Epervier: Et si Biya voulait se débarrasser de ses prisonniers « encombrants » ?

Ainsi donc, les pilleurs présumés de fonds publics vont devoir désormais jouer à « qui perd gagne ». Tu perds tes avoirs illégaux et tu gagnes en liberté car selon la loi portant création d’un Tribunal spécial, en « cas de restitution du corps du délit, le procureur général près le tribunal peut, sur autorisation écrite du ministre chargé de la Justice, arrêter les poursuites ». Analyse.

Avec la création d’un « Tribunal spécial » pour juger les auteurs présumés des détournements de fonds publics, le régime montre qu’il a toujours été en plein déphasage avec l’opinion publique qui, dès le début de l’opération Epervier en 2006, tout en approuvant l’opération d’assainissement des mœurs initiée par le président de la République, souhaitait que les fonds détournés réintègrent prioritairement le Trésor public camerounais. A quoi cela servait-il de jeter les gens en prison si les fonds détournés ne sont pas récupérés ?

Mieux vaut tard que jamais, aujourd’hui des années plus tard, le gouvernement s’est fendu d’une loi qui permettrait aux « éperviables » de rembourser pour échapper à la prison. Mais avant d’arriver là, que d’argent dépensé dans des vaines tentatives de retrouver les fonds publics supposés enfouis dans des paradis fiscaux et autres comptes en banque à l’étranger !

Enquête d’expertise

On se souvient de la mission confidentielle confiée en septembre 2007 par le vice-Premier ministre, ministre de la Justice garde des Sceaux, Amadou Ali, à un expert financier, Francis Dooh Collins, basé à l’étranger aux fins de débusquer les corrompus et détourneurs des fonds de l’Etat.

Ce dernier devait mener une enquête d’expertise et d’investigations financières internationales contre la corruption et les détournements des fonds de l’Etat du Cameroun, auprès des établissements financiers et des organismes financiers internationaux, tant en Angleterre, qu’en Amérique du Nord, au Moyen Orient, en Europe et même en Afrique. Il était question pour cet expert d’établir des profils détaillés avec indication des comptes bancaires et avoirs détenus directement ou indirectement par les personnes ciblées. D’importants fonds auraient été mis à la disposition de l’enquêteur pour des résultats nuls.

300 milliards Fcfa détournés par an

A l’époque, nous émettions déjà des doutes en écrivant au Messager que « des montages financiers tortueux et des législations financières internationales labyrinthiques permettent de dissimuler les fonds détournés dans des comptes intouchables à l’étranger. Ici, les choses ne dépendent plus uniquement de la volonté et de la dextérité de nos juges, et des exemples autour de nous montrent que c’est quasiment mission impossible que d’essayer de ramener l’argent public volé dans un pays.La seule issue susceptible d’être efficace serait donc de convaincre les pilleurs de l’argent du contribuable camerounais à ramener eux-mêmes ce qu’ils ont volé ».

Selon des sources proches des services du Contrôle supérieur de l’Etat citées par Camnews24, le montant total des distractions des deniers publics opérées entre 1998 et 2004 est estimé à plus de 1.845 milliards de Fcfa. Ce qui donne un ratio de 300 milliards de Fcfa par an. « Pour arriver à ce montant, les fins limiers du Contrôle supérieur de l’Etat avaient opéré une quarantaine de missions auprès des collectivités territoriales décentralisées, des organismes publics et des entreprises publiques, entre 1997 et 2004. »

Aujourd’hui, force est de constater que l’opération Epervier se voulait une campagne d’assainissement qui a mal tourné, avec des relents politiques et des règlements de compte. Entre ce qu’on appelle désormais les « prisonniers du président » et les personnalités convaincues d’avoir puisé dans la fortune publique, nous sommes rendus à une confusion totale agrémentée par des arrestations spectaculaires, certaines accusations qui reposaient sur des dossiers vides ou presque, des sommes détournées surévaluées, des inspecteurs d’Etat convaincus d’avoir fait des faux témoignages au détriment de certains gestionnaires publics. Ce qui explique de plus en plus l’abandon de charges observé dans certains dossiers, qui a cours ces derniers temps.

A une époque, on a parlé du  maigre bilan enregistré par l’avocat français Verges dans la traque des comptes des prétendus milliardaires à l’étranger, et  certains observateurs avertis ont suggéré que soient explorées d’autres méthodes plus hardies pour la récupération des fonds détournés. Ce qui a toujours intéressé le plus les Camerounais, est la récupération des fonds détournés.

Qui perd gagne

Y avait-il une volonté réelle du pouvoir de Yaoundé à œuvrer pour rentrer en possession de cet argent ? Etait-ce vraiment son souhait ? Il faut croire que face aux prisonniers encombrants et à l’opinion publique qui ne suit plus le mouvement,  le gouvernement a donc décidé de mieux encadrer, du point de vue juridique, la lutte contre la corruption au Cameroun avec la création d’un Tribunal criminel spécial. Qui va consacrer la spécialisation des magistrats et des officiers de police judiciaire chargés des enquêtes, la réduction du délai de traitement des procédures de l’enquête préliminaire à l’information judiciaire, et à l’audience. A cela il faudrait ajouter la dotation de la juridiction en moyens humains, matériels et infrastructurels appropriés pour faire face au souci d’efficacité et de célérité.

Ainsi donc, les pilleurs présumés de fonds publics vont devoir désormais jouer à qui perd gagne. Tu perds tes avoirs illégaux et tu gagne en liberté en « cas de restitution du corps du délit, le procureur général près le tribunal peut, sur autorisation écrite du ministre chargé de la justice, arrêter les poursuites ». Cette disposition qui signifie que si l’argent prétendûment détourné par un tiers est remboursé, ce dernier peut recouvrer la liberté sur autorisation écrite du ministre de la Justice. Et si c’était simplement un subterfuge pour le pouvoir de se débarrasser de ces ‘colis encombrants’ ? Certains ne sont pas loin de le croire…

Edouard KINGUE

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