité dudit système. Aussi pensons-nous qu’il serait de bonne politique d’organiser véritablement un dialogue national permettant une refondation institutionnelle de l’Etat camerounais, et cela même si par cette espèce de défi à l’opinion dont ” l’homme lion “ est coutumier, le scrutin était maintenu entre le 9 et le 13 octobre prochains. Rien en effet n’interdit au Président réélu, dont le mandat serait de toute façon celui de la sortie…, de donner à son peuple, si tant est qu’au moins de temps en temps il pense à lui, l’opportunité de se donner un consensuel Etat de droit.

La dérision de toutes les candidatures éventuelles de l’opposition tient en second lieu, au fait que la plupart d’entre elles ressemblent à une blague de mauvais goût, de la part des gens qui ne peuvent pas le moins (être conseiller municipal par exemple) et qui croient avoir seulement vocation à pouvoir le plus (être président de la République). Parce que, semble-t-il, le métier de président de la République en serait un qui ne s’apprend pas. Ce qui fait dire dans la rue que ces candidats, au demeurant adeptes selon nous, de la révolution du verbe, sont des ” chasseurs des millions de la campagne électorale “.

Elle tient enfin (cette dérision), au fait que les cathédrales d’égo que sont les leaders des partis politiques camerounais se croient chacun assez fort individuellement, dans un scrutin qu’on sait pourtant à un seul tour, pour pouvoir battre M. Biya dans les urnes, seulement en capitalisant sur leur discours dénonciateur tous les mécontents fabriqués par la mal gouvernance.

Si chacun d’eux aime bien évoquer l’éventualité d’ ” une candidature unique de l’opposition “, c’est à condition que ce soit lui que les autres choisissent. Ce qui indique le niveau de leur générosité démocratique. Ils auraient pourtant pu s’inspirer de l’exemple du parti socialiste en France, puisqu’ils se disent tous de gauche, pour organiser des primaires au suffrage universel direct. Le plus populaire d’entre eux serait ainsi devenu le candidat “naturel et unique “ de l’opposition. Et si nous employons le passé antérieur pour le regretter, c’est qu’ici et maintenant, il n’y a plus d’opportunité si le scrutin d’octobre n’est pas reporté. Car à l’heure qu’il est sur l’horloge du processus, seule une reconversion inattendue de notre Président peut lui inspirer un report au motif politique.

Le peuple camerounais souhaite aujourd’hui un profond changement de gouvernance, même si le Comité central du Rdpc instrumentalise ” les élites intérieures et extérieures “ des villages, en toute connaissance de cause, pour faire pression sur Paul Biya, sous le prétexte fallacieux des ” appels du peuple “.

Pendant que M. Biya semble accorder un certain crédit à ce subterfuge de la décennie servi par sa cour, et qui vient sans doute donner le change à son immense solitude, l’opposition semble découvrir que la longévité au pouvoir est un obstacle au processus démocratique, mais pas dans ses partis politiques. Elle se laisse même convaincre par quelques puissances Occidentales, que le mal du Cameroun se trouve davantage dans la longévité du pouvoir de M. Biya, que dans la tromperie et l’incompétence politiques du système mandataire et protecteur d’intérêts occidentaux, dont le dirigeant camerounais, comme son prédécesseur, est le gardien attitré depuis trois décennies

Cette opposition qui dans son ensemble est hantée par la tentation de l’entrisme, jure pour les uns, qu’il y aura zéro élection si toutes les conditions de transparences ne sont pas réalisées, et pour les autres, qu’avec ou sans élection, Biya doit ” dégager “. Dans l’un et l’autre cas subsiste cette question sans réponse: quel mode opératoire ?

A vrai dire, l’opposition camerounaise n’a aujourd’hui que le choix entre le changement institutionnel dont l’élection présidentielle d’octobre lui offre une opportunité apparente, et le changement insurrectionnel pour lequel ne s’offrent à elle que deux solutions : le coup d’Etat ou la révolution populaire.

Dans le premier cas, elle aurait besoin d’une force tierce dont la complicité n’est pas acquise a priori si vous suivez notre regard. Dans le second, elle aurait à établir un lien organique entre la situation prérévolutionnaire qui apparaît sur le terrain, et une idée révolutionnaire qui trotte peut-être dans quelques têtes à titre individuel, mais dont la transformation en un projet de société ne peut être qu’une œuvre collective. Seule une idée révolutionnaire élaborée peut transformer les révoltes additionnées en une dynamique révolutionnaire porteuse de changement positif. Encore faut-il qu’une telle révolution soit encadrée par des leaders visionnaires pouvant en empêcher les dérives excessives et ou fractionnistes.

Si la politique était une science mathématique, on pourrait au regard de ce qui précède, affirmer que de toute évidence, l’opposition camerounaise n’est pas en mesure de réaliser en 2011, le changement qu’elle promet de mille manières, sans s’asseoir pour le penser et l’inscrire dans la durée, effrayant seulement le pouvoir en place, comme pour l’aider à consolider les conditions de sa longévité. Paul Biya n’aurait donc plus qu’à vaincre sans péril des adversaires fantômes, quitte à triompher sans gloire.

En réalité, ceux qui pensent vraiment au changement de gouvernance au Cameroun, devraient plutôt viser les élections nationales de 2012 (municipales et législatives) qui sont susceptibles de donner une lame de fond à une alternance de la gouvernance dans les Communes et à la Représentation nationale. C’est ce que nous autres avons la naïveté de croire, quitte à être démentis par les faits.

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