Cameroun. Affaires: Le commerce des cercueils se porte bien

Menuisiers, démarcheurs, revendeurs trouvent leur compte. Pendant que certaines populations s’indignent. Le commerce des cercueils se porte bien à Bafoussam

I-    Le quartier Nylon, comme l’antichambre d’une morgue

Ce mercredi 09 novembre 2011, la première rue du quartier Nylon grouille de monde, comme à l’accoutumée. Du « Feu rouge » au « marché « B », les ateliers de menuiserie abondent. Ceux spécialisés dans la fabrication des lits et des cercueils se démarquent du lot, de par leur capacité à exposer leurs produits, en bordure de route. Il est d’ailleurs quasi-impossible aux véhicules automobiles d’y circuler librement. Les porte-tout, communément appelés pousse-pousse, sont les rois de la rue.

Et à chaque coin de maisons, transformés en ameublement, l’alignement des cercueils est édifiant. Une prédominance qui se traduit par le fait que, de plus en plus, explique-t-on, les menuisiers ont compris que la fabrication des  meubles mortuaires est plus rentable que celle des autres objets en bois notamment les salons.  Engagés sur dans cette voie, les techniciens du bois de la ville de Bafoussam partent d’une observation suivant laquelle le taux de mortalité est élevé : « Nous nous sommes spécialisés dans la fabrication  des cercueils parce que maintenant les gens meurent beaucoup. Il y a au moins cinquante personnes qui viennent ici chaque matin chercher des cercueils », explique Jean Tsagué, ponçant avec dextérité et célérité un cercueil. A ses côtés, l’ambiance de travail est quasi identique. Tout le monde est en pleine activité. On bavarde, on se taquine, tout en évoluant dans le montage  de son ouvrage. Ici, les bruits font partie du quotidien au point où une présence étrangère ne semble rien troubler. Au contraire, c’est chaque technicien qui veut dire un mot. Surtout les plus jeunes. A l’instar de Hervé Kongne qui, à 33 ans, cumule déjà une  large expérience dans cet univers de fabrication et de commercialisation des cercueils « Mes parents n’avaient pas suffisamment de moyens pour me faire poursuivre normalement les études. Et il fallait se débrouiller pour pouvoir joindre les deux bouts. Sans avoir aimé véritablement la menuiserie, je me suis lancé comme négociant et sous-traitant dans ce secteur », justifie-t-il, visiblement satisfait de ses compétences de « spécialiste en laquage ».

Comme il l’aime à le faire savoir :« Le marché des cercueils, ça donne l’argent ». En témoigne le balai des familles endeuillées que l’on observe, à la première rue Nylon, en quête ces « caisses » de mise en bière. Le défilé s’accentue particulièrement tous les jeudis et vendredis, jours où sont programmés dans des morgues de la région de l’Ouest, comme dans celles des autres parties du Cameroun, les parades de mise en bière. Ici, les transactions se passent comme pour tout autre produit commercial. Le vendeur propose un prix « taxé » suffisamment élevé et l’acheteur réplique en proposant un autre, généralement, plus bas, et même dérisoire. Les marchandages, bavardages et plaisanteries s’enchaînent. Quelque fois, le sentiment de lamentations affiché à la suite de la mort d’un proche, disparaît du visage de l’acquéreur, emballé dans ce jeu de « ping pong » où le plaisir de la discussion et l’art des palabres sont des données constantes. Les prix conclus varient généralement selon la qualité et la dimension du cercueil. On peut y trouver son compte. A  en croire Jean Tafomba un « doyen » du secteur, qui laisse entendre que la marge bénéficiaire navigue entre 2000 et 3000 Fcfa par pièce.

Mais il faut retenir que face à un acheteur mal informé ou ignorant la réalité du prix, ce gain peut être multiplié par dix. Ceci au nom de la loi non écrite du « prix taxé » et de l’adage selon lequel  « au marché trompe qui peut ». En plus des acheteurs individuels, certaines maisons de pompes funèbres de Bafoussam, Yaoundé, Douala, Bamenda, Nkongsamba et autres, viennent s’y ravitailler en cercueils. A un prix « raisonnable » bien sûr.

II-    Misère morale et dérive matérialiste

Armélie Woguem travaille dans un cyber-café au « feu rouge » à Bafoussam. Elle a horreur de passer devant la première rue du quartier Nylon pour se rendre au marché « B ». Pour elle, il n’est pas commode que des cercueils soient fabriqués, stockés et exposés. « Ce n’est pas normal ça. La cupidité doit avoir des limites. Je suis choqué lorsque je vois des cercueils alignés au bout des rues, comme si l’on attendait que la mort frappe autour de nous », s’indigne-t-elle. «Plusieurs diplômés de l’enseignement supérieur se battent par là pour pouvoir obtenir leur pain quotidien. Face à la misère, les gens sont prêts à faire n’importe quoi pour survivre. Donc, il est normal que, de plus en plus, un nombre important de personnes s’impliquent dans la vente des cercueils», nuance un fonctionnaire de  la place. Il est question pour lui de justifier la propension de certains techniciens et artisans du bois à s’engager fortement dans la production des cercueils. De son point de vue, ce déploiement est d’autant légitime qu’il n’existe, à sa connaissance, aucune loi ou texte réglementaire en vigueur au Cameroun restreignant cette activité. Tout baigne alors dans le cadre de la libéralisation du secteur économique.

Dans ce sens, certaines personnes estiment que le gain, et même quelque fois, la spéculation autour de la vente des cercueils sont normaux. « Les médecins soignent les malades sans souhaiter que les gens aient un mauvais état de santé. Quant à nous, nous vendons des cercueils pour avoir de l’argent, mais cela ne veut pas signifier que nous sommes contents de voir les gens mourir comme les poules », soutient un commerçant. Ce dernier comme  plusieurs de ses pairs, pensent qu’il est hors de question de s’encombrer de scrupules. « Il ne faut pas exagérément se déployer dans n’importe quelle activité pour chercher de l’argent. On dirait que le quartier Nylon est devenu un cimetière. Lorsqu’on parcourt  ses principales rues, on voit des cercueils exposés devant les menuiseries, en nombre important plus que les lits et les autres meubles. Ces images réveillent en nous de tristes souvenirs. Personnellement, cela me rappelle les douloureuses circonstances de la mort de mon père ou celle de mon frère aîné », se plaint Frank Njouwa, un habitant du quartier Nylon à Bafoussam.

Inondés aussi par un flot de crainte, face à cette situation, les enfants et, même, certains adultes de ce quartier évitent, habituellement, la première rue de leur quartier, principale place d’exposition des cercueils, lorsqu’ils sont commissionnés ou vont traiter leurs affaires au marché « B » de la ville, situé non loin de là. Emportés par la même psychose, d’aucuns affirment que le simple fait de voir un cercueil les amène à intérioriser que cet objet est destiné soit pour eux, soit pour l’un de leur proche. Ces otages ne cachent pas leur volonté à voir les structures de production ou de commercialisation des cercueils disparaître ou, du moins, délocaliser des quartiers résidentiels pour des  endroits retirés ou à proximité des morgues et des hôpitaux. Au nom de la préservation d’une certaine « salubrité urbaine » et celle de l’hygiène mentale … En attendant qu’ils aillent solliciter les services d’un psychothérapeute ?

Guy Modeste DZUDIE

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