Tracts politiques. Dix sept jeunes arrêtés et torturés à Douala

Ils ont été arrêtés et jetés dans les cellules infectes de la légion de gendarmerie et de la brigade de Deido-Bonateki à Douala, pour avoir distribué des tracts. Battus, ils n’ont été présentés au procureur qu’après plus d’une semaine d’incarcération, et remis en liberté pour attendre leur jugement.

Il est 18 h environ, ce 12 octobre, la nuit commence à tomber. Dix-sept jeunes sont sortis des cellules du tribunal de Première Instance de Douala. A ceux qui sont venus les chercher, un agent de police délivre un message péremptoire: “Nous ne voulons pas d’attroupement aux abords du palais. Ils seront libérés un à un et si cela n’est pas respecté, nous les renverrons en cellule. N’oubliez pas qu’il ne s’agit que d’une libération provisoire.”

Arrêtés le 04 octobre, ces dix-sept jeunes, dont deux mineurs, présentent les marques d’une détention éprouvante : amaigris, les cheveux ébouriffés, les dents jaunies, le regard pâle et terne, ils sont vêtus de haillons sales, et certains ont les pieds nus.“Pendant huit jours d’incarcération dans des mouroirs qualifiés de cellules, nous n’avons pas pu nous laver, ni nous brosser les dents, ni manger à notre faim. Nous revenons de loin”, résume Tagne, le plus grand du groupe, âgé d’une trentaine d’années.
 
Séquestration et tortures

Alors qu’ils distribuaient des tracts signés de Mboua Massock, homme politique et activiste appelant à un meeting de la Nodyna pour boycotter l’élection présidentielle du 09 octobre, ils ont été pris en chasse par des gendarmes. “Nous étions sur une route secondaire, loin de la chaussée, distribuant notre message qui invitait les Camerounais à un important meeting du combattant Mboua quand nous avons été interpellés”, précise Tagne. Au moment des faits, il a encouragé ses amis, dont quelques uns prenaient la fuite, à se rendre. Les gendarmes les ont roués de coups et conduits à la compagnie de gendarmerie de Bonabéri. Sur ordre, le chef de cette unité les a fait transférer à la légion de gendarmerie du Littoral à Bonanjo, où ils ont été interrogés par des officiers de police. Leurs tracts et leurs tee-shirts à l’effigie de Mboua Massock ont été retenus. Puis ils ont été jetés dans une cellule de 5 mètres carrés avec pour chef d’accusation : “troubles à l’ordre public”.

“Les uns couchés sur les autres, nous étouffions, le sol était inondé de notre sueur. A 2 h du matin, l’un d’entre nous a commencé à suffoquer. N’arrivant plus à respirer, il était sur le point de mourir. Nous avons crié fort, créant un vacarme assourdissant”, explique un membre du groupe.

Les dix-sept ont alors été sortis de leur cellule et, après un coup de téléphone du gendarme de service à sa hiérarchie, treize ont été conduits dans deux cellules de la brigade de Deido-Bonatéki sur les berges du Wouri. Là aussi, les conditions de détention sont lamentables. Les cellules ont certes des toilettes, mais pas d’eau. Les détenus n’en reçoivent que quelques seaux par jour, en fonction de l’humeur des gendarmes, pour chasser leurs excréments. Les gendarmes en faction les insultent et par moment les aspergent d’eau.

Leurs téléphones ayant été confisqués, ils ne peuvent pas informer leurs familles. Ils n’auront droit à leur premier repas qu’au deuxième jour de leur incarcération grâce à un gendarme. “Nous avons supplié ce gendarme et lui avons payé 700 Fcfa de frais de commission pour qu’il aille nous acheter de quoi manger “, explique Tagne. Au huitième jour de détention, les dix-sept suspects ont été présentés au procureur. Un retard que le commandant de la brigade de Deido-Bonatéki justifie par le déroulement de l’élection présidentielle qui, selon lui, avait mobilisé toutes les énergies. Au moment de ce transfert, la brigade de Sodiko, qui n’a pas participé à leur arrestation, est “entrée dans la danse”. Le chef d’accusation a alors changé : ce n’est plus “troubles à l’ordre public”, mais “organisation de réunion sur la place publique, obstruction de la voie publique et refus d’obtempérer aux injonctions des forces de l’ordre”. Le groupe a rejeté tout en bloc. Le procureur a décidé de relaxer les deux mineurs et d’inculper les 15 adultes qui comparaîtront libres.
 
Violation des droits des suspects

Cette nouvelle affaire constitue une preuve supplémentaire de non respect, par les forces de l’ordre, du code de procédure pénale camerounais. Celui-ci proscrit toute atteinte à l’intégrité physique ou morale de la personne appréhendée. Il stipule bien plus en son article 37 : “Toute personne arrêtée bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d’entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil, de rechercher les moyens pour assurer sa défense, de consulter un médecin et recevoir des soins médicaux et de prendre les dispositions nécessaires à l’effet d’obtenir une caution ou sa mise en liberté”. Une opportunité qui n’a pas été permise aux dix-sept appréhendés qui ont par ailleurs été gardés à vue pendant huit jours avant d’être présentés au procureur. Très loin des 24 heures, renouvelables une seule fois, prévues par la loi.

“Les violations des droits des citoyens sont devenues la norme au Cameroun et cela n’émeut plus personne”, regrette Me Ruben Moualal, avocat à Douala et conseil des jeunes.“Je suis content qu’un procès ait été ouvert contre eux, car ce sera pour nous une tribune qui va nous permettre de dénoncer les travers du régime de Yaoundé et montrer à la face du monde le vrai visage de la justice camerounaise”, promet l’avocat, qui reste confiant. Il espère bien que toutes les charges retenues contre ces jeunes gens seront abandonnées, car infondées.

Théodore Tchopa et Charles Nforgang (Jade)

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