Le Sénégal n’a pas de bantoustans

Comme on le dirait quelque part ici, pendant que les Sénégalais jouent du clairon, les Camerounais se contentent de gonfler les joues. Comme des ballons de baudruche. La victoire de Macky Sall, le tout nouveau président du Sénégal est accueillie dans l’opposition camerounaise avec liesse et espoir.

Une liesse compréhensible quand on a suivi le combat de cet ancien collaborateur et « élève » de M. Abdoulaye Wade qui finit par supplanter son « maître ». L’espoir aussi de penser qu’un jour l’opposition camerounaise y arriverait, s’il parvenait à taire ses querelles intestines et se mettre d’accord sur un candidat contre celui du Rdpc. Sauf qu’au Cameroun, il faut compter avec la culture de la fraude dont ce pays a les secrets.

Le Sénégal n’est pas un conglomérat de « bantoustans » ethniques, politique et électoraux. L’armée n’a pas les réflexes répressifs d’une troupe d’occupation. Certes, là-bas aussi, on est Sérère, Ouolof, peul et que sais-je encore ? Mais on est Sénégalais d’abord. On est chrétien, musulman dans des confréries différentes, mais en politique on reste Sénégalais. L’appartenance à la nation sénégalaise est plus forte que tout autre. Raison pour laquelle le 25 mars dernier une cause nationale a pris le dessus sur la passion qui a précédé le scrutin. Les Sénégalais ont tout au moins été à la hauteur de leur réputation. Ils ont montré à la face du monde qu’ils restent très fortement attachés à la tradition démocratique instaurée par leur premier président, Léopold Sédar Senghor dès 1960, à l’avènement de l’indépendance. Tradition consolidée par son successeur Abdou Diouf qui a passé le relais à Me Abdoulaye Wade sous le verdict des urnes, il y a douze ans.

C’est à ce même verdict que s’est plié le troisième président du Sénégal  en faveur de celui qui aura été un de ses fidèles serviteurs avant de devenir un de ses contradicteurs le plus intraitable. Cérise sur le gâteau, à peine les premières tendances favorables à Macky Sall connues, le président sortant a félicité le vainqueur. Et pourtant, l’opposition sénégalaise a fait feu de tout bois pour barrer la route d’un troisième mandat à Wade qui n’a pas pu ou su résister au péché de certains de ses pairs africains qui falsifient la loi fondamentale de leur pays pour s’accrocher au pouvoir. Mais après la sentence de la Cour constitutionnelle, on s’est jeté dans la bataille électorale. En comptant sur la maturité des électeurs sénégalais. La neutralité des fonctionnaires de la préfectorale étant un acquis.

Pour l’universitaire Mamadou Diouf, professeur d’histoire à l’université de Colombia à New York, « ces élections se sonr passées dans le calme. En démentant les prédictions les plus pessimistes, la tenue d’une élection sans incident a départagé ceux qui ne pouvaient pas envisager un scrutin sans violence avec Wade et ceux qui misaient sur la maturité citoyenne du peuple sénégalais. Avec beaucoup d’assurance, il s’est progressivement libéré de la contrainte religieuse et des achats d’allégeance. De cette trajectoire, il en ressort une dissociation entre le politique et le religieux, et une « démonétisarion » des marabouts mondains connus pour leurs alignements partisans qui ont fini d’écorner leur légitimité ». A l’instar des chefs traditionnels au Cameroun.

La première leçon de la présidentielle sénégalaise est l’expression d’une capacité citoyenne à faire respecter la loi et à défaire le président sortant ; quand bien même sa candidature a été validée par la Cour constitutionnelle. La deuxième leçon est celle infligée à Idrissa Seck, l’un des challengers, dont les volte-face ont fini par donner le tournis aux électeurs. La troisième et pas des moindres est la manifestation des premiers signes du modèle islamo-wolof, et ce plus tôt que prévu. Des électeurs sénégalais ont avoué avoir voté Macky Sall pour en punir Wade. Un vote sanction en somme. Encore inconnu au Cameroun où la mauvaise gouvernance fait pourtant des gorges chaudes dans les foyers et dans la rue.

La victoire de l’ancien premier ministre et ancien président de l’Assemblée nationale, selon Mamadou Diouf, « lui donne l’opportunité d’en finir avec les liaisons dangereuses pour ne pas dire mafieuses entre les élites maraboutiques et politiques. Opération nécessaire à la refondation de la démocratie sénégalaise ». Les Camerounais en rêvent. Eux qui sont encore  englués dans les miasmes ethniques qui font des cadres des régions du Centre et du Sud les plus « compétents » du pays et les mieux indiqués pour occuper tous les postes stratégiques et « juteux » de l’administration voire du secteur privé. Les nominations opérées depuis le début de cette année le confirment d’avantage. Quand on observe que des sept administrateurs de la Scb tombée dans l’escarcelle des Marocains, les trois Camerounais sont des mêmes régions : deux du Sud, le troisième du Centre.

A leur tour ils iront, lors des fêtes villageoises en l’honneur de qui l’ont sait, chercher les leurs pour perpétuer les bantoustans dans les administrations, les entreprises parapubliques voire les sociétés privées. Le cas le plus pathétique est celui des Sawa du Wouri. Camille Ekindi a été remplacé au Crédit foncier par un Béti, Dayas Mounoumé au Pad par un Béti, Laurent Esso au Secrétariat général de la présidence par un ressortissant de l’Est. En attendant que Adolphe Moudiki soit remplacé par un autre… Béti. Ainsi la Sawa Connection pour reprendre le vocable d’un journal de Yaoundé, a été démantelée  par l’Esingan, plus fort que jamais.

Parce que les bantoustans n’existent pas au Sénégal, l’alternance est possible et effective. Làbas également comme dans tous les Etat modernes les nominations dans les grandes entreprises se font en conseil ministériel. Alors, au lieu de gonfler nos joues pendant que les autres embouchent les clairons qui détruisent les murailles de la balkanisation, faisons comme eux.

Jacques Doo Bell

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