L’aide étouffe l’Afrique

Des centaines de milliards de dollars ont été transférés des pays riches au continent africain. Seul résultat, dénonce Dambisa Moyo, davantage de pauvreté et une économie paralysée. Extraits (p. 24-25).

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«Nous vivons dans une culture de l’assistance. Nous vivons dans une culture où ceux qui sont dans l’aisance approuvent pleinement – non seulement intellectuelle ment, mais en ouvrant leur portefeuille – l’idée que c’est justice de faire l’aumône aux pauvres. Au cours des cinquante dernières années, les pays riches ont transféré en Afrique plus de 1000 milliards de dollars sous forme d’aide au développement. Au cours de la seule dernière décennie, par le biais de Live 8, Make Poverty History, Millennium Development Goals, Millennium Challenge Account, la Commission pour l’Afrique, la réunion du G 7 en 2005 (la liste n’est pas exhaustive), des millions de dollars par an ont été collectés pour financer les organisations humanitaires en Afrique.


On nous persuade que c’est notre devoir. On nous accoste dans la rue, on nous harcèle dans les avions, des flots de lettres et d’innombrables coups de fil nous rappellent que nous avons un impératif moral : donner plus à ceux qui ont moins. Lors de la conférence travailliste de 2001, le Premier ministre britannique, Tony Blair, fit cette remarque : «L’état présent de l’Afrique est un affront à la conscience du monde», et ajouta que l’Occident se devait d’accroître son aide car, compte tenu des problèmes multiples auxquels il était confronté, le continent africain n’avait bénéficié que d’une aide inadéquate. Dans la sensibilité de tout homme de progrès, on trouve le sentiment profond que, dans notre monde où toutes les certitudes morales ont été ébranlées, une idée reste sacrée, une conviction reste indiscutée : les riches doivent secourir les pauvres, et la forme que ce secours doit prendre est l’assistance. La pop culture a donné une impulsion considérable à des conceptions erronées. L’aide fait partie intégrante de l’industrie du spectacle. Les personnalités des médias, les stars de cinéma, les légendes du rock épousent la cause avec enthousiasme, s’en font les plus ardents prosélytes, nous blâment de ne pas donner suffisamment, réprimandent les gouvernements de ne pas en faire assez – et les gouvernements, redoutant de devenir impopulaires et prêts à tout pour plaire, réagissent comme il convient. Bono assiste aux conférences au sommet sur l’aide au développement et, pour Tony Blair, Bob Geldof est «l’un des hommes qu'[il] admire le plus». L’aide internationale est devenue un bien culturel. Des millions de gens sont prêts à défiler pour l’exiger. Les gouvernements sont jugés sur leur zèle à son service.
Mais les 1000 milliards de dollars – et plus – dépensés en assistance au développement au cours des décennies successives ont-ils amélioré le sort des peuples africains ? Non. En réalité, partout sur la planète, les bénéficiaires de cette aide ont vu leur condition empirer, et considérablement. L’aide a rendu plus pauvres les pauvres et a ralenti la croissance. H n’empêche : l’aide reste le pivot de la politique actuelle de développement et l’un des thèmes les plus populaires de notre époque. La notion que l’aide peut remédier à la pauvreté généralisée et qu’elle a fait ses preuves est un pur mythe. Des millions de gens en Afrique sont plus pauvres aujourd’hui, à cause de l’aide internationale.


Notre avis. Ce livre est une bombe. Passée par la Banque mondiale et Goldman Sachs, la Zambienne Dambisa Moyo (Harvard, Oxford) y défend une thèse iconoclaste : les milliards de l’aide sont responsables du désastre africain. Et les pays qui ont capté le plus d’argent sont ceux où la pauvreté a le plus augmenté. Dans ce réquisitoire très argumenté et convaincant, Moyo décrypte comment cette perfusion d’argent public (jusqu’à 15% du PIB de certains pays) alimente la corruption, assèche l’épargne et l’investissement. Elle démonte la machine à subsides (10 000 personnes à la Banque mondiale, 25 000 ONG) qui doit «faire du chiffre». Sa solution ? Remplacer l’aide par un financement via les marchés financiers et les investissements directs, qui ont fait le succès des pays asiatiques. Envisageable pour les pays émergents (Afrique du Sud, Ghana), assez irréaliste pour les plus déshérités (Mali, Burkina Faso ou Niger).

 

Dambisa Moyo est docteur en économie.

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