Condamnations à vie. Entre erreurs judiciaires et cabale politique ?

Tandis que l’ex-Dg du Port autonome de Douala, Siyam Siwe, poursuit en justice  des inspecteurs d’Etat suspendus pour faux témoignage dans l’affaire du Pad, Paul Eric Kingue dénonce une  cabale contre lui. Va-t-on assister à la réouverture des procès des deux condamnés à vie les plus célèbres de la République ?
 
Douala compte deux célèbres condamnés à perpétuité. D’abord Siyam Siwe, l’ancien directeur général du Port autonome de Douala (Pad) et ancien ministre, condamné à 30 ans de prison, a écopé en 2009 d’une condamnation à vie en appel pour détournement de fonds dans le cadre de l’Opération Epervier. Sur un autre registre, Paul Eric Kinguè, ex-maire de la commune de Njombé-Penja, actuellement incarcéré à la prison de New-Bell à Douala, vient d’être reconnu coupable de détournement de deniers publics et condamné à vie dans une affaire de location d’engin et d’adduction d’eau potable à la commune de Njombé-Penja, où l’eau coule pourtant…

La prison à perpétuité ou prison à vie est une sanction pénale pour les crimes les plus graves, qui consiste théoriquement en l’incarcération d’un criminel jusqu’à sa mort. Dans le cas des deux condamnés à vie, on peut se demander à quoi servent des peines aussi lourdes, pour un pays où les prisons sont des mouroirs. Etre condamné à perpétuité est sans conteste, une peine de mort lente déguisé. La Constitution de la République du Cameroun de 1996 ne traite pas de la peine de mort. Elle précise toutefois dans son préambule que «Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Elle doit être traitée en toute circonstance avec humanité. En aucun cas, elle ne peut être soumise à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants».

Selon le journal catholique L’Effort camerounais : « C’est un truisme que d’affirmer que le milieu carcéral au Cameroun n’est pas une sinécure. Les mauvaises conditions de vie dans les prisons ne sont plus à démontrer. Comme tout le monde le sait, les prisons camerounaises sont davantage de véritables mouroirs que des centres de rééducation. Un capharnaüm, mieux, un enfer pour paraphraser Hyppolite Sando, Derrière les murs, l’enfer». Dans cet  ouvrage publié en août 2006, l’auteur tirait la sonnette d’alarme quant aux mauvaises conditions de détention des prisonniers. Mauvaise alimentation, surpeuplement, vétusté des locaux, absence d’infrastructures d’encadrement sont restés le lot quotidien des pensionnaires des institutions pénitentiaires au Cameroun.
En ce qui concerne Siyam Siwe et l’affaire du Pad pour lequel il a été condamné à vie, la gravité des crimes se réduit à des fricotages plus ou moins prouvés de l’argent public. Mais la suspension de trois inspecteurs  qui ont témoigné en sa défaveur aurait été de nature à rouvrir le procès, afin que justice soit faite de manière équitable. Que s’est-il donc réellement passé pour que David Etame Massoma prenne une décision aussi historique que courageuse sanctionnant Cornélius Chi Asafor, Mbida Amougou et Abdou Pepouore ? Au sein de l’institution, des sources proches du dossier indiquent que les trois inspecteurs d’Etat, ont commis des « maladresses ». C’est pendant le déroulement du procès des ex-responsables du Pad aujourd’hui en prison, que les premières déclarations sur la perception des sommes d’argent par ces inspecteurs d’Etat sont faites par Alphonse Siyam Siwe, ancien directeur général de la boîte.

D’après Me Pensy et Me Ayissi, avocats de la défense dans l’affaire Etat du Cameroun et Port autonome de Douala contre Alphonse Siyam Siwe, Etonde Ekoto et autres, les trois inspecteurs d’Etat ont effectué une mission entre juillet et décembre 2003 au Pad. Mais curieusement, bien qu’ayant produit un rapport de 109 pages qui a permis d’engager des poursuites contre les responsables de cette institution, ils ont émargé dans les caisses de l’entreprise jusqu’au 12 décembre 2007.

Requis comme experts judiciaires dans l’affaire Pad le 16 mars 2006, les trois inspecteurs d’Etat ont perçu pendant un mois 14 millions Fcfa chacun, soit 470 000Fcfa par jour. Le flou qui a entouré la nature de l’opération a intrigué les avocats. L’affaire Etat du Cameroun et Pad contre Siyam Siwe, Etonde Ekoto et autres, en appel, a donc tourné  aux procès des experts du contrôle supérieur de l’Etat.

«M. le président, les experts du Contrôle supérieur de l’Etat ont continué à émarger au Port autonome de Douala (Pad) jusqu’au 12 décembre 2007, alors même que nous étions en audience de première instance. Contrairement à ce que l’on pense, le vrai pillage du Pad a commencé après les départs de Siyam Siewe et de Etonde Ekoto, qui ont laissé les caisses pleines ». Pour Me Pensy, et Ayissi, « les inspecteurs ont systématiquement écarté les éléments à décharge, ne retenant que ce qui allait dans le sens de la partie civile et, partant, de l’accusation ». Les avocats de Siyam Siwe et Etonde Ekoto, ont dénoncé à l’époque  la “ subordination de témoins ”, convaincus que l’argent touché par les inspecteurs du Contrôle supérieur de l’Etat, a pu influencer le cours de l’instruction. Et devant ce qui apparaît au regard de la loi comme une irrégularité, les avocats des accusés demandaient “ la nullité de la procédure ”.

Ceci est d’autant troublant que Cornélius Chi Asafor, inspecteur général du Consupe, auditeur interne de l’institution ; Abdou Pepouore et Mbida Amougou ont été, dans un premier temps, solidairement suspendus de l’exercice de toute activité de vérification et d’audit. Puis, individuellement, ils avaient été suspendus pour s’être rendus coupables de «violation des principes déontologiques liés au déroulement des missions mobiles du Contrôle supérieur de l’Etat.»

Les faits reprochés aux trois inspecteurs d’Etat remontent à la période 2006-2009, au cours de laquelle, ils ont effectué une mission de contrôle au Port autonome de Douala (Pad). Aujourd’hui et selon nos informations, ils sont l’objet de poursuite judiciaire de la part du condamné à vie Siyam Siwe. Cela permettra t-il de sortir Siyam Siwe de son isolement carcéral et de sa perpétuité? Voire…

Erreurs judiciaires ou cabales ?

En ce qui concerne Paul Eric Kingue le verdict dans l’affaire de détournement de 4.950 millions Fcfa, somme que le mis en cause avait perçu de la Spm (société des plantations de Mbanga) du temps où il était encore maire pour installer un réseau d’eau Snec à l’hôtel de ville de Penja, vient d’aboutir à une condamnation à vie par  le tribunal de grande instance du Moungo à Nkongsamba. Selon Le Messager n°3543 du jeudi 1er mars, « dans cette affaire qui ressemble, selon une certaine opinion à une cabale, ni la Spm, ni la mairie de Penja ne s’était constituée partie civile apprend-on. Joint au téléphone, le conseil de la mairie de Penja avait déclaré avoir été très surpris. Nous ne sommes pas constitués dans cette affaire. Je suis l’avocat ponctuel de la mairie. Quand la mairie a une affaire en Justice, elle me produit une lettre pour me constituer. Je n’ai reçu aucune lettre de constitution de la mairie au sujet de cette affaire».

Pour Paul Eric,  «dans mes dossiers, toutes les lois sont piétinées, les procédures aussi, parce qu’il faut m’éloigner de la commune de Penja afin de permettre aux entreprises Php, Spm, Caplain de continuer à piller le Moungo». Erreur judiciaire, cabales ? Si subir une injustice un court instant vous semble déjà trop, imaginez la peine que représente une vie à l’intérieur d’une cellule d’isolement pour un crime que vous n’avez pas commis.

Edouard Kingue
 
Focal. Quelques cas d’emprisonnement à perpétuité

Si au Cameroun, un détournement de fonds publics peut mener à la ‘perpète’ , en Afrique du Sud la perpétuité n’est obligatoire que  pour assassinat, viol aggravé (en série, en bande organisée, en portant sciemment le Vih, sur un mineur de seize ans ou une personne handicapée) et pour certains cas de cambriolages. Pour les autres crimes, les peines minimales sont de dix, quinze ou vingt cinq ans.

Aux États-Unis la perpétuité s’applique à tous les cas de meurtre (le meurtre aggravé étant éligible pour la peine de mort); elle est également encourue souvent pour viol d’enfant, pour participation à un délit si un complice commet un meurtre.  En Israël la prison à vie est la peine obligatoire pour le meurtre, sauf en cas de circonstances spéciales.

L’Argentine est l’un des quelques pays d’Amérique du Sud où la prison à perpétuité est légale. Cette sentence est obligatoire pour le meurtre commis par un proche de la victime, par un officier de police et quand il est aggravé d’un vol avec arme ou d’un enlèvement.

Au Canada toute personne reconnue coupable de meurtre est condamnée à perpétuité, avec une période de sûreté de 25 ans pour meurtre au premier degré et incluse entre 11 et 25 ans pour meurtre au second degré (déterminée par le juge).

En France la réclusion criminelle à perpétuité s’applique aux crimes de droit commun et la détention criminelle à perpétuité aux crimes que l’on qualifie couramment de « politiques ».

Khaled Zacharia a été condamné à la prison à perpétuité avec une sûreté de vingt-deux ans début mars 2008 pour le viol accompagné de torture d’une femme de 23 ans devenue paraplégique suite à ce crime.
Michel Lajoye a été condamné en 1990 (placé en détention préventive depuis 1987) à la prison à perpétuité avec une sûreté de 18 ans pour avoir commandité un attentat à la bombe dans un café tenu par un Arabe à Petit-Quevilly, n’ayant fait que des dégâts matériels (libéré en novembre 2007).

Lucien Gere, 57 ans, a été condamné en 2008 par la loi sur la récidive qui fait qu’un crime puni de vingt ans de prison devient passible de la perpétuité en cas de récidive. En 2004, il a violé une fillette de 11 ans à plusieurs reprises avant de la ramener chez elle. Jean-Luc Blanche a été condamné en 2006 à la réclusion criminelle à perpétuité avec 22 ans de période de sûreté pour cinq autres viols commis en 2003.

Me Marcel Christian Njockè . «   Nous avons tous été surpris par une telle décision »

Avocat au barreau du Cameroun, il donne son point de vue sur   le verdict    rendu    mercred, 29 février 2012 à 12 heures par le président Michel Ntyame Ntyame du tribunal de grande instance du Moungo condamnant Paul Eric Kinguè à vie. 

Que vous inspire ce verdict ?

Le jugement en soi est justifié. C’est dans les compétences du juge. Si les preuves sont établies qu’effectivement il a détourné c’est tout à fait normal qu’il soit reconnu coupable. Il n’y a rien d’absolument scandaleux en cela puisque l’article 184 du code pénal prévoit et réprime l’infraction de détournement. En fonction de sa conscience,  des circonstances et en fonction de la loi, le juge rend la décision sans aucun état d’âme. Pris comme cela, on pourrait dire que c’est tout à fait normal et on s’attendrait à ce que ce genre de peine soit légion.  En réalité les condamnations dépendent de la politique pénale d’un pays et du contexte. Si ces condamnations peuvent être prises dans le sillage d’un assainissement des mœurs et des finances publiques, on peut trouver ça tout à fait justifié.

Mais est-ce que la finalité, les objectifs poursuivis par ceux qui sont justement appelés à mettre en place cette politique pénale, pour ne prendre que le cas de Paul Eric kinguè, on peut se satisfaire de cela, puisque c’est à ce niveau que cela apparaît comme une sorte d’épiphénomène. Parce que en réalité, on n’a pas l’impression que les Camerounais comprennent la justification de cette décision dans le contexte actuel. Car auprès de lui, il y a des gens qui ont détourné un peu plus mais qui se sont retrouvés avec des peines moindres. Il est évident que nous sommes au premier degré de juridiction et les voies de recours lui sont ouvertes. Il n’est pas exclus que la cour d’appel puisse reformer cette décision.

J’ai une appréhension par rapport à ce genre de décisions parce que les Camerounais s’interrogent. Il faut bien que la population camerounaise puisse se retrouver dans les décisions qui sont quand même prises. On a l’impression qu’il y a des cassures qui pourraient donner une coloration absurde par rapport aux décisions qui sont prises. Tout cela part du manque de consensus. On ne demande pas aux juges de se concerter avec les populations avant de rendre une décision comme ça se passe ailleurs ; mais les juges doivent savoir qu’ils font partie d’une société. Il  faut qu’une décision de justice soit utile et efficace et que l’opinion publique s’y reconnaisse. Cela manque cruellement à notre pays. On a l’impression que les lois sont comme des toiles d’araignée qui laissent passer les gros et retiennent les petites. Tant qu’on aura ce sentiment il sera difficile aux Camerounais d’avoir confiance en la justice de leur pays.

La partie civile a déclaré n’avoir pas été constituée. En plus malgré sa demande à être cité pour présenter sa défense, l’ex maire de Njombé/Penja a été renvoyé au Tgi du Moungo sans information judiciaire. Que prévoit la loi en pareil cas ?

Il reste et demeure que la poursuite reste principalement la chose du ministère public qui peut engager une poursuite sur la base d’une simple dénonciation. Quant aux autres vices au niveau de la procédure qui ont été soulevés au cours de l’instance, il me semble que c’est des vices suffisamment graves. Dès lors que les droits de la défense sont bafoués, il me semble qu’il y a là un problème. Il y a incontestable matière à annulation. De mon point de vue, il y a de fortes chances que si la Cour d’appel joue sereinement sa partition que cette décision soit reformée. Le sentiment d’acharnement donc Paul Eric Kinguè semble faire cas semble se renforcer une fois avec une telle décision qui vient franchement comme un coup de massue. En tant que praticien du droit, nous avons tous été surpris.

Entretien avec Blaise-Pascal Dassié

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