Cameroun. Du « détournement des fonds publics » au « détournement des enfants »

Il y a bien quelques années déjà que le régime politique actuel, et héritier sans concession du précédant, est aux affaires. À sa tête trône un homme qui, de l’avis de certains, compte quasiment 37 ans depuis qu’il est Premier ministre et pour d’autres plus modestes, 30 ans en tant que chef de l’État.

De toutes les manières, sans vouloir se fondre en conjectures, il est évident que d’interminables décennies se succèdent depuis que Paul Biya est au Cameroun – officiellement dès son retour d’études en France en 1962. Il a multiplié des fonctions cardinales au sein du système politique dont il a très certainement été le bâtisseur et de son armature, et de ses méthodes, et de son fonctionnement, et même de sa psychopolitique. C’est donc ce président qui, depuis 1982, a décidé de prendre pour devise à l’exercice de son aire de règne, le tandem « rigueur » et « moralisation ».

L’on ne pouvait que saluer une telle initiative ; surtout que la prospérité assurée dont bénéficiait déjà l’économie nationale du pays, au moment où il accède au pouvoir, ne pouvait qu’ouvrir la jeune nouvelle république indépendante à des lendemains glorieux où l’émergence qu’on planifie aujourd’hui pour 2035 serait rapidement atteinte au soir de la décennie des années 80. D’ailleurs, cet horizon prometteur que l’on voulait reposer sur la « bonne » gouvernance prévoyait une « santé pour tous en l’an 2000 » qu’avait alors ratifié le Cameroun dans le protocole d’accord général mis sur pied par l’Oms.

Pourtant, et c’est là où la curiosité et la grande contradiction, la démarche adoptée par le régime du « renouveau » va surprendre. Les stratégiques « plans quinquennaux » d’Ahmadou Ahidjo vont très vite être abandonnés. Ce qui servait alors de boussole et de mode d’auto-évaluation de l’État rentre dans l’histoire d’une des premières oubliettes et assurément la première grosse erreur du régime Biya. Les repères sont perdus et l’inconsistance du planning fait plomber les objectifs fébriles, creux, diffus et au final inopérants des nombreux gouvernements qui se succèdent. Au contraire d’une vision unicentrée du gouvernement, on débouche à une vision polycentrée où chaque département ministériel semble être autonome et déconnecté d’un programme global de construction du patrimoine national. Le décloisonnement se dissout dans une politique de raffermissement des identités à la tête desquelles on compte des apparatchiks qui n’ont pour seul souci la consécration personnelle et la louange sans distance du Président.

Peu à peu, le système politique mis en place par Biya abandonne l’ambition de reconfigurer l’appareil politique de l’État qui aurait pu garantir des comportements/mentalités dont la moralité avérée permettrait à coup sûr l’avènement d’un univers socio-économique encore meilleur aux Camerounais. Que non ! Tout va basculer à la dérive. La sacralité du trésor public et l’inviolabilité des biens de l’États ne seront plus que de bons vieux souvenirs. Chacun y touchera à sa guise ; ce d’autant plus que l’impunité, en l’absence criarde de la fameuse rigueur, est la meilleure garantie assurée au cercle très fermé des complices du « Prince ». On se demandera sans cesse où est donc passée la « moralisation » pressentie pour être en vigueur au soir du 6 novembre 1982 ? Les détournements de deniers publics vont donc continuer de prospérer jusqu’en 1999, année d’arrestation de Mounchipou Seidou dans ce qui est désormais accepté pour être la chasse aux « voleurs à col blanc » rebaptisée « opération épervier » par la suite.

Dès lors, la machine punitive et coercitive du régime Biya va être mise en marche au point qu’en 2010, dans un article du journal privé Mutations, on peut lire ceci : « Pour le journal de Béchir Ben Yahmed, l’opération qui a déjà entraîné derrière les barreaux 77 personnes, a coûté aux contribuables camerounais, la rondelette somme de 215 milliards de Fcfa, détournés par des anciens collaborateurs du président Biya. » On imagine bien que deux ans plus tard, ces chiffres aient été revus à la hausse puisqu’il continue d’être arrêté et incarcéré de hauts gestionnaires de la fortune publique pour délits de corruption ou de détournement de fonds.

Le mal est désormais réel, grave et difficile à cerner. Plus on combat ces fléaux, plus ils deviennent plus rebelles à disparaître. Le détournement de fonds est ainsi devenu une norme au Cameroun. D’ailleurs, il paraît évident que le régime en place ait laissé prospérer une telle pratique pour se maintenir au pouvoir. En réalité, en laissant les pontes du régime « se mouiller » jusqu’aux coudes, il est tangible que chacun se trouverait coupable et passible de délit pénal au cas où une instruction judiciaire venait à être ouverte. Dès lors, en faisant de chaque gestionnaire des biens publics un coupable potentiel devant la loi de la République pour faute de gestion ou d’indélicatesse financière, le pouvoir central d’Étoudi tient de ce fait tous les responsables politiques zélés qui mettraient à mal la longévité au pouvoir du « Prince ». Du coup, on se trouve devant un cercle de personnes fragiles sur les plans administratif et légal et qui ne doivent leur survie que de la plus éternelle longévité au pouvoir de celui qui les protègerait pour leur soumission aveugle. De facto, Biya n’a rien à craindre d’eux et eux rien de lui. Le contrat de confiance est ainsi signé sur le plan de la faute commise qui est le détournement de fonds. Celui-ci incarne donc à ce niveau la valeur de « péché originel ».

Parlant donc de ce mal qu’est le détournement de deniers publics, il est des plus à la mode en ce moment et contribue, malheureusement, à fragiliser la crédibilité du Cameroun sur la scène internationale. Depuis la première place occupée par le Cameroun en 1998 et 1999, Transparency international, bien qu’ayant revu la place de celui-ci à la baisse, ne lui crédite pas, toutefois, d’un seuil de crédibilité louable. Beaucoup d’efforts restent donc à faire. Et c’est justement parce que rien ne semble être fait de manière ferme, radicale et péremptoire que l’incivilité et les traits liberticides des décideurs de la république prennent des proportions encore plus vertigineuses. En effet, depuis le 20 août 2011, au-delà de l’affaire des détournements de deniers publics, il y a de nos jours ce qu’il convient d’appeler les « détournements d’enfants ». On parle désormais de « l’affaire de l’enfant volé de Vanessa Tchatchou », adolescente-mère âgée de 18 ans depuis le 23 février dernier.

Cette affaire est la consécration de ce que le pays est  géré par des inhumains qui n’ont aucune conscience malheureuse de détourner tant de milliards au pauvre contribuable et qui certainement n’en aurait aucune à lui subtiliser la progéniture. Si « l’opération épervier » a des tentacules longs sur les finances publiques, les enfants semblent désormais être la nouvelle cible dans une pratique qui, certes, existe depuis fort longtemps. L’affaire Vanessa est une parmi tant d’autres pré ou post existantes. Elle met à jour une pratique ignoble où les pauvres citoyens sont les malheureuses victimes d’un système mécréant et meurtrier.

Entre les manœuvres d’explications molles et désespérées tentées par le ministre de la communication et le fait évident de la mainmise des personnalités influentes de plusieurs institutions indexées jusqu’ici, on voit bien qu’on est là sur un terrain vicieux/vicié où le pouvoir de 1982 est encore questionné sur la pertinence de son projet du « renouveau ».
Puisque les faits parlent d’eux-mêmes, l’on est à se demander si ce n’est pas le début de la fin de 1982 qui est lancé. Dans son tout dernier rapport paru cette semaine, Transparency internation avance un chiffre qui donne à méditer : 30% de taux de participation au lieu de 65,82% proclamé par les autorités en charge des dernières élections présidentielles…

Man Bene.

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