La politique et la plume

Jacques Fame Ndongo

La semaine consacrée à la Commémoration de la journée de la liberté de la presse me remémore quelques clichés issus de la presse camerounaise. A la deuxième moitié des années 70, un débat de haute tenue au demeurant avait mis en scène deux journalistes de Cameroon-tribune : Amadou Vamoulké et Fame Ndongo.

Le premier avait «pondu» un papier où il était question du machiavélisme considéré comme «irrationnel». Le second avait réagit dans les mêmes colonnes du quotidien pro-gouvernemental, en disant que le machiavélisme «n’est pas irrationnel». S’en était suivi un échange «épique» qui aujourd’hui est tombé dans les tiroirs de l’oubli.
Fame Ndongo est-il l’inspirateur de Biya, crédité d’être adepte et admirateur inconditionnel de Nicolas Machiavel, penseur italien de la Renaissance? Le débat continue à sa manière, par acteurs et observateurs interposés. Les actes du président sont analysés sous le prisme du machiavélisme.

D’aucuns pensent comme hier Fame Ndongo, qui est resté longtemps l’éminence grise de son Nnom-Nguii, que le machiavélisme, tel que problématisé par Machiavel et pratiqué dit-on par Paul Biya, a tout du rationnel. Ainsi, les interprétations les plus courantes à son sujet, sinon les plus pertinentes, semblent le présenter comme le héraut du machiavélisme, pour qui la fin justifierait les moyens. Mais si Machiavel est présenté comme un homme cynique dépourvu de tout sens moral et d’honnêteté, ses écrits, souligne Wikipédia, montrent un homme « avant tout soucieux du bien public, qui cherchait à donner à la République la force politique qui lui manquait à une période où, paradoxalement, elle dominait le monde des arts et de l’économie. Cependant il ne nourrissait aucune illusion sur les vertus des hommes ».

Le machiavélisme charrie-t-il l’irrationnel comme l’âme profonde du peuple camerounais nourris aux sources du miraculeux, du déraisonnable et de l’illogique ? A la deuxième moitié des années 70 jusqu’à l’avènement du «renouveau originel » au début des années 80, deux journaux surfaient sur cette ligne de force pour s’imposer comme le reflet de la société camerounaise. Il y avait la Gazette. Ancien rédacteur en chef du quotidien «la presse du Cameroun », ancêtre de Cameroon-tribune, Abodel Karimou Africus avait très tôt compris ce qu’il fallait à ses lecteurs : du sensationnel. Akafricus privilégiait les faits divers. L’affaire Mpondo ? Les tueurs de sexe ? « La Gazette était là ! », un slogan qui a fait mouche.

Principal concurrent de la Gazette, le Combattant de Joseph Benyimbé, avait opté pour le ‘saignant’ tous les vendredis. Au menu : « un homme sectionne son sexe pour non consommation du fruit défendu » ; « une sorcière piégée dans un avion de nuit pour panne de carburant atterrit sur le toit d’une maison » ; « une femme se réveille durant ses obsèques et sème la panique à Nkolmessack » etc. Les lecteurs s’arrachaient le Combattant qui tirait alors à …40 000 exemplaires chaque semaine. Rien à voir avec les tirages confidentiels d’aujourd’hui où les faits politiques ont supplanté les chiens écrasés.

Certes les lecteurs sont devenus exigeants et désespèrent du contenu des canards, qui s’affichent entre l’invective, des analyses tirés par les cheveux, de la politique fiction, des règlements de compte et de la manipulation tous azimuts. La presse est-elle un miroir grossissant, reflet d’une vision décomposée de la cité ? Selon Laziz Nchare, instituteur à New York university, qui publie dans le forum Facebook “Le Cameroun c’est le Cameroun” de Mathieu Youbi : « On ne le dira pas assez, mais à lire les journaux camerounais, on a l’impression que la presse est devenu un terrain où la corruption est un sport favori. Les ministres et membres du gouvernement utilisent l’argent de l’Etat pour se tirer dessus à bout portant. Même à l’équipe nationale, les joueurs utilisent la presse pour se régler les comptes. Le malheur de notre pays vient du fait que la presse a cessé de jouer son rôle pour essayer de survivre en vouant un culte parfois aveugle et maladroit des compromissions du régime de Yaoundé. Les démissions des membres du gouvernement comme Garga Haman Adji et Maurice Kamto ont été ridiculisé comme un fait divers. Quand on relit les analyses de la lettre ouverte de Marafa Hamidou Yaya, on a envie de pleurer. Son acte courageux de s’ouvrir au fond de son cachot même au prix de sa vie est simplement ridiculisé comme un fait banal d’un baron de l’Etat qui est tombé en disgrâce et implore le pardon de son chef.»

Jean baptiste Sipa n’a pas attendu ce constat. Lors d’une récente conférence de presse à Bafoussam, il mettra ses jeunes confrères en garde contre la tentation d’être des caisses de résonnance d’une justice aux ordres, en condamnant avant la lettre, des personnalités prises dans les serres de l’épervier, sans tenir compte de la présomption d’innocence et des réserves qui s’imposent en matière de traitement de l’information.

Alors, quelle presse pour un Cameroun en attente de messie ? Nous avons cru le trouver en 1990 avec Ni John Fru Ndi, plongeant à corps perdu dans la confiance neuve des matins du multipartisme. C’était l’âge d’or de 100 000 exemplaires vendus comme une bouché de pain. L’establishment désemparé, a vite repris les choses en main, s’assurant le contrôle de la presse pour en faire le bras armé de l’irrationnel concubinage, entre la politique et la justice.

« Presque tous les hommes, frappés par l’attrait d’un faux bien ou d’une vaine gloire, disait Nicolas Machiavel dans un extrait du Discours sur Tite-Live, se laissent séduire, volontairement ou par ignorance, à l’éclat trompeur de ceux qui méritent le mépris plutôt que la louange. »

Mais si la presse et les commentateurs s‘étaient trompés ? Les gens ne présentent-ils pas Biya comme adepte de Machiavel pour cacher d’autres logiques ? Celles du cardinal Mazarin par exemple, probablement l’un des maitres à penser dans l’art de la manipulation qui conseillait ceci : « Veille, pour flatter le peuple, à rendre compte de tes actes, mais seulement après coup, afin que personne ne se mêle de contester tes décisions». Contrairement à Machiavel, Mazarin n’est pas un théoricien. Lui importe avant tout l’efficacité. Il ne s’encombre ni de morale, ni, il faut bien le dire, d’équité.

En cette période où le pays profond et ses dirigeants sont en instance de divorce, à la presse de faire son aggiornamento pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain…

Bon mercredi et à mercredi

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