Cameroun, le laboratoire de tous nos malheurs

Décidément, on aura tout vu au Cameroun sous le Renouveau. On n’aura pas fini de commenter le record ridicule de 23 candidats à une élection présidentielle, pour un pays d’environ 20 millions d’habitants, qu’on voit le ciment remplacer le bitume sur les rues de la métropole économique.

Ce curieux spectacle est donné depuis quelques jours le long du boulevard de la liberté. On voit en plein jour des camions et autres engins des travaux publics, appartenant à une entreprise française, tourner du béton pour combler les nombreux nids de poule qui jonchent l’un des plus grands artères de Douala. Il est vrai que ce béton-là comporte du sable et du gravier, mais…

Déjà, pendant et après ces travaux de rafistolage, la poussière de ciment blanchit la chaussée et étouffe les passants, au passage des véhicules. Ce spectacle fait jaser les usagers de la route. Mais on va faire comment ? Les responsables camerounais n’ont pas de compte à rendre. Ceux qui sont «élus » le sont par les préfets et les sous-préfets, ces chefs de terre détenteurs de la toute-puissance d’un décret présidentiel. Ils tripatouillent les procès-verbaux des élections pour « imposer » les députés et conseillers municipaux qui leur sont recommandés. Que peut-on bien leur faire puisque celui qui les place leur doit, lui-même, reconnaissance. Et les autres alors ? chacun fait de son poste une place forte à partir de laquelle il fait ce qu’il veut. Vive le Renouveau triomphant.

Sans être oiseau de mauvais augure, attendons la première grande plume qui va tomber sur ce plâtre pour apprécier sa capacité de résistance. Même dans les cercles où de fieffés contradicteurs ne siègent forcément pas, le problème des rues de Douala donnent des inquiétudes. Nos confrères du grand quotidien national bilingue ont sollicité l’expertise du délégué régional du Laboratoire national du génie civil (Labogénie), M. Jean Moufo. Voir la livraison du journal de mercredi 30 novembre P.13.

Nos confrères ont fait le tour de la dégradation hâtive de nos routes avec cet expert et haut fonctionnaire. M. Moufo ne s’est pas barricadé derrière le fameux alibi de devoir de réserve, ni fait dans la langue de bois. Aux questions pertinentes de Serge Libam, il a apporté des réponses cinglantes. Sans faire de périphrases, l’interviewé affirme qu’il y a « forcément un problème de qualité dans l’exécution… »

Parlant précisément du contrôle de la qualité pour les travaux routiers voici le point de vue de l’expert : « il (le contrôle de la qualité) regroupe une palette de processus allant de l’étude qui a permis de réaliser la route, à la qualité des matériaux qui seront utilisés pour l’exécution de la route. Si une route fait appel à différents types de matériaux, il faut s’assurer que les matériaux et les processus utilisés répondent à une norme. Cela suppose le respect de ces normes. Donc, le contrôle de la qualité pour faire court s’identifie au respect de cette norme. Cela est valable autant pour la route elle-même, que pour ce qui s’ajoute autour, à savoir les caniveaux, les accès, etc. Cela revient à dire que le contrôle de la qualité pour les routes commence même avant le début des travaux, pendant les travaux et après ceux-ci ».

Comme tous ceux qui ne mangent dans le même bol que les maîtres-d’œuvres et les exécutants de nos éphémères rues, M. Moufo soutient que « c’est dommage qu’une route qu’on exécute se dégrade après 4 ou 6 mois… » Quant à la dégradation rapide dans le contexte de Douala, le délégué régional du Labogénie explique « qu’il y a plusieurs facteurs. Mais dans le contexte de Douala, malgré l’accroissement de la ville, quand une route se dégrade de façon exponentielle, il y a un problème de qualité qui n’est pas lié à la circulation. Techniquement, on ne peut pas comprendre qu’une route réalisée pour 10 ans, par exemple, soit dégradée au bout d’un an ».

Voilà qui est suffisamment clair et balaie d’un revers de la main toutes les arguties avancées jusqu’à présent pour tenter de justifier le scandale de l’ancienne route de Bonabéri, par exemple. Encore une, réalisée par une autre entreprise française. Ce n’est pas que ces entreprises n’ont pas l’expertise nécessaire. Mais ne sont-elles pas victimes, elles, de la « mangerocratie » qui règne dans l’administration camerounaise sous le Rénouveau et à tous les niveaux ? A elles, ces entreprises, bien entendu de refuser les propositions indécentes qui leur sont faites par ces « chèvres » qui broutent là où elles sont attachées. Puisque finalement, elles deviennent des complices des prévaricateurs qui font mains base sur le patrimoine national.

Depuis la publication du rapport de la Conac, notamment dans son volet de la route Ayos-Bonis, les bureaux d’étude impliqués dans ce chantier livrent leurs secrets, eux aussi, révélés dans le quotidien Le Jour de mercredi dernier. A en croire ces experts et même un autre ingénieur du labogénie au fait de ce dossier, ici toutes les conditions étaient réunies non pas pour réaliser la route, mais pour « donner à manger et à boire » aux ministres des travaux publics et à leurs hommes de main.

Un ingénieur du Labogénie explique ! « la réalité c’est que les ministres des travaux publics ont les mains liées. L’entreprise (Pantechniki) fait ce qu’elle veut. Elle sait que quand elle crée des problèmes il y aura des hommes politiques pour intervenir… » Cette dénonciation d’un autre expert camerounais révèle les connexions maffieuses entretenues par des Camerounais pour ruiner leur propre pays, le maintenir en état de sous-développement. C’est eux pourtant qui claironnent à longueur de discours que là où la route passe, le développement suit.  De Ayos à Bonis alors ? Les Camerounais de cette zone seraient-ils condamnés à ne pas humer l’air de la modernité et développement ?

Sommes-nous tous de ce même Cameroun ? J’en doute. Pour preuve où sont passés Robert Messi Messi, Dieudonné Ambassa Zang et d’autres, auteurs de véritables crimes économiques, et qui ont pu prendre le large ? Sans que le gouvernement cherche à les faire rapatrier. Au train où vont les choses, ce n’est plus seulement une « certaine presse » qui dénonce la calamiteuse gestion des affaires publiques. En clôturant la dernière session ordinaire de l’Assemblée nationale, le très honorable Cavaye Yéguié Djibril a demandé du haut de son perchoir aux membres du gouvernement de cesser certaines pratiques qui hypothèquent les projets de développement au Cameroun. Notamment celles qu’il a appelé lui-même « le provisoirement définitif, le pourcentage sur les marchés publics, les réceptions fictives des ouvrages, le fractionnement des marchés afin de favoriser le gré à gré là où un appel d’offre est nécessaire, les délais qui tirent en longueur l’exécution des projets et qui entraînent des coûts supplémentaires ».

On se souvient de sa précédente volée de bois vert sur la Sodecoton et son directeur général lors de la précédente session. Jean-Jacques Ekindi ou Ndam Njoya aurait tenu de tels propos à l’hémicycle qu’on aurait compris. Ce sont des opposants. Venant d’un allié inconditionnel de Paul Biya, c’est dire que même là-bas, là-haut, on a compris que rien ne va plus et aux maux désespérés, les propos du désespoir. Mais entre les tribunes d’où on prononce les discours, et les réalités du terrain, on perd beaucoup de choses au risque de constater que rien ne change et que le Cameroun restera le laboratoire de tous nos malheurs.

Jacques Doo Bell

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