Alassane Ouattara et Faure Gnassingbé en deal

Faure Eyadema et Alassane Ouattara

Le syndicat des dictateurs africains !

Les pratiques indignes des anciens chefs d’Etat, pions de la Françafrique, refont brutalement surface sur l’axe Abidjan-Lomé. Avec ce que cela comporte comme conséquences pour les libertés publiques et les pratiques démocratiques.

C’est une affaire qui ne soulève pas vraiment les passions ivoiriennes, mais qui est symptomatique de la mauvaise pente que font prendre à l’espace communautaire ouest-africain. Loïk Le Floch Prigent, l’ancien patron d’Elf Aquitaine, entreprise pétrolière française longtemps accusée d’avoir été un Etat dans l’Etat, de financer des putschs dans le «pré carré» hexagonal sur le continent et d’être le symbole achevé de la Françafrique, a été capturé manu militari à Abidjan et extradé ipso facto à Lomé, au Togo.

Dans le cadre d’une rocambolesque affaire d’escroquerie supposée dans laquelle la victime supposée, un homme d’affaires émirati du nom d’Abbas Al Youssef cite pêle-mêle, en dehors de celui qu’il désigne comme son «détrousseur», le Togolais Bertin Sow Agba, des «gros poissons» du monde de la politique et du business, dont Pascal Bodjona, ancien ministre de l’Intérieur du président Faure Gnassingbé, et… Loïk Le Floch-Prigent. Une affaire d’escroquerie à laquelle le nom du général Robert Guei aurait été associé. L’homme d’affaires émirati prétend que Bertin Sow Agba «aurait organisé un réseau pour lui soutirer la somme de 48 millions de dollars et des membres de ce réseau lui auraient fait croire qu’ils avaient une fortune de feu le président ivoirien Robert Gueï, estimée à 275 millions de  dollars, bloquée sur un compte en banque au Togo», selon une dépêche de l’AFP. En gros, tout l’édifice de l’Etat togolais se met en branle pour retrouver et punir tous ceux qui pourraient, de près ou de loin, avoir été liés à une affaire dans laquelle un homme à la recherche de profits illégitimes aurait été grugé par certains de ses proches…

Au-delà de l’aspect étrange de tout ce remue-ménage auquel nous sommes priés de croire qu’un homme plutôt réputé avoir trempé dans des affaires qui relèvent plus de la grande corruption d’Etat que des petites «arnaques à la nigériane» a été mêlé, l’observateur est médusé face au traitement judiciaire du cas Le Floch-Prigent. L’avocat du concerné, Patrick Klugman, affirme par exemple que «les formes de l’extradition telles que nous les connaissons actuellement n’ont pas été respectées».

Et comment ! La justice ivoirienne a été totalement contournée, selon Noël Djé, substitut du procureur de la République, qui assure que l’affaire a été goupillée de bout en bout par les services de police du sémillant Hamed Bakayoko. En violation complète – et assumée – de l’article 28 de la convention d’extradition de la CEDEAO de 1994 qui stipule que le sujet menacé de transfèrement a «le droit d’être entendue par une autorité judiciaire et d’avoir recours à un avocat de son choix». Il faut croire que Ouattara président de la CEDEAO se soucie aussi peu des textes de l’organisation régionale que Ouattara chef de l’Etat ivoirien n’a aucune forme de respect pour la Loi fondamentale de son pays.

Comme dans les films sur la mafia sicilienne…

Très clairement, il apparaît que l’homme fort d’Abidjan procède, avec Loïk Le Floch-Prigent, à un «retour d’ascenseur». L’arrestation à Lomé et l’extradition de Moïse Lida Kouassi viennent irrésistiblement à l’esprit. Faure a livré Lida, Ouattara devait livrer Le Floch. Hier comme aujourd’hui, les extraditions sont foncièrement extrajudiciaires. «Je ne veux pas me prononcer sur le fond. Mais sur la forme, cette extradition viole la Convention de Genève sur la protection des réfugiés politiques ainsi que le Protocole de la CEDEAO sur l’extradition signé en 1994 entre les Etats», dénonçait ainsi Me Raphaël Kpanté-Adzaré, président de la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme (LTDH) en juin dernier.

Hier comme aujourd’hui, les motifs invoqués pour justifier des extraditions de nature fondamentalement politique sont difficiles à gober. Qui ne se souvient des «aveux» télévisés de Lida, manifestement extirpés sous la torture ? Un Lida qui a finalement été inculpé pour «vol à main armée», «détournement» et autres qualifications, bien loin des «activités subversives» invoquées à la fois par le pouvoir d’Abidjan et le régime de Lomé. Quant à Loïk Le Floch-Prigent, qui ne serait au final qu’un arnaqueur à la petite semaine, même les analystes bien disposés à l’égard de Ouattara n’y croient pas. Tout ceci n’est qu’un «écran de fumée dissimulant un règlement de comptes entre deux hommes d’affaires et un règlement de comptes politique», estime par exemple le journaliste «spécialiste de l’Afrique» Antoine Glaser.

Il est difficile de cacher le soleil avec la main. L’échange de bons procédés dignes des films sur la mafia sicilienne qu’on a observé entre Lomé et Abidjan n’est que la manifestation d’une résurgence d’un phénomène que l’on a beaucoup observé en Afrique pendant un certain temps : le syndicat des chefs d’Etat, pour ne pas dire le syndicat des dictateurs. C’est l’organisation informelle dont les membres se serraient les coudes pour éviter toute avancée démocratique et toute évolution vers la modernité politique.

Ces mauvais réflexes sont de retour, et il n’est pas étonnant qu’ils proviennent de deux chefs d’Etat qui ont de réels problèmes de légitimité et qui répriment, dans la rue, les manifestations de l’opposition démocratique. Notamment grâce au silence complice de l’ancienne métropole et de ses médias qui préfèrent «la démocratisation par les bombes» à la démocratisation tout court. C’est au regard des pratiques totalement irrespectueuses du droit et des droits humains qui ont cours à Abidjan et à Lomé que l’on se rend compte que, par son respect au moins apparent des normes judiciaires, le gouvernement ghanéen, à qui il ne faut bien entendu pas donner le bon Dieu sans confession, est au moins sur le chemin de la construction d’un Etat de droit.

Philippe Brou

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