L’Afrique en quête de signes forts des Etats-Unis

Ce que l’Afrique attendait de Barack Obama – une politique équilibrée, attentive et généreuse – et que le premier président africain-américain n’a pas encore mis en place de manière claire, c’est Mme Clinton, son ex-rivale dans la course à l’investiture démocrate, qui aura la mission de le présenter. Au cours d’un séjour qui commence par le Kenya, pays dont M. Obama est un “fils” putatif dans la mesure où son père en était citoyen, la secrétaire d’Etat devra convaincre l’Afrique que ce continent est désormais une priorité pour les Etats-Unis.

Début juillet, M. Obama avait consacré à peine plus de 24 heures pour une visite éclair au Ghana. Le pays fait figure de modèle démocratique, bénéficie d’une forte valeur symbolique pour la communauté noire américaine, mais ne compte pas parmi les pays-clés au sud du Sahara. Etait-ce trop court ? Johnnie Carson, secrétaire d’Etat adjoint aux affaires africaines, ne le pense pas. “Le voyage de la secrétaire d’Etat survient seulement trois semaines après le voyage couronné de succès du président Obama à Accra”, affirme-t-il. Sur place, le président a tracé les grandes lignes d’une relation avec l’Afrique.

Pour l’application, le temps a fait défaut. “Barack Obama a été accaparé par la crise financière et d’autres dossiers internationaux, tempère Thomas Cargill, chercheur au centre de réflexion Chatham House, à Londres.

L’Afrique, Hillary Clinton en a fait l’expérience lorsque Bill, son mari, était président : l’échec en Somalie en 1993 ; le refus des Etats-Unis d’admettre l’existence du génocide au Rwanda l’année suivante pour éviter de s’y engager, puis la repentance, et enfin le tropisme africain de M. Clinton. Autant dire que la secrétaire d’Etat veut mettre sa marque dans la politique africaine des Etats-Unis.

En 1997, la First Lady s’était rendue sur le continent en quasi-visite d’Etat, dans six pays, dont le Zimbabwe et l’Erythrée. Depuis, le pays de Robert Mugabe flirte avec l’abîme, et n’est pas au programme. Quant à l’Erythrée, son dirigeant, Issayas Afeworki, n’est plus l’un des piliers de la “nouvelle génération de leaders africains” promue par l’administration Clinton, mais un pays en rupture, impliqué dans la crise somalienne, et envers lequel Washington hausse le ton. Aucun des pays des chefs d’Etat “amis” de l’ère Clinton ne sera visité ; ni l’Ethiopie, le Rwanda ou l’Ouganda.

De retour en Afrique, Mme Clinton s’attachera à faire apparaître la rupture avec l’administration Bush, pour laquelle prédominaient les impératifs sécuritaires et pétroliers. Après les rebuffades essuyées par les Etats-Unis qui ne sont pas parvenus à installer leur commandement militaire consacré à l’Afrique, Africom, sur le continent, ce voyage a aussi des allures de réconciliation.

L’administration démocrate promet d’appuyer l’agriculture du continent. Une déclaration importante devrait être faite au cours du voyage, auquel participera Tom Vilsack, le secrétaire à l’agriculture. Si les démocrates affirment vouloir poursuivre la politique de soutien des campagnes de distribution d’antirétroviraux – cheval de bataille de M. Bush (deux millions de bénéficiaires en Afrique) – excellentes, comme l’admet Mme Clinton, pour la popularité des Etats-Unis, la mission de la nouvelle administration consistera aussi à renouer des relations distendues.

Exemple en Afrique du Sud, locomotive économique et diplomatique du continent, la troisième étape du voyage. Les divergences entre l’ex-président, Thabo Mbeki, et George Bush, étaient profondes. Mme Clinton, elle, arrive en amie à Johannesburg grâce aux liens tissés, notamment avec l’icône Nelson Mandela, par son époux. Elle se rendra ensuite en Angola, qui fournit aux Etats-Unis 7 % de leur pétrole (en augmentation de 51 % au cours de l’année 2008) tout en construisant son rôle de puissance régionale et en présidant l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). “Malgré la volonté de rupture affichée, les démocrates s’inscrivent aussi dans une continuité avec les républicains, à commencer par la poursuite des intérêts miniers et pétroliers”, analyse François Grignon, directeur du programme Afrique au sein de International Crisis Group (ICG).

Pour sa première étape, la secrétaire d’Etat fera halte au Kenya, où elle participera à la huitième réunion de l’AGOA (African Growth Opportunity Act), le système d’accords destiné à ouvrir le marché américain aux exportations africaines. L’AGOA, mise en place en 2000 par l’administration Clinton, devait favoriser des secteurs menacés et créateurs d’emploi, comme le textile. Le dernier rapport de l’organisme indique qu’en réalité, les produits pétroliers constituent 92,3 % des importations aux Etats-Unis “facilitées” par l’AGOA.

Dans la délégation figurera Ron Kirk, le représentant pour le commerce américain, qui souhaite “un partenariat fort avec les pays d’Afrique dans le cadre d’échanges commerciaux” dans la mesure où “la croissance économique dans des pays en développement (…) est un avantage pour l’économie américaine en élargissant les marchés”.

Autre priorité, les crises et leur prévention. La délégation américaine fera halte au Nigeria, fournisseur majeur de pétrole pour les Etats-Unis (8 % de ses importations), mais aussi pays le plus peuplé d’Afrique, dans lequel les compagnies américaines ont investi plus de 15 milliards de dollars.

Mais l’étape nigériane, arrachée par M. Carson, est aussi motivée par les inquiétudes que suscite l’état du pays, où Umaru Yar’Adua, président valétudinaire, est confronté à des crises violentes, laissant planer l’idée qu’il ne finira pas son mandat. “En cas de succession, il y a de nombreuses inquiétudes, y compris que les militaires interviennent à nouveau. Ce serait un retour en arrière terrible, et personne à Washington ne veut voir le Nigeria menacé de la sorte”, analyse une source bien informée.

Les objectifs de ce voyage sont donc multiples, dont humanitaires, comme en République démocratique du Congo (RDC) où la secrétaire d’Etat ne se contentera pas d’une visite à Kinshasa, mais se rendra à Goma, dans l’est du pays. Partout, Mme Clinton propose de rencontrer des membres de la société civile. Cela ne définit pas pour autant une politique américaine claire à destination de l’Afrique, d’autant que des scissions sont déjà apparues entre les partisans de M. Obama et ceux de sa secréatire d’Etat, héritées de la décennie Clinton. Notamment sur le Soudan.

L’envoyé spécial américain, Scott Gration, a défendu devant le Congrès la possibilité de suspendre les sanctions américaines pour ouvrir le dialogue avec le pays d’Omar Al-Bachir, le président poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité au Darfour. Aussitôt, Mme Clinton s’y est opposée. Le Soudan, dirigé par un “régime corrompu et très cruel”, ne fait pas partie des étapes du voyage.

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