Cameroun: De l’équilibre régional au gâteau national

La conception maffieuse de la République fait que l’Etat se  déconstruit chaque jour un peu plus, face à l’exclusion et à la confiscation des leviers du pouvoir comme prélude à la montée des périls…Si tant il est entendu que notre République vit de la chasse et de la cueillette, 15 pygmées feraient mieux que 60 ministres tirés de nulle part, coptés pour manger et servir de « bouclier » au prince.
 
Le Cameroun accède au multipartisme avec…un caillou dans la chaussure : l’équilibre régional. Peut-on courir et se gratter la jambe ? Peut-on devenir un pays émergent tout en écartant certaines composantes régionales dans un contexte d’équilibre ? Le récent remaniement ministériel a prouvé, si besoin est que la politique des quotas provinciaux si cher à Ahidjo, a viré au partage du gâteau national entre obligés, tout en se confinant sur l’axe nord-sud.

Ainsi, le Centre-Sud-Est s’en sort donc avec une trentaine de portefeuilles, tandis que le septentrion en compte une quinzaine. Le reste étant partagé par les anglo-franco, c’est-à-dire le Littoral, l’Ouest et les deux régions anglophones. En décodant plus largement, on peut observer la décapitation politique du département du Moungo, déjà économiquement sinistré. Et il y a d’autres observations à faire sur l’approche partisane de la gestion de la République…

Au départ, l’équilibre régionale était une pratique informelle pourtant textuellement consacré par Ahidjo vers la fin de son règne avec un décret de 1982 fixant les quotas de places « réservées aux originaires de chaque province ainsi qu’aux anciens militaires sans distinction d’origine, candidats aux concours administratifs d’entrée aux différentes catégories de la fonction publique et aux concours donnant accès aux établissements nationaux de formation ».

En pratique, cette politique  à l’aveugle souffrait d’une vraie démarche « scientifique » tenant compte de la représentation ethnique, de la répartition équitable des postes politiques et administratifs permettant de diviser le quota provincial entre toutes les communautés locales. Dans cette démarche bancale, on notait l’absence de certains groupes minoritaires comme les pygmées, les femmes, les invalides etc.

Mais au temps d’Ahidjo comme on dit,  la consolidation de l’unité nationale était en jeu et la volonté affichée  était d’inclure dans le jeu politico-administratif de la nation en construction les représentants de toutes les sensibilités ethniques « afin de minorer toute tendance centrifuge ». Cette politique se posait ainsi en instrument de consolidation de l’unité nationale. Dans le « renouveau » pourtant, le fait ethnique est utilisé pour accéder et se maintenir au pouvoir. « Cette idéologie, élaborée à l’époque coloniale, se nourrit de cooptations, de décrets et de toutes sortes de manipulations », selon Jean Takougang, un analyste politique.

Aujourd’hui il s’agit d’un partage de gâteau pur et simple, entre obligés de tous bords, en lieux et place d’une conception distributive de mérite qui seule devrait prévaloir… Cela explique-t-il que le Moungo, déjà politiquement sinistré est aujourd’hui politiquement décapité ? Ou que le Wouri s’en sorte avec un seul ministre là où le Nkam caracole avec trois portefeuilles ? Puisqu’il s’agit d’un partage du gâteau national, autant que tous les départements soient présents pour dépecer le gibier, à défaut de tordre le cou à cette conception pouvoiriste de l’équilibre régional qui, occultant les compétences où quelles se trouvent, mène droit au mur.

Selon un expert des questions sociopolitiques, « les enjeux auxquels le Cameroun est aujourd’hui confronté nécessitent qu’un terme soit mis à cette politique. Il faut revenir à la compétence et au mérite comme fondements de l’accès aux responsabilités. Le fait est que par le fait de l’équilibre régional, il est possible qu’un individu, originaire de l’Est, soit admis à l’Enam avec 8 de moyenne au concours, alors qu’un autre candidat originaire du Centre sera recalé avec une note de 13. Ce qui signifie que des individus passablement incompétents, sont appelés à endosser des responsabilités auxquelles leur incompétence naturelle ne leur permet pas de prétendre. Le Cameroun se tire ainsi pour parler trivialement une balle dans le pied ».

Un pays jeune disait Ahidjo, «  se construit, bien sûr, sur les chantiers, dans les ateliers, mais aussi dans les cœurs et les esprits. L’exaltante épreuve de la construction nationale exige une infrastructure solide, mais avant tout une charpente psychologique, je veux dire des hommes dévoués à la cause commune sans lesquels la cohésion recherchée est un mythe sans prise sur la réalité. »

Cette cohésion est aujourd’hui mise à mal, par une conception maffieuse de la République, qui se déconstruit chaque jour un peu plus, comme prélude à la montée des périls…

Edouard Kinguè

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