Quel leurre ?

Paul Biya

Les Camerounais et l’opinion internationale sauront-ils un jour toute la vérité sur ces affaires de corruption et de détournement de fonds publics qui emplissent nos tribunaux de personnalités qui, des années durant, faisaient partie de l’establishment avant leur déchéance ?

Laissons les magistrats faire leur travail. A condition qu’ils le fassent sereinement, en leur âme et onscience. Les dernières interpellations suivies du placement sous mandat de dépôt de l’ancien premier ministre Thomas-Ephraim Inoni et de l’ancien ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, Marafa Hamidou Yaya, ont ramené, à l’aube de cette année 2012, au dessus de la pile, le fameux dossier « Albatros », du nom de cette aéronef présidentiel qui est resté cloué au sol.

Au vu des attermoiemments observés chez les juges en charge de ces dossiers, de certaines sorties médiatiques, épistolaires ou littéraires, il est difficile de nos jours de tracer la ligne de démarcation entre les contours judiciaires et politiques de certaines de ces affaires. Il s’agit quand même de plus d’une dizaine de dossiers pendants devant les tribunaux, impliquant près d’une centaine de personnes, de toutes les catégories sociales, avec en majorité des hauts commis de l’Etat, pour plus de 200 milliards de nos francs distraits ou dont on cherche la destination.

On ne cesserra jamais de se demander comment en est-on arrivé à un tel gâchis qui ne nous honore pas. Il est très facile d’indexer ceux qui sont aujourd’hui derrière les barreaux, certains avec de lourdes peines de prison déjà prononcées et d’autres dossiers en cours. Il faut dire qu’il y en a qui, comme l’ancien ministre Booto à Ngon, n’humeront plus jamais l’air de la liberté. Ils ont le temps de créver dans leur cachot. Ce n’est pas un souhait. Très loin de là. Mais au train où vont les choses, c’est le pire qu’il faut envisager pour ces compatriotes.
Quant à la question de savoir comment on en est arrivé là, il faut rappeler que dans leurs discours, lors de la tentative du coup d’Etat avorté du 6 avril 1984, les mutins avaient justifié leur funeste action par le comportement de certains compatriotes arrivés au pouvoir dans le sillage du chef de l’Etat et qui s’empressaient de se remplir les poches. Dans une interview accordée à la télévision nationale par le canal de Eric Chindje, alors présentateur vedette du journal télévisé, le chef de l’Etat, M. Paul Biya avait botté en touche une question sur les détournements de fonds. Il n’avait « pas de preuves » disait-il et exhortait les Camerounais à « lire le Journal » et à « écouter la radio ».

Il s’agissait pour le président de la République de Cameroon Tribune et de la Crtv, les médias d’Etat qui, dans son esprit, et dans les faits d’ailleurs ont l’exclusivité de la « Vérité qui vient d’en haut », celle du pouvoir, au contraire de « la rumeur qui vient d’en bas » par le canal « d’une certaine presse ». Il n’en demeure pas moins qu’en 1992, Garga Haman Adji, alors ministre en charge du contrôle supérieur de l’Etat, a démissionné du gouvernement avec fracas dès lors qu’il s’est vu empêché de ferrer les « baleines ».

Force est de constater que le pillage de la fortune publique ne date pas de 2006, avec le déclenchement de l’opération Epervier. Les faits rappelés plus haut le prouvent à suffire. Depuis les années 83, les Camerounais ont vu naître comme des chenilles défoliatrices une nouvelle génération de riches qui se recrutent essentiellement dans la fonction publique, si ce ne sont pas des personnes sorties du néant pour devenir des opérateurs économique. Leur secteur de prédilection : les marchés publics. La fourniture des matériels de bureau a enrichi plusieurs opérateurs de cette génération spontanée. D’autres ont fait irruption dans les bâtiments et travaux publics. Sans équipements ni expertise. Avec comme résultats des chantiers inachevés ou fictifs.

La presse n’a pas cessé de dénoncer toutes ces choses-là. Encore que, par médias interposés, les pontes du régime se font une guerre impitoyable. On ne peut pas non plus soutenir que le chef de l’Etat n’était pas au courant de cette prévarication à grande échelle qui a fait du Cameroun un pays peu recommandable. A l’exterieur, être Camerounais, c’est être feyman (escroc sans frontières).

Il a fallu que des velléités de possitionnement pour la succession se manifestent au sein de l’establishement avec ce que l’on a appelé le G11 pour que des dossiers soient montés et atterrissent devant les juges. Le cas le plus patent est celui du professeur Titus Edzoa, ancien proche colaborateur de Paul Biya qui a démissionné du gouvernement pour se porter candidat à la présidence de la République en 1997, pour que le rouleau compresseur se mette en branle contre lui et Michel-Thierry Atangana Abega,  présenté comme son directeur de campagne. C’est ce qui fait de l’opération Epervier une chasse à courre à travers la jungle.

Et comme la guerre des réseaux fait toujours rage, d’autres personnalités sont livrées à la vindicte médiatique. Même s’ils respirent l’air de la liberté. De 1984 à 2006, a-t-il fallu attendre 22 ans pour qu’un chef d’Etat bien informé sur les actes de ses collaborateurs découvre qu’ils sont pour la plupart des prévaricateurs ? Surtout que même sous sa barbe et son nez s’opèreraient de véritables crimes économiques ?
Pourvu que le maître ne finisse lui aussi un jour entre les serres du rapace.

Jacques Doo Bell

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