A propos du Mali et des autres. Une simple équation géopolitique ?

Shanda Tonme

B – L’alternative fédéraliste comme solution ?

De tradition bien établie et largement partagée par toutes les civilisations, les grands malheurs génèrent toujours des grands regrets, et généralement dans une mélancolie qui met en exergue, ce qui aurait pu être fait, ce qui aurait été bon, les orientations ou les actions qui auraient produit un résultat plutôt heureux. Ce qui est l’ordre du jour depuis l’invasion du nord du Mali par des bandes d’obscurantistes enturbannés, c’est le débat sur la raison fédéraliste, l’option fédérale ou l’Etat fédéral tout court.

Certes, quelques uns peuvent objecter de ce que, ce débat ne date point d’aujourd’hui et que longtemps après ou avant même le Nigeria, les Africains en avaient longuement fait état. Les travaux d’un Cheick Anta Diop, d’un Nkwame Nkrumah et de quelques autres encore, sont éloquents à ce sujet et offrent de la ressource suffisante pour alimenter tous les arguments.

Il demeure, et l’actualité le confirme à suffire, que la fuite en avant sur la question fédérale, est restée le trait de caractère des régimes au pouvoir, et des élites idéologues de la plupart des régimes sales qui nous écrasent. La résurgence des troubles à l’Est du Congo démocratique, quoi que l’on en dise, et même s’il ne subsiste dorénavant aucun doute sur la culpabilité de l’etat expansionniste et guerrier du Rwanda, vient rappeler l’impossibilité de continuer à valider des systèmes de gouvernance ultra centralisés dans des pays composites et étendues.

La superficie du Mali est de ce point de vue, tout un scandale, et l’on comprend mieux aujourd’hui, que les puissances coloniales réunies à la conférence de Berlin en 1884, étaient plus intéressés de partager la partie utile constituée par la bande verte du sud du Sahara, que les grands espaces désertiques du nord. La réalité ici interpelle, interroge et conditionne notre conscience et notre raison pragmatique. Il a été facile de conquérir en quelques jours, la partie nord du Mali, tout comme il faut l’admettre, le pouvoir central de la capitale, n’a que peu d’égards voire peu d’influences sur le sort des peuples abandonnés dans les profondeurs de l’arrière pays. Ce qui vaut ici, vaut partout et exige les mêmes solutions, les mêmes réflexions, parce que entraînant exponentiellement les mêmes questionnements et les mêmes drames.

Amadou Toumani Touré (ATT)La responsabilité du président déchu, lâchement et cyniquement renversé par la soldatesque emmenée par le piètre capitaine Sanogo, n’exclut sans doute pas, que l’on appesantisse sur les considérations morales, pragmatiques et géopolitiques à la fois. L’ancien président est accusé d’avoir eu la main molle, face à des rebelles dont le discours autonomiste et les fréquentations douteuses, étaient déjà teintées de compromissions et chargées de dangers. On l’accuse de n’avoir pas dès le départ, proclamé que l’intégrité du pays est non négociable. La vérité sur ce point est indiscutable, mais il faudrait retourner sonder profondément quelles étaient ses vraies intentions et ambitions à long terme. Il est possible que nous soyons trouvés devant un moderniste qui croyait à l’inéluctabilité d’une évolution vers l’autonomie et le fédéralisme au bout du compte.

Nous ne saurions négliger dans ce débat, les tendances qui émergent petit à petit, des profondeurs de la réclusion, après avoir considéré l’indépendance du sud Soudan, comme le début d’abandon du verrou de « l’intangibilité des frontières » qui depuis les indépendances, sert de cadenas contre les velléités de désintégration sur le continent. Il faut se résoudre dans ce sens, à créditer de quelques drapeaux de sérieux, la verve fédéraliste qui se fait jour au sein d’une intelligentsia suffisamment instruite et renseignée sur les bilans et les objectifs sinistres des régimes autocratiques et dictatoriaux africains.

La situation est telle dans plusieurs pays, qu’il n’y aura aucune issue à terme  au-delà du recours à l’instauration des institutions fédérales. Le Cameroun n’y échappe pas, et le Sénégal non plus. En réalité, il n’est pus uniquement question de territoire étendu et ingérable à partir d’un pouvoir aveugle et éloigné planté dans la capitale. Ce qui est la source argumentaire, c’est le niveau d’égoïsme, l’ampleur du dédain, la profondeur de la haine et de la méchanceté, le niveau d’avidité, la cruauté du tribalisme et des relents villageois. Les Africains, qu’ils soient diplômés des meilleurs centres et instituts de formation de la planète ou non, ont assez offert la preuve d’une incapacité chronique à construire des sociétés modernes fondées sur la prise en compte effective de l’opinion du citoyen et de la prise en compte de l’intérêt collectif.Le fédéralisme est devenu un véritable sauf conduit conditionnant la survie de nombreux peuples, de nombreuses communautés culturelles et ethno tribales.

On peut aisément comprendre le point de vue de ceux qui, par malice par conviction intègre, rejettent l’option militaire pour le rétablissement de la souveraineté du Mali. La dure réalité d’une situation chronique de guerre civile tantôt larvée, tantôt chaude et tantôt froide, ne commande-t-elle pas au fond, qu’il soit porté plus d’attention à ces considérations qui prenant appui sur le cas de la Casamance au Sénégal, sollicite des médiations pragmatiques. L’argument de la boîte de Pandore ne résiste pas devant les faits. En s’inspirant du Nigeria, on peut observer comment ce grand pays a évolué depuis la guerre du Biafra qui failli foutre tout l’ensemble en l’air.

Ici encore, on objectera que le fédéralisme n’a pas empêché le pays de donner à répétition, une image de parfait chaos. Mais la réponse peut tout autant aller de soi, pour dire simplement que ce qui importe au départ, c’est la réalisation ou le projet de réalisation des entités et des diversités ethno culturelles, dans un ensemble composite où le risque est grand qu’un pouvoir central incapable, incompétent et sectaire, finisse par maintenir une partie du pays dans une situation chronique de discrimination menant à la guerre civile.

Shanda Tonme

 

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