Dossier. Le serment trahi de Paul Biya

Fidélité. Quand le fils tue le père

Pour asseoir son pouvoir, le nouveau président a vite fait d’oublier la promesse de suivre les traces de son prédécesseur, qu’il s’emploie à tuer symboliquement…

Dixit Ahidjo lors de sa démission en 1982 : « J’invite toutes les Camerounaises et tous les Camerounais à accorder, sans réserve, leur confiance et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel M. Paul Biya. Il mérite la confiance de tous, à l’intérieur et à l’extérieur ».

Réponse de Biya au moment de sa prestation de serment : « Aussi, dans le cadre de ce serment, j’entends situer l’action des années à venir sous le double signe de l’engagement et de la fidélité. L’engagement, d’ordre constitutionnel, est la réaffirmation du serment que je viens de prêter. J’entends alors, avec l’aide de toutes les Camerounaises et de tous les Camerounais, et en ma qualité de président de la République, chef de l’Etat et chef du gouvernement, m’acquitter de ce devoir sacré que m’impose la Constitution : à savoir, veiller à son respect, comme à l’indépendance, à la souveraineté, à la sécurité et à l’unité de l’Etat, assurer la conduite des affaires de la République. Mon illustre prédécesseur n’a jamais failli à ce devoir. Je n’y faillirai point ».

Tu quoque mi fili (« Toi aussi, mon fils ! ») En voyant parmi ceux qui voulaient sa mort, celui qu’il considérait comme un fils adoptif, Marcus Brutus, César semble se résigner à mourir dignement. Protégeant son visage des coups d’épée et de poignard en se drapant dans sa toge, il prononce ces paroles qui seront ses dernières : “Tu quoque, mi fili” ?

Le parricide existe depuis la nuit des temps. Le fils, pour exister, doit tuer son père. Mort symbolique ou mort physique ? On ne peut pas dire que Biya a dérogé à la règle dans le conflit qui l’a opposé à Ahidjo après une succession salué par tout le monde.

Mais qu’est-ce qui fait aujourd’hui problème ? Ahidjo est mort et enterré à Dakar, loin des siens. Depuis on attend que Biya autorise le retour de ses restes, mais de pirouettes en pirouettes, le statu quo demeure.

Même la médiation d’Emile Derlin Zinsou n’a rien donné. A la suite de la visite au Cameroun de l’ex-chef d’Etat béninois, il y a quelques années, on a reparlé du rapatriement de la dépouille d’Ahidjo. Le probable rapatriement de la dépouille du président Ahmadou Ahidjo devait également être suivie  d’un deuil national de 48 heures, ainsi que des manifestations à Yaoundé et Garoua.

Ce sujet avait été au menu de la rencontre, entre le président de la République du Cameroun, Paul Biya, et l’ancien président de la République du Dahomey, aujourd’hui Bénin, Emile Derlin Zinsou. On apprenait surtout,en mars 2008 que ce vieil ami du défunt président camerounais a été contacté par des émissaires de Paul Biya pour faciliter le dialogue entre le pouvoir actuel et la famille Ahidjo, notamment Germaine Ahidjo, la veuve de l’ancien président.

Aujourd’hui encore, après trente ans de pouvoir, La dépouille d’Ahidjo reste toujours attendue. Les restes du prédécesseur de Paul Biya mort le 30 novembre 1989 tardent à rejoindre le bercail malgré quelques tentatives.
Dans une interview à nos confrères de France 24 en septembre 2007, et alors qu’il était interpellé sur le sujet, Paul Biya avait indiqué que rien ne s’opposait au rapatriement de la dépouille de son prédécesseur qui relevait, selon lui, de sa famille. Une position que n’avaient pas partagée des membres de la famille Ahidjo qui faisaient alors savoir qu’en raison de la stature de l’ancien président de la République, le rapatriement de sa dépouille était une affaire d’Etat. Une mission instruite par le président de la République et conduite par celui qui était à l’époque conseiller spécial à la présidence de la République et actuel directeur du Cabinet civil, avait séjourné à Dakar du 8 au 14 juin 2009.

Un voyage au cours duquel il avait eu des contacts avec des proches de la famille de l’ancien chef de l’Etat, dont la veuve Germaine Ahidjo, et celui qui était apparu comme l’un des derniers amis de l’intéressé, l’ancien président du Dahomey (actuel Bénin), Emile Derlin Zinsou. Nos sources indiquaient à l’époque que le rapatriement de la dépouille de l’ancien président de la République au Cameroun devrait se faire au cours de la première quinzaine du mois de mars 2010. Nous sommes au début d’un nouveau septennat et on ne voit rien venir…

Edouard KINGUE

Intégration. L’unité nationale sacrifiée à l’autel de calculs politiciens

L’élection présidentielle d’octobre 2011 a fait l’effet, dans certaines localités du pays, d’un coup de ciseau sur une plaie qui peine à guérir : le tribalisme. Le candidat Jean-de-Dieu Momo, très peu connu dans la région du Sud où son parti, les Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (Paddec), a été interdit de battre campagne à Meyomessala, le village du chef de l’Etat. A Kiye-Osi, une autre localité de la même région, les originaires du Noun (Bamoun) ont été violemment pris à partie par les autochtones pour leur sympathie supposée ou réelle pour Adamou Ndam Njoya, le président de l’Udc. Les batailles rangées, voire des conflits ouverts enter-ethniques remettent souvent en question la notion d’intégrité nationale si chère à Paul Biya.

Au mois d’août 2011, lors d’une double cérémonie d’intronisation et d’installation du chef traditionnel de Yansoki à Douala, le porte parole de l’élite locale a décrié la cohabitation peu ou prou harmonieuse entre autochtones et allogènes. En février 2008, au plus fort des émeutes « de la faim », élite béti de Yaoundé, André Mama Fouda, ministre de la Santé publique a publiquement demandé aux allogènes « fauteurs de troubles », d’aller le faire chez eux. A Douala, les chefs traditionnels n’ont pas poussé le bouchon aussi loin. Mais ils ont dû user de la palabre africaine pour conjurer les démons du désordre perpétré par « ceux qui sont venus d’ailleurs » qui ne sont pourtant pas moins des Camerounais.

Sur l’ensemble du territoire camerounais couvent des tensions inter-ethniques susceptibles de dégénérer à tout moment. Et pourtant le discours officiel est souvent fait de fines et douces épices sur l’unité et intégration nationale. Selon le plan d’action nationale de promotion et de protection des droits de l’homme élaboré par la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, « l’approche camerounaise de la diversité ethnique est en principe assise sur l’affirmation des principes constitutionnels d’unité et d’indivisibilité, traduits sur le terrain des droits de l’homme par la consécration de tous les citoyens à l’égalité et à la non-discrimination. Toutefois, les éléments de diversité sont pris en compte pour des besoins à la fois de stabilité politique et de protection concrète et efficace des droits fondamentaux ».Ces principes sont à la fois d’origine internationale et nationale.

La Cndhl fait d’ailleurs remarquer que sous l’angle textuel, la diversité ethnique n’exerce pas une influence décisive sur l’égalité des droits humains au Cameroun. Cependant, afin d’éviter qu’une approche générale et abstraite de la question ne débouche sur une protection partielle ou partiale des droits de l’homme, le droit camerounais a pris en compte certains traits spécifiques qui sont à l’origine de certaines dispositions dérogatoires.
Le rapport de la Cndhl relève par ailleurs que dans l’intention d’assurer une présence équitable des nationaux de toutes les régions tant dans les grandes écoles que dans la fonction publique, le gouvernement a élaboré et mis en place une politique dite d’équilibre régional.

Cette politique sera dévoyée au fil des ans dans son application et noyée dans d’inextricables combines. Au point de favoriser la promotion de fieffés cancres. Si elle n’est pas tout simplement confisquée par les apparatchiks du système en faveur de leurs rejetons et de leurs proches. 

Les confidences du ministre d’Etat chargé de la Justice, Amadou Ali, à l’ambassadeur des Etats-Unis, confidences révélées par Wikyleaks sur une confiscation du pouvoir politique par les seuls ressortissants du Grand Nord et des Beti-Boulou en excluant notamment les « Anglo-bami » détenteurs du pouvoir économique est symptomatique de la précarité de l’unité et de la stabilité du pays.

Une constitution qui divise

La récente sortie du représentant des originaires du Grand Nord dans la campagne « Paix au village » organisée à Douala par les chefs traditionnels sawa du Wouri donne un peu la portée de cette politique d’équilibre dans une métropole aussi cosmopolite que Douala. Selon les porte-parole des régions septentrionales à Douala, « la démocratie étant la loi de la majorité qui protège la minorité, elle ne saurait s’appliquer partiellement dans le contexte de Douala ». Et de poursuivre « nous avons compris tous que quand l’homme est troublé au dedans de lui-même, il n’est plus en paix et peut, de ce fait, poser des actes incontrôlés en dépit de l’éducation qu’il a reçue ».

C’est dire que la case de l’unité nationale comporte des matériaux qui résistent mal à l’épreuve du temps et des égoïsmes plus ou moins prononcés dans un pays dont la loi fondamentale consacre des clivages entre autochtones et allogènes, minorités sociologiques et les autres etc… Vous avez dit équilibre instable ?

Jacques Doo Bell

Tripatouillages. Petites libertés avec la Constitution

Fruit des accords de la Tripartite de 1991, la Loi fondamentale de janvier 1996 a déjà été modifiée alors que toutes ses dispositions n’ont pas encore été appliquées.

On n’aura jamais autant parlé de constitution au cours de la  décennie 2000 comme en cette année 2008. Leaders de partis politiques, d’associations, intellectuels, journalistes ont en effet envahi l’espace public en  tout début de cette année-là  pour donner leurs avis sur  la question d’une modification constitutionnelle ouverte par l’élite administrative du département de la Lékié et prolongée par Paul Biya himself dans son discours de fin d’année 2007. L’appel dit de la Lékié conduite par Essimi Menyé, Henri Eyébé Ayissi et autre Benoît Ndong Soumet « exigeait » une nouvelle candidature de Paul Biya au moment où le chef de l’Etat était censé effectuer son dernier mandat.

Ce qui avait valeur de ballon d’essai suscite la colère de la société civile et de l’opposition. En guise de réplique, les thuriféraires brandissent la liberté « de chaque peuple à choisir son destin ». Pour que Paul Biya soit réélu une 6e fois, il fallait qu’absolument la constitution « en vigueur » soit amendée, notamment l’article 6, paragraphe 2 qui dispose que « le président de la République est élu pour un mandat de sept (07) ans renouvelable une fois ».

Malgré la levée de boucliers de l’opinion, prolongée par les émeutes de février 2008, elles mêmes matées dans le sang, un projet de loi portant modification de la Loi fondamentale (sans état d’âme pour les accords de la Tripartite) est déposé par le président de la République à l’Assemblée nationale, composée à plus des 2/3 par des députés du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Le projet de texte est validé par la chambre. Afin de montrer à la face du Cameroun et du monde que cet amendement ne vise pas à maintenir Paul Biya au pouvoir à vie, en faisant sauter le verrou de la limitation des mandats, les porteurs de ce projet font modifier d’autres dispositions de la loi.

Mais la manœuvre peine à convaincre d’autant plus que ces autres amendements profitent  à la personne Paul Biya. L’article  53 (3) prévoit une immunité à vie à un ancien président de la République. Une nouvelle disposition qui met l’actuel locataire du palais d’Etoudi à l’abri de toute poursuite pour tout acte accompli dans l’exercice de ses fonctions antérieures. La loi fondamentale dispose désormais que « le Président de la République qui a cessé d’exercer ses fonctions ne peut être mis en cause, poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé pour les faits définis par la loi organique prévue à l’article 81 de la constitution ».

Le troisième amendement quant à lui porte sur une révision des délais de l’organisation d’un scrutin en cas de vacance au pouvoir. L’article 6 (4) modifié porte de 40 à 120 jours le délai maximum prévu pour la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Le second rectificatif  portant sur l’article 6 (4) c) de la constitution est additionnel : il consiste à conférer au président de la République par intérim le pouvoir de décider d’un remaniement gouvernemental, après avis simple du Conseil constitutionnel, « en cas de nécessité liée à l’organisation de l’élection présidentielle ». En d’autres termes, le successeur qu’aura laissé Paul Biya ou simplement l’affidé de ce successeur « testamentaire »  peut se débarrasser d’un ministre gênant ou tailler la Constitution à sa mesure sur simple avis du conseil constitutionnel.

Parlement

Mais encore faut-il que cette instance soit mise sur pied. Car parmi les griefs formulés par le courant opposé à la fameuse modification de 2008, se trouvait en bonne place celle de la mise en place de toutes les institutions et la mise en route de certains mécanismes annoncés comme innovants pour la marche de la cité, lesquelles sont prévues par la Constitution de janvier 2008. Ce sont notamment un parlement constitué de deux chambres ; un conseil constitutionnel qui juge de la constitutionalité des lois ; la déclaration des biens de toutes les personnes ordonnatrices de crédits, l’accélération du processus de décentralisation. Mais, en 15 ans de vigueur, la constitution du 18 janvier  déjà amendé n’a jamais totalement été appliquée.

Toute chose qui induit que celle de 1972 acquise sous le parti unique reste (dans certaines des ses dispositions) en vigueur. C’est ainsi que la Cour suprême au lieu du conseil constitutionnel proclame le vainqueur de chaque élection ; c’est le président de l’Assemblée nationale et non celui du Sénat qui assure l’intérim en cas de vacance à la tête du pays. C’est uniquement l’Assemblée nationale qui tient lieu de parlement au moment où la loi fondamentale (celle de janvier 1996) prévoit que le parlement réuni en congrès qui décide des lois constitutionnelles. 

Mais ces institutions promises par Paul Biya en 2008, 2009, 2010 et jeudi 3 novembre 2011 au cours de sa dernière prestation de serment n’ont jamais pris corps. Donnant l’impression que la mise sur pied d’institutions solides, point de départ de la séparation des pouvoirs, donne l’insomnie à l’homme du 6 novembre 1982 dont le plus grand rêve n’est sûrement pas de laisser aux Camerounais « l’image de celui qui aura apporté la démocratie et la prospérité ». Mais celui de rester au pouvoir à vie. Et à s’autoriser des libertés à la faveur de la loi fondamentale torpillée, mutilée, décapitée.

Rodrigue N. TONGUE

Education. Le diplôme camerounais sur la voie de la dévaluation

Paul Biya, le président de la République du Cameroun a placé son nouveau septennat sous le signe des grandes réalisations. Avec quelle jeunesse  compte-t-il le faire ? Cette interrogation taraude l’esprit de bien d’observateurs avertis, écœurés par les fruits que produit le système éducatif actuel en vigueur au Cameroun.

De l’anarchie ! C’est ainsi que certains parents de la vieille école qualifient le système éducatif camerounais d’aujourd’hui. Et c’est tout naturellement que ses fruits sont du « n’importe quoi », soutiennent-ils. « Le licencié de maintenant est incapable de construire deux phrases françaises correctes. Des fautes qu’un titulaire du Cep des années 70 ne pouvait  commettre. C’est grave quand on dit que la jeunesse est le fer de lance de la nation », déclare un septuagénaire amer. Pour celui-ci comme pour bien d’autres de sa génération, le système éducatif camerounais fabrique plus de diplômés que d’hommes réellement utiles à la société d’où l’on pourrait comprendre cette affirmation de Odile Tobner (épouse de l’écrivain Camerounais Mongo Béti) : « Les intellectuels camerounais sont victimes d’une maladie inoculée par les germes du pouvoir appelée la diplomite » par cette préoccupation, il apparaît aujourd’hui, que les Camerounais sont devenus intellectualistes qu’intellectuels.

Le taux de chômage, selon l’analyse de certains chefs d’entreprises, ne cesse de grimper parce qu’il y a moins de spécialistes : « quand on lance un recrutement, on reçoit plusieurs dossiers, mais on en retient peu. Tout simplement parce que les enfants ne sont pas formés pour le marché de l’emploi ». Par exemple, note un expert, il existe seulement treize lycées  agricoles au Cameroun sur toute la panoplie que compte le pays. Un pays qui vit pourtant à 65% des activités agricoles selon les statistiques officielles. Le plus dur « c’est que la majorité des enseignants de ces établissements ne sont pas des agronomes. On leur enseigne quoi donc?», s’interroge-t-il.

Au-delà du déficit criard d’infrastructures et des programmes éducatifs solides basés sur des valeurs, un instituteur note que l’environnement général est plutôt à la dérive. « Avec la corruption, les enfants achètent des diplômes, font du maraboutage pour les avoir, les centres culturels sont fermés, les grands débits de boissons et salles de jeux sont situés à proximité des établissements scolaires. C’est pourquoi on retrouve aussi le chanvre indien dans les lycées ».

Et ce n’est pas la récente mesure du ministre des Enseignements secondaires de rétrograder certains élèves admis au Probatoire qui va y changer quelque chose. Mieux, de l’avis de certains instituteurs, non seulement il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau,  mais cela marque irrésistiblement la lente agonie du diplôme camerounais qui s’achemine  vers sa dévaluation progressive. Toute chose qui fait polémique dans les milieux éducatifs camerounais. La plupart accusent ce qu’ils considèrent comme une forme de complaisance des pouvoirs publics. Lors des examens 2011, la note admissible au Baccalauréat a été fixée, selon des jurys, à moins de 09/20.
Tout est-il perdu pour autant ? Non répondent des enseignants. Pour eux, le Cameroun peut remonter la pente. Il suffit que le président de la République inscrive  l’éducation au rang des priorités de son nouveau mandat. Pour atteindre ces objectifs, il faudra définir le type de citoyen qu’il faut pour que ses grandes réalisations puissent être implémentées. « Un programme d’éducation basée sur les valeurs morales, l’amour de la patrie et les spécialisations contribuera à fabriquer le type de citoyen voulu pour un Cameroun prospère », rêve un parent d’élève.

Joseph Tcheumadjeu insiste quant à lui sur l’âge d’entrée à l’école « On doit le faire à 6 ans comme avant pour laisser le temps à l’enfant de jouer, de mûrir et d’être apte à n’importe quel enseignement. Dans nos classes, ils passent leur temps à dormir. On comprend parce que c’est leur âge. Même si tu le fouettes, il ne comprendra pas grand-chose ». La maîtrise de la langue maternelle, à en croire des pédagogues, aiderait l’enfant à mieux s’en sortir dans ses études. A bon entendeur…

Adeline TCHOUAKAK

Sécurité. Le grand banditisme fait la loi dans la cité 

Malgré la création de nombreux corps dédiés à la sécurité et à la défense du territoire et des citoyens, la mise en pratique connaît quelques ratés.

«J’entends alors, avec l’aide de toutes les Camerounaises et de tous les Camerounais, et en ma qualité de président de la République, chef de l’Etat et chef du gouvernement, m’acquitter de ce devoir sacré que m’impose la constitution à savoir, veiller à son respect,  comme à l’indépendance, à la souveraineté, à la sécurité et à l’unité de l’Etat, assurer la conduite des affaires de la République, mon illustre prédécesseur n’a jamais failli à ce devoir, je n’y faillirai point.» Engagement du deuxième président de la République du Cameroun lors de sa  cérémonie d’investiture, le 6 novembre 1982. Trente ans après l’accession de l’homme du renouveau à la magistrature suprême, qu’est devenu cet engagement pour ce qui concerne le volet sécuritaire ?

Tout au long des trois décennies marquant le magistère de Paul Biya, de nombreux faits font croire que l’engagement du Renouveau pour la sécurité des personnes et des biens a été confondu au bénéfice de la protection du chef de l’Etat et au détriment de la protection des citoyens dans leur grande majorité. C’est que les relations des forces de sécurité avec les populations semblent plus souvent orientées vers la répression. Tandis que la sécurité des biens et des personnes montre des failles. Et que le grand banditisme dicte sa loi au quotidien.

Dans le registre de la répression des populations civiles et désarmées, que les observateurs évoquent à suffisance la répression menée sur les populations  par les forces de l’ordre et l’armée. Il y a d’abord les massacres perpétrés lors des années dites de braise. Alors que le peuple  exprimait son désir pour plus de libertés. Le pouvoir se résoudra finalement à lâcher un peu du lest, mais au prix du sang de nombreux  Camerounais. Il y a ensuite cette répression à « huis clos » pendant des émeutes de février 2008 alors que la rue dénonçait la cherté de la vie et le projet de révision de la Loi fondamentale (voir article sur les petites libertés avec la Constitution). La liste n’est pas exhaustive…

Dans le même temps, les populations restent sous l’emprise de l’insécurité et du grand banditisme. C’est dans ce sillage qu’il faut évoquer l’attaque de trois banques dans la cité balnéaire de Limbé. En effet, le 28 septembre 2008, une embarcation à moteur occupée par une cinquantaine « d’assaillants » prend en otage la rue des banques et par conséquent la ville de Limbé. La scène se déroule non loin du site populaire de Down beach. Dans le viseur, les agences de la Beac, la Sgbc-Cameroun, Amity bank ainsi que la Bicec intéressent les braqueurs de Limbé. Avant l’opération, les braqueurs de Limbé s’offrent le luxe de poster leurs boucliers sur un rayon de un kilomètre. Aux entrées et servitudes des embuscades sont placées pour empêcher toute riposte éventuelle.

Les habitants de la ville de Yaoundé sont loin d’oublier la date du 31 octobre 2008. Armés de fusils d’assaut, des coupeurs de route ont dépouillés, pendant des heures tous les véhicules en partance ou en provenance de Yaoundé. Outre le fait d’avoir délesté les passagers de leur argent, des bijoux et autres objets de valeur. Sur le carreau un mort. Selon des sources, un taximan qui essayait de s’enfuir. C’est dans le même sillage que l’on cite le cambriolage du palais présidentielle d’Ebolowa le 4 novembre 2011, le cambriolage  du centre de renseignement du Ministère de la défense le 6 mai 2009, le cambriolage et la mise à feu de quatre bureaux de la division du trésor du Ministère des finances le 1er juillet 2011 mais aussi  la prise en otage de plus de 70 passagers à la sortie Ouest de Douala. Une scène au cours de laquelle trois bandits armés avaient immobilisé  un car de transport parti de Douala à destination de la ville de Dschang. Des scènes complétées par les nombreuses prises d’otages sur les côtes camerounaises.

C’est fort à propos que la presse française cite « Les Bakassi Freedom Fighters, qui font partie du groupe rebelle nigerian de Niger Delta Defence and Security Council, ont notamment affirmé être à l’origine des attaques de juin et juillet qui ont coûté la vie à 7 soldats camerounais et à un sous-préfet dans la péninsule. » Des attaques qui prendront du relief avec la prise en otage d’une dizaine d’employés du navire français Bourbon travaillant pour la compagnie pétrolière Total, au mois d’octobre 2008. Une activité qui avait requis le versement d’une caution par l’Etat camerounais. C’est dans ce sillage que l’on évoque le kidnapping de douze officiels camerounais le 7 février 2011, parmi lesquels le Sous-préfet de Kombo à Bedimo. Une attaque qui portait à 5, le nombre de camerounais pris en otage dans la zone de Bakassi. Des attaques récurrentes malgré la présence du Bataillon d’intervention rapide (Bir), le Bataillon spécial amphibie (Bsa) et le Bataillon blindé de reconnaissance (Bbr) créés pour l’espionnage et la protection du territoire semble débordés.

Un contraste dans un contexte marqué par la création de nombreuses unités spécialisées dans la lutte contre le grand banditisme et le terrorisme. Sans être exhaustive, La garde présidentielle a sa propre structure interne de renseignements, dont le nom est gardé secret. Mais son service le plus connu de nos jours est le Bataillon d’Intervention Rapide (Bir), dont la mission est de mener des actions de contre-espionnage défensif et offensif. Le Bir est également directement rattaché au président de la république. Le Bir est en effet un service éloigné de la garde présidentielle, disposé en cercle autour de Yaoundé à Garoua, Bertoua,  l’Ouest et Douala.

Idem du  Groupement polyvalent d’intervention de la Gendarmerie nationale (Gpign) L’autre service de renseignements qui chevauche ses actions sur le terrain avec celles de la ( Direction générale des renseignements extérieurs (Dgre), du Bir et de la Direction générale de la sécurité nationale (Dgsn), c’est le Groupement Polyvalent d’Intervention de la Gendarmerie Nationale (Gpign) qui, comme son équivalent français du même nom l’indique, est chargé de la lutte anti-terrorisme et du contre-espionnage, en plus de la récolte de l’information dans la société.  Comme tous les autres corps créés sous le renouveau, Le Gpign, lui aussi est coiffé par le président de la république, dès lors que le Secrétariat d’Etat à la Gendarmerie dont il dépend est un service de la défense, rattachée à la présidence de la république. Des corps appelés à concourir à la réussite des missions du Conseil national de la sécurité mise en branle par le Président de la République. Un organe auquel, l’homme du renouveau attribue comme principales missions, « Faire périodiquement la synthèse des renseignements intéressants de la sécurité intérieure et extérieure de la nation, formuler des propositions d’orientation de renseignement prévisionnel, donner un avis sur tout dossier soumis par le président de la République. »

Absence de politique rassurante

Cadre de la sécurité nationale et agent secret, Pierre Ela évoque, lui, la question de la souveraineté nationale des services de sécurité dans un ouvrage. “L’ingérence étrangère a atteint le seuil de l’insupportable dans notre pays (…) Le Cameroun se retrouve dans une situation identique à celle d’avant l’indépendance, où l’ensemble de ses ressources naturelles sont bradées et des projections sont élaborées depuis l’étranger sur le choix de ses dirigeants.”  L’ancien commissaire des renseignements généraux (Rg) et de la Direction de la sécurité territoriale précise par ailleurs que l’auteur démontre l’impuissance face à laquelle sont confrontés nos services secrets, relevant que cette impuissance est la conséquence logique d’une véritable bataille rangée au sein même des différents services et les successives réformes, qui n’ont pu fournir les effets escomptés.

Conséquence, trente ans plus tard, la sécurité des hommes et des biens au Cameroun semble en priorité consacrée à la sécurité du chef de l’Etat qui apparaît comme l’objet même de l’existence des nouveaux corps créé au cours des trois dernières décennies.

Des raisons pour l’auteur de l’ouvrage «Dossiers noirs sur le Cameroun » de préciser que, en plus de l’état délabré des forces de sécurité ainsi que certains corps de défense, l’une des tares de la sécurité sous le renouveau reste les  pillages excessifs qu’on y retrouve. « Le phénomène criminel camerounais qui touche en particulier la jeunesse camerounaise, apparaît dans toute sa complexité : il ne saurait être dissocié à l’absence d’une politique rassurante en matière de sécurité alimentaire, en matière de bien-être du citoyen». Tout est dit.

Joseph OLINGA

Libéralisme communautaire. Le projet irréalisé du Renouveau

Près de 30 ans après les promesses de Paul Biya, à travers son ouvrage « Pour le libéralisme communautaire » tout reste à faire. Pour son nouveau septennat, le président avoue l’échec de son projet de société et fait de nouvelles promesses. Doit-on encore y croire ?

Au chapitre des souvenirs du commun des Camerounais, l’avènement de Paul Biya à la magistrature suprême, le 6 novembre 1982, tarde à s’effacer des esprits. Sur le plan protocolaire, la prestance de Paul Biya vêtu d’un costume sombre et finement rayé; son arrivée sobre au palais de l’Assemblée nationale, en compagnie du président de l’auguste chambre de l’époque, Salomon Tandeng Muna, et du président de la Cour suprême, Nguini Marcel, et son serment ferme, hantent encore les esprits. Autant que les espoirs nés de l’arrivée de l’homme considéré par les observateurs comme le ministre le plus pauvre d’Ahidjo laisse nombre de ses compatriotes sur leur faim trois décennies après son arrivée au pouvoir. Que s’est-il passé ?

Pourtant, le deuxième président de la République précisait, pour décliner son option politique que, «Les chances de notre pays restent grandes pour un avenir qui autorise les espoirs et les optimismes. Il nous appartient de transformer ces espoirs en certitudes. Nous y parviendrons si chacun, en son âme et conscience, fait prévaloir l’intérêt général sur les errements partisans et les égoïsmes à courte vue.» 29 ans plus tard que reste-il de cet engagement de l’homme du Renouveau à l’aune de la «rigueur et de la moralisation» vendu par l’homme du 6 novembre à ses compatriotes ?

Artisans et acteurs de la définition et de l’implémentation des grands axes politiques de la nation camerounaise depuis 1962, le jeune chef d’Etat, lors de son accession à la magistrature suprême en 1982 entendait inscrire sa ligne politique autour de la justice sociale. Ce qui, pour le chantre du « Renouveau» portait sur le renforcement de la justice sociale, la reconnaissance des compétences et la promotion de la probité. Des paramètres que Paul Biya considérait alors comme essentiels à la marche du Cameroun «vers des horizons toujours plus radieux.» 30 ans plus loin, «La révolution Biya», visiblement, a échoué.

Aveu d’échec?

Lors de sa prestation de serment le 6 novembre 2011 au palais de l’Assemblée nationale, Paul Biya donne, lui-même, écho à ce constat populaire. Dans son allocution, le chef de l’Etat réélu avoue que «Il faut avoir le courage de le reconnaître, les conditions de vie d’une partie de notre population sont très difficiles, particulièrement dans les zones rurales et à la périphérie des centres urbains. Ce sont pour la plupart des petits paysans, des chômeurs, des jeunes qui n’ont pu trouver d’emploi, des retraités ou des personnes âgées sans ressources. Notre pays ne fait pas exception en Afrique. Même dans les pays développés, la pauvreté s’étend.»

Face à ce problème qui constitue le socle des remous sociaux et du désaveu de nombre de Camerounais vis-à-vis de la pratique politique, le chef de l’Etat camerounais dit l’inefficacité des  solutions initiées jusqu’ici par ses 33 gouvernements. Si le patron de l’Exécutif évoque le recrutement de nombreux jeunes à la Fonction publique ainsi que l’opération de recrutement de 25 mille autres en cours, il demeure que, «là n’est pas la vraie solution. C’est seulement la relance et l’accélération de la croissance qui permettront de régler progressivement le problème du chômage. Ce sont les grands projets et la révolution agricole qui ouvriront à beaucoup les portes de l’emploi. C’est la raison pour laquelle je m’engage, pour la part qui est la mienne, à les faire aboutir dans les meilleurs délais possibles.» Idem de la relance économique, des progrès démocratique, du système éducatif et des conditions de vie sociales des populations dans leur grand ensemble.

La moralisation de la gouvernance, axe central de l’homme du 6 novembre semble s’instaurer en norme. Comme conscient des imperfections multiples de l’opération d’assainissement lancée sous le prisme de « l’opération épervier », Paul Biya précise que «les comportements individuels ne sont pas toujours en harmonie avec la solidarité qui devrait être la marque d’une société démocratique. Trop souvent, l’intérêt personnel prend le pas sur l’intérêt général. Cet état d’esprit est à l’origine de ces dérives sociales que sont la fraude, la corruption, voire la délinquance.»

Vers le respect de la constitution?

Puis, c’est un chapelet de promesses que fait le président réélu après 29 ans de pratique au sommet de l’Etat. Pour l’essentiel Paul Biya annonce de nouveau la mise en place des institutions prévues par la constitution. «L’Assemblée nationale sera bientôt épaulée par le Sénat. Le pouvoir législatif sera alors exercé par un Parlement complet où les collectivités territoriales décentralisées seront, elles aussi, représentées. Par ailleurs, le processus de décentralisation, qui se poursuit de façon satisfaisante, sera mené à son terme avec un transfert complet des compétences et la mise en place des conseils régionaux prévus par notre Loi fondamentale. Nous disposerons en conséquence d’une architecture assurant aux citoyens une meilleure participation à la vie publique, avec un bon équilibre entre l’Etat et les collectivités décentralisées. Il nous faudra également installer le Conseil Constitutionnel qui est un organe essentiel pour le fonctionnement de nos institutions.»

Un contraste trois décennies après que le chef de l’Etat est proclamé élu lors de la présidentielle du 9 octobre 2011 ait annoncé la fin du «bicéphalisme de fait» mis à l’actif du premier chef de l’Etat camerounais. Mais aussi un pied de nez pour le projet de société vendu aux Camerounais. Un  projet de société axé sur «la moralisation des comportements, la rigueur, la démocratisation effective de la vie politique, sans pour autant renoncer aux grandes constantes du régime politique camerounais.» Des constantes dont l’essentiel se décline, selon le «Libéralisme communautaire» de Paul Biya dans «l’unité, la justice sociale, le libéralisme planifié, le développement auto-centré, le non-alignement et la coopération avec toutes les nations de bonne volonté».

Joseph OLINGA

 

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