Idriss Deby Itno: « Les africains n'ont jamais demandé à l'OTAN d'intervenir pour assassiner Khadafi»

Le président de la République Tchadienne a présidé le mardi 11 août 2015  à Abéché une cérémonie de prise d'armes pour marquer le 55ème anniversaire de l'indépendance du Tchad.

C'est pour la 1ère fois que cette fête a été décentralisée. La cérémonie s'est déroulée à la place de l'indépendance d'Abéché en présence du Premier ministre, du Président de l'Assemblée nationale, des présidents des grandes institutions et plusieurs autres personnalités. Après cette cérémonie, le chef de l'Etat s'est prêté aux questions de la presse dans la traditionnelle conférence de presse. 

 

Excellence, Pourquoi avoir choisi Abéché pour célébrer la fête de l'indépendance?

La raison est simple. C'est la 1ère fois que nous avons délocalisé la fête de l'indépendance dans une ville de province. J'ai choisi Abéché, parce qu'elle est la 2ème ville la plus peuplée après N'Djaména et historiquement aussi, Abéché a une histoire ancienne. C'est une ville très ancienne qui mérite cette 1ère délocalisation de la fête nationale. Certainement, d'autres villes accueilleront cette fête

Boko Haram continue de perpétrer des actes suicides et barbares. Quelle stratégie est mise en place pour la contrer ?

Malheureusement, nous avons été victimes des actes barbares de la secte Boko Haram qui a fait de torts à notre population. Il y a eu des morts et des blessés. Je voudrais à cette occasion adresser à toutes les familles éprouvées mes condoléances les plus sincères. Vous savez que le phénomène n'est pas nouveau. L'obscurantisme existait déjà et a frappé des grandes nations, des grands pays comme les Etats-Unis, l'Europe. Des pays africains ont connu avant nous, des actions kamikazes et terroristes. Il n'y a pas une autre stratégie que celle de mettre en commun nos moyens pour faire face aux terroristes. Je tire mon chapeau aux forces de défense et de sécurité tchadienne, nigériane, camerounaise et nigérienne qui ont fait un travail. Boko Haram va disparaître, il est décapité. Les tchadiens doivent être encore plus vigilants, car, les ennemis de la nation sont nombreux. Ils veulent créer des problèmes au Tchad, ce pays qui a connu des longues histoires des déchirures et de déstabilisation. Il vient de loin. Boko Haram ne pourra mettre en cause la marche du Tchad vers le progrès.

Où se trouve Abubakar Shekau ? Quel bilan faites-vous de l'engagement du Tchad contre le terrorisme ?

Abubakar Shekau est un individu dans une nébuleuse terroriste créée pour nuire à la stabilité de la sous-région. En son temps, lorsque j'ai demandé à Abubakar Shekau de se rendre, il était blessé grièvement lors des combats de Dikoa. Il était à Maiduguri et nous avons informé nos amis nigérians malheureusement, ils n'avaient pas voulu que les forces tchadiennes se rendent pour le capturer. Qu'à cela ne tienne, il fallait s'attendre à cette guerre contre Boko Haram. Nous savions que même si nous n'avions pas envoyé des troupes, Boko Haram allait nous attaquer, un jour. Il fallait prendre des dispositions pour minimiser les conséquences de notre intervention. Je crois que nous avons porté un coup dur à la secte. Qui vous dit que Shekau est vivant aujourd'hui? Nous avons actuellement un certain Mahamat Daoud qui parle au nom de la secte et a demandé de dialoguer avec le gouvernement nigérian. Je déconseillerai de dialoguer avec un terroriste. Nous sommes en mesure de mettre hors d'état de nuire Boko Haram dans toute la sous-région. C'est en cela que nous nous préparons afin de mettre à l'abri nos populations contre le terrorisme. Boko Haram est réduit à sa simple expression et a appris à ses dépens. Je voudrai saluer l'action de nos forces de défense et de sécurité qui, en très peu de temps et avec très peu de moyens, ont pu arrêter, l'ensemble des cellules dormantes et actives de Boko Haram sur l'ensemble du territoire national. Nous restons vigilants. Boko Haram ne pourra pas nuire désormais au Tchad

Est-ce que le Tchad va augmenter son effectif dans la force multinationale ou le réduire ? Selon vous, est-ce que la guerre contre Boko Haram sera très longue et très coûteuse comme prétendent certains experts ? Est-ce que les pays engagés pourront tenir le coup sans l'aide internationale?

Le Tchad n'agit pas seul. Il agit dans un contexte et dans un environnement de la sous-région concernée par les actes barbares de Boko Haram. Il y a eu plusieurs réunions multidimensionnelles pour mettre en œuvre une stratégie commune et efficace qui permettra à la force mixte qui compte huit mille sept cent (8700) hommes, parrainée par l'Union africaine, d'être opérationnelle bientôt. J'ose croire que Boko Haram n'aura pas une capacité de nuisance, comme il y a quelques temps. C'était une armée avec des moyens extraordinaires. Mais aujourd'hui, Boko Haram est un petit groupe éparpillé dans des îles du Lac Tchad ou au Nigeria. Je ne crois pas que la guerre sera longue. Elle va être courte. Mais il ne faut pas baisser la garde. La secte va certainement opter par des actions de kamikazes. Nous devons arrêter une stratégie qui permettra de couper les matériels de Boko haram à la source. Boko Haram ne fabrique pas des TNT, des armes, des blindés. Nous savons d'où viennent ces armes, nous savons qui forme les kamikazes. A partir de là, nous sommes en mesure de dire que nous avons tous les éléments pour sécuriser les populations de la sous-région.

Dans cette guerre, qu'attendez-vous de la France, votre alliée, que le Tchad a aidée à combattre le terrorisme au nord Mali ?

Nous ne sommes pas seuls sur le terrain dans cette guerre que nous menons contre le terrorisme. C'est tout le continent et toute la communauté internationale qui sont concernés. Vous avez l'Etat islamique au Moyen orient, au nord Daesh, MUJAO en Afrique de l'ouest, Shebab en Somalie et Boko Haram ici. Aucun pays ne peut mener cette guerre seul et la gagner. Il faut se mettre ensemble pour éradiquer le terrorisme qui est un phénomène mondial. Nous avons la force multinationale et Barkhane qui ont leurs sièges à N'Djaména. Barkhane soutient et a soutenu les forces tchadiennes sur les plans de renseignements et de logistiques. Je voudrais remercier les officiers et les sous-officiers qui ont travaillé avec nous pour donner une certaine efficacité à l'action de nos forces de défense et de sécurité. Et avec toute la communauté internationale nous allons vaincre, le terrorisme

Quelle stratégie idéologique envisagée pour combattre le terrorisme qui utilise le nom de l'islam pour commettre des actions barbares ?

Il ne faut pas faire de l'amalgame entre le terrorisme du genre Boko Haram et une religion quelconque, fut-elle la religion musulmane. L'islam est une religion de paix et de cohabitation pacifique qui respecte le droit. L'idéologie de Boko Haram est un instrument qui est mis en place par les ennemis du continent pour nous ramener en arrière. Boko Haram n'a rien de musulman. Ce sont des drogués qui égorgent et tuent sans pitié. Ils incendient des mosquées. Il ne faut pas lier le terrorisme, la barbarie actuelle, la criminalité actuelle à l'islam. Rien ne lie ces gens là à l'islam, d'ailleurs, ils ne prient même pas. Aucune des religions relevées, aucun livre saint ne préconise le terrorisme et n'encourage une telle idéologie. C'est quelque chose qui est commandée pour retarder notre marche vers le développement et de l'intégration du continent. Depuis 55 ans que nous sommes indépendants, on est avancé, mais très peu. On avance et on recule. Chercher les causes profondes.

Pour l'opposition, il n'y aura pas des élections sans kit de contrôle biométrique. Ne craignez-vous pas un boycott ? 

Nous avons mis nous-mêmes, plusieurs stratégies de dialogue entre l'opposition, la société civile et la majorité. A l'image de l'accord de 2007, un accord a été signé en 2013. Il y a un dialogue qui est instauré. Nous avons mis un cadre permanent composé de l'opposition, de la société civile et de la majorité pour aider la CENI, qui est paritaire. La CENI est entrain d'avancer. Le plus important, c'est que nous nous sommes tous entendus pour faire un recensement biométrique. Je pense que ce débat est inutile et il devrait se faire au sein du CNDP et de la CENI. Il n'y a aucun problème. Tout ce qui est possible doit être fait, pour qu'il y ait, des élections libres et transparentes. Je suis garant de ces accords. Jusque là, ni l'opposition, ni la CNDP encore moins la CENI, m'ont saisi sur cette question. Les gens ont trouvé des tribunes pour critiquer. C'est ça aussi la démocratie. Mais au fond, ils se mettent tous ensemble à la CENI, au CNDP et travaillent. Le jour où il y aura blocage, certainement en tant que garant, je serai saisi pour apporter ma contribution ».

Votre longévité au pouvoir semble frustrer l'opposition qui vous conseille de prendre votre retraite quand bien même que la constitution vous en donne le droit. Que leur dites-vous ?

Je n'ai jamais mené dans ma vie, une action quelconque pour devenir le Président de la République du Tchad. Mais Dieu en a décidé. J'ai trouvé un pays à terre, il est aujourd'hui débout ; j'ai trouvé un pays déchiré, aujourd'hui, il est uni ; j'ai trouvé un pays où il n'y avait aucune infrastructure sociale de base, nous y avons mis notre foi et notre cœur ; nous avons trouvé un peuple complètement désabusé et aux abois, il a pris conscience de ses responsabilités et engagé dans la voie du progrès. 25 ans, bien sûr, c'est long. Si j'avais la possibilité et sachant que ce pays, va bien fonctionner après moi sans problème, je quitterai le pouvoir aujourd'hui même. Il ne faut pas croire que je m'accroche au pouvoir. Je m'accroche à des principes sacrés, qui sont la paix, la stabilité et l'unité nationale. Si mon départ pouvait renforcer la paix, la stabilité et la concorde nationale, je vous assure que j'aurai pris mes vacances et vous me trouverez sur les montagnes d'Amdjarass. C'est par obligation que je suis là et j'appartiens aussi à un parti politique. C'est un ancien parti politique né, dans un contexte que vous connaissez très bien. Il viendra, le moment où ce parti désignera son candidat à l'élection présidentielle comme ça se fait dans toute démocratie respectable et respectée. N'anticipons rien. Si vous êtes rassurés que la paix est consolidée, l'unité nationale est solide, le pays est installé sur des institutions solides, en ce moment là, je quitterai de moi-même le pouvoir. Mais quitter pour quitter et laisser le pays dans le désordre, non. C'est une responsabilité historique.

La Libye est secouée par une crise sans précédent et l'Afrique ne fait rien pour aider ce pays afin de sortir de cette situation. Le Tchad, pays voisin immédiat de ce pays ne craint-il pas un débordement ? 

Pour le désordre créé en Libye, l'Afrique n'y est pour rien. Qui a demandé à l'Afrique d'aller assassiner Kadhafi et laisser le pays dans le désordre? La communauté internationale n'a pas demandé aux africains qu'est-ce que vous pensez de ce que nous faisons. On a vu s'abattre des bombes sur des populations, sur un pays souverain. Voilà ce qu'est devenu aujourd'hui la Libye. Nous ne sommes pas comptables de cette situation. La responsabilité des africains, avec la communauté internationale, pourrait contribuer à arrêter ce désordre. Cette démarche est en train d'être faite. Dans toutes nos rencontres nous évoquons la question de la Libye qui est au centre de toutes nos discussions. Il y a eu des rencontres entre les gens de Tripoli et de Tobrouk au Maroc. Tout ce que je souhaite à ce pays, à ce peuple, c'est de retrouver la stabilité et la paix avec le soutien de l'Afrique et de la communauté internationale. Les africains n'ont jamais demandé à l'OTAN d'intervenir pour assassiner un Chef d'Etat. L'histoire retiendra que nous avons été ignorés et n'avons pas été consultés. Khadafi dérangeait et gênait, il fallait le faire taire. C'était la même chose avec Patrice Lumumba, au Congo. Pourquoi on l'avait tué ? Pourquoi on a tué Khadafi ? Parce qu'il pense que l'Afrique est mûre, qu'il pourra sortir de la misère et jouer son rôle dans la gouvernance mondiale. Tous ceux qui pensent de cette façon seront éliminés. Nous sommes les pourvoyeurs des matières premières. Mais regarder où en sommes-nous ? Nous sommes grandement en retard parce qu'il y a des gens qui font les jeux de ceux qui ne veulent pas que l'Afrique se développe. Comme disait les journalistes de Media d'Afrique, «l'imbécilisation» de l'homme noir. Khadafi a été tué parce qu'il dérangeait. Et les gens n'aiment pas ceux qui dérangent.

Le 28 mai, la diplomatie tchadienne a été mise à rude épreuve à travers l'élection de la BAD. Des amis du Tchad n'ont pas voté pour le candidat tchadien. N'y a t-il pas manque de sincérité entre le Tchad et ses amis ?

 

Nous avions battu campagne. J'ai fait le tour du continent et rencontré, tous mes pairs Chefs d'Etat. Au niveau de la CEEAC, nous avons pris une décision pour que tous les Etats membres soutiennent le candidat tchadien. C'est la même chose avec la CEMAC. Le Cameroun a bien soutenu le Tchad Nous avons perdu au finish, face au candidat nigérian. Nous allons toujours oser. Nous ne sommes pas déçus parce qu'on a perdu. Le Tchad a un rôle important à jouer, dans la gouvernance sous-régionale et continentale. La diplomatie tchadienne n'a jamais été mise à rude épreuve. Mais il faut reconnaître aussi que les intérêts ont primé sur les relations et les paroles données. Curieusement ce sont, des bons amis qui nous ont faussé compagnie. Nous allons nous battre pour placer, nos cadres dans les institutions internationales

Monsieur le Président de la République, à quand une monnaie africaine à la place du Franc CFA ? Parce que cette monnaie est synonyme de la colonisation.

Les relations entre la France et l'Afrique sont historiques et anciennes. Mais nous ne devons pas toujours se cantonner, dans un paternalisme désuet, la France – Afrique, que même les français n'aiment pas. Dans la coopération monétaire avec la France, il y a des clauses à revoir dans l'intérêt de la France et de l'Afrique. Des clauses qui tuent les économies africaines. Elles ne permettront jamais à l'Afrique de se développer. Il faut avoir le courage de dire qu'il y a un cordon qui empêche l'Afrique de se développer et qu'il faut couper. 

M. le Président, des chantiers sont arrêtés et des retards de paiement de salaires sont constatés. Cela est-il lié à la baisse du prix du baril et à la crise financière internationale ou bien le Tchad traverse une crise ou est même en banqueroute ?

Le Tchad est un pays crédible et ne peut pas être en faillite. C'est une étape difficile que nous traversons aujourd'hui. Dans le contexte mondial, l'économie est partout arrêtée. L'Europe et les Amériques connaissent des répercussions directes de la crise. C'est en Afrique et dans les pays du BRICS que nous remarquons un taux de croissance positif. Il ne faut pas trop compter sur le pétrole. Je le répète. Travaillons pour développer l'agriculture et l'élevage, les deux mamelles de notre économie. Je peux peut-être dire que nous avons fait ce que nous devons faire mais nous avons été surpris par la chute brutale du prix du baril. La situation est difficile certes mais nous continuons à payer les salaires et faire fonctionner, l'Etat et toutes les institutions de la République y compris les Forces de défense et de sécurité. On est dans un environnement qui ne favorise pas la croissance. Nos voisins connaissent des problèmes de sécurité : La RCA, la Libye, le Darfour, le Nigéria….. Rien ne vient, rien de sort. L'économie ne tourne que s'il y a des activités économiques. En une année, nous avons fait trois fois de collectifs budgétaires. La situation est difficile mais l'Etat n'est pas en faillite. Nous devons maintenant aller, vers l'exploitation d'autres ressources notamment minières. En ce qui concerne les projets arrêtés, ils vont redémarrer dans bientôt. Nous allons nous en sortir de cette situation avant la fin de 2015.

Source: presidencetchad.org

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