Il est 20 heures ce vendredi 7 août 1914. La Cour après avoir entendu Rudolph Duala Manga Bell, a regagné le prétoire où l’attend son verdict. Comme un couperet il tombe : Rudolph Duala Manga Bell, est déclaré coupable de haute trahison. Le condamne à mort par pendaison. Il sera exécuté le samedi 8 août 1914 à 16 heures et enterré dans le cimetière indigène. !
Ainsi a en a décidé la Cour qui au 19ième siècle au Cameroun est dirigée par un certain Niedermeyer, un juge allemand assisté par Hermann Röhm, alors administrateur du district de Douala. Ce qui est reproché à Rudolph Douala Manga Bell, c’est sa prétention à défendre la souveraineté territoriale de son Cameroun en demandant aux allemands de respecter leur pacte. Ceux-ci ne l’entendent pas de cette oreille ! Ils l’exécutent pour « haute trahison ».Trahison ? Allons donc ! Rudolph Duala Manga Bell n’a eu qu’un simple sursaut d’orgueil. Un réflexe d’un homme à principes qui se sent investi d’une mission. D’un homme qui refuse de n’être qu’un un sujet prêt à tordre es convictions après un seul coup de chicotte et qui se rappelle qu’avant d’être un sujet, il est un être de conscience. Quelqu’un pétri de valeurs. Soucieux de l’éthique et d’une certaine dignité.
L’histoire bégaie mais elle ne se répète. L’exécution de Rudolph Duala Manga Bell, en 1914, ressemble à la mise à mort des régimes dirigés par ceux dont on découvre la mal-gouvernance en prenant comme bouclier leur propre peuple pour les mettre hors de course.
L’occident a toujours eu la même attitude : ne tolérer vivants que les dirigeants africains ou du tiers-monde disposés à défendre leurs intérêts à eux. Ne supporter que ceux et celles qui seraient capables de laisser leurs multinationales s’abreuver à nos ressources en pompant aussi vite qu’ils pouvaient l’essentiel de nos énergies. Il était une fois, Rudolph Duala Manga Bell. Prince de son statut, rebelle de son état, homme lucide par sa conscience.
Sa vie est racontée dans de nombreux textes. Son exécution a fait l’objet de nombreuses représentations et son histoire doit être contée pour que l’on comprenne ce que l’Afrique a perdu du point de vue des arches qui doivent former sa mémoire.
La vie et la mort de Rudolph Duala Manga Bell résument assez les de même qu’elle dévoile les faiblesses quasi ontologique du mouvement révolutionnaire en Afrique Centrale. Car le chemin de la lutte est jonché que de cadavres érigés en héros et martyrs, exécutés par pendaison, livrés, tués, décapités. Un siècle d’histoire héroïque, où la plupart des héros ne connurent que la mort. L’exécution. Avant de développer sur ce phénomène de l’histoire des luttes politiques et sociales au Cameroun, il faut revenir à Rudolph Duala Manga Bell.
Dans trois ans, on commémorera le centenaire de la mort de Rudolph Duala Manga Belle, exécuté par les allemands le 8 Aout 1914. Il n’était pas seul ! Parmi les martyrs-héros-victimes, il y eut : Henri Madola. Martin Paul Samba. Ngosso Din et de nombreux autres anonymes. Pour les Allemands, il s’agissait de donner une leçon à tous ceux et toutes celles qui vont oser lever la tête contre leur domination. Mais il faut dire qu’en 1914, l’Europe est à la veille de la première guerre mondiale l’Allemagne n’est plus très sure de sa suprématie.
L’exécution des rebelles ou traites augure du début du déclin de l’empire Allemand. C’est un signe prémonitoire. Une alerte à la vigilance que les Allemands n’entendent pas prendre de cette manière. Pour le Cameroun, c’est la première gifle à son autonomie et le début d’une aventure ambiguë pour la construction d’une mythologie révolutionnaire. La figure des héros va s’inscrire dans cette image de martyr, d’inspiration judéo-chrétienne. (Le sacrifice de Jésus !!!) . Le récit de leurs faits d’armes sera jalonné de morts, secoué par des destins individuels exceptionnels mais toujours soldé par leur échec : morts, pendaisons, exécution !
Revenir à la pendaison de Rudolph Duala Manga Bell, près d’un siècle après sa mort, consiste à interroger les symboles et personnages qui ont structuré le référentiel da valeurs politiques qui consolident une conscience nationale. Bref les fondements d’un Contrat Social ! Dès le 19ième siècle, le premier mort pour la Nation camerounaise, tombe sous l’arme coloniale, avec pour tout viatique sa dignité, son haut sens moral mais aussi hélas, une certaine résignation.
Pourtant cette dimension ontologique de la défaite, inscrite dans les faits d’armes de Rudolph, ne sera guère perçue par les quelques historiens qui ont pris la peine de raconter sa vie. Et s’il y a un silence inouïe sur Um Nyobe, Ernest Ouandié, Félix Moumié, Ossende Afana , sur Rudolph Duala Manga Bell il y eut plusieurs écrits , des œuvres artistiques qui vont se servir de la trame tragique de sa vie .
Des livres ont parlé de Rudolph, citons quelques uns des plus significatifs : en 1978 le journaliste et chroniqueur Iwiy’a Kala-Lobè écrit : « Rudolph Duala Manga Bell : héros de la résistance Duala ». Si l’ouvrage est remarquablement bien écrit, il reste contingenté par une logique communautariste que l’on perçoit dès le titre. Rudolph Duala Manga Bell, ne serait que le héros des Duala.
Il faut attendre 1992, pour avoir droit à une autre référence à la vie de Rudolph. C’est à travers de l’œuvre du dramaturge David Mbanga Eyoumbwa, dans son « Ngum’a jemea : Rudolph Duala Manga Bell », qui fait de l’homme un personnage à la fois excentrique, rebelle et rêveur : un autre Toussaint Louverture ! Là encore Rudolph est présenté comme un héros de la résistance … Duala ! Il faudra attendre les années 2000, pour qu’en 2006, un universitaire, Bouopda Pierre Kamé (Bopika), livre dans son ouvrage paru aux Ed. L’Harmattan : « Cameroun du protectorat vers la démocratie », une autre version de la résistance du héros, en remettant en perspective le combat de Rudolph Duala Manga Bell. Dans cet ouvrage Rudolph Duala Manga Bell est présenté comme un visionnaire, un idéaliste en quête d’une identité africaine et luttant pour la souveraineté territoriale de tout un continent et non plus pour la préservation de l’espace foncier d’un seul groupe. Fondateur du nationalisme camerounais.
Mais l’exploration des faits d’armes et de la vie de Rudolph ne s’arrêtent pas là ! Il force l’admiration des plus jeunes, et en 2005, Joël Kondo, livre : « le procès du Roi douala Manga Bell, martyr de la liberté ». La caractéristique de toutes ses interprétations est qu’elles sont essentiellement le fait des hommes (le genre) ensuite elles ne s’intéressent qu’à la dimension politique du héros résistant, nationaliste, martyr de la liberté ! La vie de celui qui semble avoir fasciné tous les auteurs qui l’on approché à travers récits et témoignages semble contenir les ingrédients qu’il faut pour la dramaturgie d’une pièce de théâtre ou le récit épique d’un film historique.
La vie de Rudolph est tellement sublimée qu’elle inspire même des chorégraphes… Cette exécution après un procès lapidaire, ce caractère implacable de la sentence, ce peuple endeuillé et tétanisé après la pendaison publique, ce désir farouche de liberté, vont alimentent le « Solo pour Duala Manga Bell » écrit et présenté par Georgette Louison-Kala-Lobè, en 2006. La danseuse et chorégraphe explique ses motivations : « Le chorégraphe se doit à travers l’interprète de faire surgir le cœur, l’âme, de donner accès à l’univers intérieur. La danse ; son langage est porteur de différence, de singularité et d’universel ; différence d’origine, de culture ; singularité par la personnalité de l’interprète ; d’universel par l’entité de l’être humain, cette identité qui nous relie malgré tout à notre humanité profonde. Je ne vous parle pas de concept mais de matière ; de matière visible et invisible par laquelle se perpétue l’aventure de la création. Une trace sensible dans la symphonie du monde. » . Elle, donne accès à l’univers intérieur de Rudolph en fait un être de chair et de sens, qui sent venir le moment fatidique et qui comme toutes les âmes humaines s’interroge. La richesse des explorations de la vie de Rudolph, donne la dimension du mythe du héros résistant et suggère le besoin de repères forts ! Dans une histoire où la mémoire des peuples Noirs n’a retenu que la décadence des vaincus ! Rudolph a paradoxalement inspiré des textes forts et beaux. , des textes d’espoir, mais dont la puissance se délite entre les pages que l’on tourne ou dans le cercle de craie caucasien d’une pièce de théâtre ou d’un solo, même magnifiquement chirographier.
Le 8 août 2011, les seuls qui comméreront la 97ième année de sa mort, seront les mêmes : comme depuis cent ans : ses descendants. Sa famille et l’extension de celle-ci. Cette situation on sait qu’elle emprisonne tous les héros d’une Nation que l’Etat n’a pas su bâtir sur la mémoire collective. Alors de manière disparate et diffuse, les communautés s’agrippent à ces parcelles d’identité comme pour ramener la Nation à une géographie plus acceptable. C’est sur, Rudolph, n’aurait pas aimé cela !
Gens du Cameroun, Que le sang de Manga (Rudolf) Bell fortifie ceux qui prennent le chemin de la liberté.
Suzanne Kala-Lobè