Opération épervier : Ivresse du pouvoir, Quand tu nous tiens !

Bernard Muna

Certains organes de presse écrite, de radio et de télévision m’ont approché pour requérir mon commentaire sur les récentes arrestations de deux membres du gouvernement Biya dans le cadre de l’opération épervier. J’ai refusé de réagir parce qu’en ce qui me concerne, c’est un non évènement.  Mais avec un peu de recul, j’ai décidé de rendre public mon appréciation de cette fameuse lutte contre la corruption. En effet, la double arrestation de l’ancien Premier ministre Ephraim Inoni et de l’ancien secrétaire général à la présidence de la République, Marafa Hamidou Yaya a fait couler beaucoup d’encre et de salive au sein de l’opinion publique nationale et internationale.

Certains militants et cadres du Rdpc estiment que le prince va trop loin, au regard des rangs occupés par ces anciens ministres il y a quelques mois seulement. Ces derniers redoutent que ces arrestations tous azimuts ne précipitent le régime chancelant du Renouveau qui tend inéluctablement vers sa fin prochaine. D’autres encore martèlent que les personnalités arrêtées sont tout simplement coupables d’avoir convoité la succession de Paul Biya à la tête du pays, le Prince étant encore en poste. Une autre opinion affirme que ces arrestations sont la preuve que monsieur Biya est prêt à en découdre avec la corruption.

Mais quoi qu’il en soit, l’écrasante majorité des Camerounais ne se sent concernée ni de près ni de loin par ces grandeurs et décadences, ces chassés croisés entre acteurs du pouvoir qui semblent ignorer jusqu’à l’existence du bas peuple. En ce qui me concerne, ayant été témoin de toutes ces arrestations au fil des ans, je suis convaincu que le système ne s’arrêtera pas en chemin. Toutefois, le débat ne saurait se limiter à savoir si les personnes interpellées sont coupables ou pas. Je pense qu’il faut envisager la chose sous un autre angle : Dans un État de droit, où règne la justice, aucun citoyen ne devrait redouter d’avoir à faire avec la justice, surtout s’il est innocent.

Mais, chez nous, l’interpellation et l’émission d’un mandat de dépôt contre ces personnalités sont la preuve que les carottes sont cuites désormais pour eux. La tragédie de l’histoire c’est que ces messieurs savent déjà pertinemment qu’ils ne peuvent prétendre à un jugement juste et équitable. Ils s’estiment innocents et victimes du mode opératoire du système. Mais pour le commun des mortels, et suivant l’entendement ordinaire du peuple d’en bas, il va de soi que les richesses qu’ils ont accumulées le long de ces décennies ne sont pas uniquement le fruit de leur salaire mensuel, encore moins la récompense d’un travail durement et honorablement accomplit.

Mais, ils estiment que leurs milliards sont naturellement inhérents à leur position de privilège, sans autre explication. C’est cette logique qui leur a donné jusqu’ici le courage et l’arrogance de violer à ciel ouvert la disposition constitutionnelle relative à la déclaration des biens. Il va de soi que lorsqu’on a un ou des comptes en banque très fournis dont on ne saurait justifier l’origine, cela s’appelle de l’enrichissement illicite.
Hier, c’était le tour des autres, et ils sont montés au créneau pour expliquer et « justifier ». Aujourd’hui c’est leur tour et ils crient à l’injustice. Ils brandissent des arguments du genre, “d’autres ont volé plus que nous, mais ils ne sont nullement inquiétés”.

Ils dénoncent à tue tête les multiples violations du code pénal dans le traitement de leurs dossiers, leur détention abusive, les incessants reports de leurs jugement. « Nous sommes victimes du système ! » crient-ils. « Victimes du système » ! Effectivement, le juriste que je suis est d’accord que notre pays est en déphasage total avec les principes fondamentaux qui régissent l’État de droit. Par conséquent, il est très difficile pour quiconque d’avoir l’assurance d’un jugement impartial. Toutefois, il ne faudrait pas croire comme certains que l’impartialité et la justice d’un jugement est forcément synonyme de libération des inculpés. L’inculpé qui bénéficie d’un acquittement est celui dont l’innocence a été mise en évidence devant la Cour. Mais l’État de droit suppose que, autant l’innocent que le coupable (même si des tonnes de pièces à conviction l’accablent) aient droit à un traitement et un jugement juste et impartial. Les règles devant s’appliquer à tous indépendamment de la position sociale, de la culpabilité ou non du citoyen concerné.

Or ces ex-barons du régime s’en doutent que la messe est dite en ce qui les concerne. Ils ne le savent que trop bien pour avoir eux-mêmes été témoins des arrestations et des jugements sommaires de leurs collègues avant que l’épée de Damoclès ne se pointe sur leurs têtes. Ils savent que la justice en laquelle ils ont à faire n’a pas été conçue pour dire le droit. Or ils ont conçu et mis en marche ce système pour les autres citoyens, exception faite d’eux-mêmes. Au moment où leur rouleau compresseur écrasait les autres, ils trouvaient des mots « justes » pour “justifier”. D’où mon étonnement. Pourquoi revendiquer un jugement transparent et objectif dans un système judiciaire conçu pour servir les privilégiés et brimer, faire taire les laissés-pour- compte ? Le système est tout simplement en train de suivre son mode d’emploi originel ! Il a toujours opéré comme cela avant vous. Pourquoi fonctionnerait-il différemment maintenant qu’il s’agit de vous, puisqu’il ne sait pas fonctionner autrement !

Il est bon de noter que je n’éprouve aucune satisfaction à voir quelque citoyen que ce soit subir un traitement dégradant de quelque nature que ce soit. Mais en même temps, je n’éprouve aucune pitié pour les barrons qui se retrouvent de l’autre côté du pouvoir aujourd’hui. Car ils n’ont éprouvé aucune pitié pour les victimes précédentes quand ils étaient aux affaires. Je pourrais dans une certaine mesure avoir de la peine pour les membres de leurs familles qui en subissent les dégâts collatéraux. Au moment où ils étaient tout puissants, ils taxaient tous ceux qui dénonçaient l’autoritarisme galopant du système de fauteurs de trouble, d’ennemis de la République. Ils ont festoyé, célébré leur grandeur et leur intouchabilité au moment où, sous leurs ordres des citoyens innocents étaient injustement arrêtés, torturés, emprisonnés, tués sans raison.  Au moment où de multiples et flagrantes violations des droits de l’homme se perpétraient dans nos villes et villages, leur indifférence était glaciale. Du haut de leurs trônes ministériels et de leurs bureaux de la Présidence de la République, ils réfléchissaient sur les nouvelles stratégies pour perpétuer leur règne de la terreur.

Ils étaient alors des intouchables. Une race à part, rien à voir avec vous et moi. Nés pour régner sur les autres. Ils étaient de petits dieux. Détournant le regard et bouchant les oreilles face aux cris des opprimés. Ils n’ont jamais imaginé que leur propre système pouvait se retourner contre eux-mêmes. Imbus qu’ils étaient, ils ont tour à tour ridiculisé, manipulé et violenté les leaders de l’opposition. N’hésitant pas à promouvoir la violence au sein des formations politiques, à organiser et huiler un système électoral conçu pour garantir la fraude aux élections afin de se maintenir au pouvoir. Aujourd’hui qu’ils tombent un à un, le système lui, reste et continue sa machiavélique besogne, trouvant toujours de nouvelles recrues pour le faire tourner… sans eux. Eux qui se croyaient indispensables. Oubliant que ceux qui les ont précédés à Kodengui avaient servi le même système, le même Prince. S’ils avaient consacré leur temps lorsqu’ils étaient aux affaires à concevoir et mettre en place un système de gouvernance plus juste, ils seraient aujourd’hui plus sereins, confiant en la bonne gouvernance qu’ils auraient alors instaurée et en sa capacité à rendre justice de manière impartiale. Hélas!

Aujourd’hui qu’ils ont du temps pour méditer comme nous, je les invite à lire la Bible, notamment le livre de Job au chapitre 20, du verset 4 à 8 : « Ne sais-tu pas que de tout temps, depuis que l’homme a été placé sur la terre, le triomphe des méchants a été court et la joie de l’impie momentanée ? Quand il s’élèverait jusqu’aux cieux et que sa tête toucherait aux nues, il périra pour toujours comme son ordure, et ceux qui le voyaient diront : Où est-il ? Il s’envolera comme un songe et on ne le trouvera plus. Il disparaitra comme une vision nocturne. » Et du Verset 19 : « Car il a opprimé, délaissé les pauvres. Il a ruiné des maisons et ne les a pas rétablies ». Et enfin des Versets 27 à 29 : « Les cieux dévoileront son iniquité et la terre s’élèvera contre lui. Les revenus de sa maison seront emportés, ils disparaitront au jour de la colère de Dieu. Telle est la part que Dieu réserve au méchant. Tel est l’héritage que Dieu lui destine. »

Se ravise qui trouvera la foi et la force de le faire !

En effet, ces barrons du régime n’ont pas tous été interpellés et emprisonnés au même moment. L’ironie de l’histoire c’est que ceux qui sont restés en poste au moment de l’arrestation de leurs collègues ont continué de savourer leur liberté et leur position de prestige sans jamais tirer les leçons. La folie de grandeur les aura aveuglé jusqu’à la dernière seconde, les empêchant d’avoir un sursaut de conscience et de se dire, « ce système que nous avons fabriqué vient d’avoir un des nôtre, il faut le changer avant qu’il ne nous broie tous”. Ils sont convaincus d’être une race à part. D’ailleurs, même en prison, n’ont-ils pas un traitement privilégié comparé aux Camerounais ordinaires qui meurent de faim et de maladie dans nos prisons ? Ne les appelle-t-on pas des prisonniers Vip ? Et ne les traite-t-on pas comme tel sous le nez de ceux à qui ils ont tout pris ?

S’il est trop tard pour ceux qui sont déjà à Kodengui, ceux qui sont encore aux affaires devraient prendre le temps de méditer au risque de connaitre la même fin. Mais j’ai bien peur que cet appel à un sursaut de conscience n’ai pas d’effet, car chacun d’entre eux se croit tellement privilégié et au dessus de la loi que c’est lorsqu’épervier frappe à sa porte qu’il réalise que son propre système est un monstre froid qui broie tout sur son passage pour se perpétuer à jamais.

Décidément, ivresse du pouvoir, quand tu nous tiens !   

Me Ben Muna
Président National de l’AFP

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