La CEDEAO, les coups d’Etat et les rébellions

Soldat à Tombouctou

En rédigeant dans ses jeunes années l’hymne national de son pays nouvellement indépendant, l’écrivain malien Seydou Badian Kouyaté imaginait-il que 52 ans après l’accession à la souveraineté internationale, l’intégrité de sa nation serait-elle si gravement menacée et que les strophes guerrières de son texte empli de romantisme patriotique auraient la résonance qu’elles prennent aujourd’hui ?

«A ton appel Mali/Pour ta prospérité/Fidèle à ton destin/Nous serons tous unis/Un peuple, un but, une foi/Pour une Afrique unie/Si l’ennemi découvre son front/Au-dedans ou audehors/ Debout sur les remparts/Nous sommes résolus de mourir».

Mourir pour la patrie. C’est l’expérience traumatisante que vivent depuis plusieurs mois les jeunes militaires maliens, en proie à des ennemis du dedans – et à des ennemis du dehors, qui peinent à rester masqués. Mais la mystique de l’unité qui parcourt le texte fondateur du rêve national malien est désespérement absente en cette occasion tragique. A la sécession nordiste a répondu, dans le Sud, un coup d’Etat qui n’est que la face visible d’une profonde crise politique sous-estimée à l’étranger. Quant à l’Afrique, invoquée avec foi par Seydou Badian, elle a très clairement abandonné le pays de Modibo Keita, héritier d’une tradition de grands empires qui nous a tous rendus fiers, à ses démons et à ses périls. Sans aucun doute, ce lâchage continental se résume à un sigle : CEDEAO.

Pour avoir une idée de l’ampleur de cette trahison, il faut, encore et toujours, revenir à des textes fondateurs. Moins emphatiques que le bel hymne national malien, le Protocole de Non-Agression (PNA) et le Protocole d’assistance mutuelle en matière de défense (PAMD), qui stipule que «toute menace d’agression armée ou toute agression armée dirigée de l’extérieur contre l’un quelconque des Etats membres constitue une menace ou une agression contre l’ensemble de la communauté», traduisent le devoir de solidarité qui n’a pas été opérant en ce qui concerne la rébellion partie de la Libye «libérée» par le CNT.

L’insurrection du MNLA s’est en effet signalée depuis le 17 janvier 2012 à Ménaka. Mais il a fallu que la situation politique interne se dégrade à tel point qu’une partie de l’armée renverse le président Amadou Toumani Touré pour que la CEDEAO se réveille de son long sommeil. Et se mette à cracher des menaces et des anathèmes contre le peuple malien. Parce que ce n’est pas, bien entendu, les dignitaires de la junte au pouvoir qui seront les premières victimes de l’embargo qu’Alassane Ouattara promet au Mali, après l’avoir imposé à la Côte d’Ivoire. Persuadé qu’il faut affamer un peuple pour faire plier ceux qui le gouvernent.

Blaise CompaoréEn Afrique de l’Ouest, les rébellions, les mouvements sécessionnistes, les irrédentismes islamistes sont-ils donc moins dangereux que les coups d’Etat ? Cette question, de nombreux Maliens se la posent. Et parce que personne ne daigne y répondre, ils commencent à se solidariser des militaires qui ont pris le pouvoir et n’ont au fond fait qu’apporter une mauvaise solution à un vrai problème. La crise malienne nous ramène à un problème de fond : celui de la légitimité de nos institutions sous-régionales et régionales, ainsi que de ceux qui les incarnent. Les partisans de la junte dirigée par le capitaine Amadou Haya Sanogo ont beau jeu d’interroger Blaise Compaoré et Alassane Ouattara sur leur propre parcours qui contredit leur intransigeance sur ce dossier précis.

Le président burkinabè est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat sanglant, au cours duquel son ami et frère Thomas Sankara, icône de toute une génération d’Africains, a été froidement assassiné. Lors du dernier scrutin, il s’est fait réélire avec plus de 80% de suffrages, ce qui rend perplexe sur l’ouverture réelle du système politique de son pays. Il suffit de lire des rapports de l’ONU pour se rendre compte que Compaoré a violé, à plusieurs reprises, les textes fondateurs de la CEDEAO en soutenant des rébellions particulièrement sanglantes au Liberia, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire. Si le juge est le premier des hors-la-loi, comment rendra-t-il donc sa sentence légitime aux yeux du grand nombre ?

Le fait même qu’Alassane Ouattara ait pris le pouvoir le 11 avril 2011 et ait prêté serment le 6 mai 2011 montre que sa prise de pouvoir est entachée d’irrégularités. Par la suite, la manière dont il a rédigé ses ordonnances, nommé son président du Conseil constitutionnel et fait élire son président de l’Assemblée nationale, indique très clairement qu’il exerce le pouvoir en dehors des règles constitutionnelles, violant ainsi les protocoles pertinents de la CEDEAO en la matière. Le fait que parmi les procureurs qui s’acharnent aujourd’hui sur le Mali se trouve le président togolais Faure Gnassingbé, qui a pris le pouvoir dans les conditions que l’on sait avec le soutien de la CEDEAO, en rajoute au caractère grotesque de leurs objurgations.

Souvenons-nous. Dès son accession au pouvoir, Alassane Ouattara s’est empressé de reconnaitre le Cnt libyen, arrivé au pouvoir à la suite d’une rébellion et d’un coup d’Etat. Lui-même s’est allié, alors qu’il était dans l’opposition, a une rébellion armée ayant a son actif un coup d’Etat manqué, dans le cadre d’une coalition appelée G7. Les figures principales de cette rébellion, rappelons-le, sont issues de son parti ou de son sillage et y sont retournées. Les institutions régionales africaines ne se caractérisent pas par la cohérence de leurs principes et de leurs prises de position. C’est pour cette raison que les analystes qui les considèrent comme de simples relais d’influence de “donneurs d’ordre” occidentaux ont de plus en plus d’audience sur le continent.

Théophile Kouamouo

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