L’injustice du visa pour les vacanciers africains

Voyager à travers l’Afrique est plus facile pour un Américain qu’un citoyen africain. Sans visa, le premier peut se rendre en moyenne dans plus de pays que le second. Un vrai paradoxe que nous avons déjà expliqué sur Slate Afrique. À partir de ce constat, il est facile d’imaginer qu’un Congolais ou un Tunisien qui voudrait passer ses vacances dans l’hémisphère nord sera confronté à un mur. 

En cette période estivale en Europe ou en Amérique du Nord, de nombreux citoyens africains aux poches assez pleines pour s’envoler vers d’autres cieux en avion – ce qui déjà un luxe énorme en Afrique –, se retrouvent confrontés à la difficulté d’obtenir un visa pour des pays qui voient en chaque voyageur du Sud, un migrant potentiel. 

Pour le cas particulier de la France, qui est une destination majeure pour les touristes d’Afrique francophone qui veulent visiter des proches installés dans l’Hexagone ou simplement découvrir l’ex-puissance coloniale qui entretient encore de très nombreux liens culturels et économiques avec son ancien «pré-carré», la mission est ardue pour les demandeurs de visas touristiques.

Attestation d’accueil en France

Les services consulaires exigent de très nombreux justificatifs et documents, ainsi que des revenus financiers importants.

«Pour aller en France, j'ai dû fournir une attestation d'accueil en France et la personne qui m'accueillait a dû prouver qu'elle pouvait me soutenir financièrement avec une somme d'au moins 32 euros par jour. Et pour les Sénégalais qui n'ont pas un profil “international”, c'est quasiment impossible de partir», témoigne Lala, journaliste à Dakar qui s’est d’abord vu refuser une demande de visa pour la France lors de ses dernières vacances l’hiver dernier. 

Après avoir envoyé son dossier à l’ambassade avec toutes les pièces exigées, elle s’est vu répondre que «les raisons de son séjour n’étaient pas claires». Elle s’était pourtant déjà rendue en France à plusieurs reprises pour raisons professionnelles. «C'était injuste car j'avais déjà fait des voyages et j'étais revenu». Après avoir poussé la porte du consulat, elle a finalement obtenu le précieux tampon pour prendre l’avion. Mais à une condition. 

«Ils m'ont répondu que c'était finalement ok pour partir, mais je devais passer au consulat à mon retour pour bien prouver que je suis revenu. À mon retour je ne suis pas passé au consulat, j'avais trop de truc à faire, et je n'avais pas de temps à perdre pour ça. Ils m'ont alors menacé par téléphone de ne plus jamais m'accorder de visa si je ne repassais pas pour confirmer mon retour. J'ai été obligé de le faire», raconte Lala.

«Je suis démotivé par le tas de paperasse à fournir» 

J’ai contacté le consulat français de Dakar pour en savoir plus sur leur politique de visa tout en leur exposant le cas de Lala.

Voici leur réponse:

«Le plus souvent le refus de délivrance du visa est consécutif de la présentation d'un dossier incomplet ou de cas de fraude. Le taux de délivrance des visas était pour l'année 2015 de 71%, soit environ 26.000 visas accordés sur 38.000 demandes! Il faut savoir que le consulat français de Dakar est le poste français qui délivre le plus de visas dans la sous-région. Le demandeur a également la possibilité de faire appel si le visa n'est pas accordé.»

Les services consulaires ne tiennent cependant pas de statistiques particulières pour les visas touristiques. «Cependant, il faut savoir que la plus grande partie des demandes de visas (et donc des visas délivrés) concerne les visas de court séjour (durée inférieure à 90 jours), intégrant les visas pour tourisme», explique Aurélie Carlot de l’ambassade de France à Dakar. 
 
Le taux d’acceptation, s’il est bien moins élevé que celui des Français qui font une demande de visa pour un pays africain – quand cela leur est demandé ce qui est rare en Afrique francophone –, n’est donc pas si drastique. Mais les nombreux documents demandés par les consulats français découragent bon nombre de citoyens du continent de faire une simple demande, ce qui n’est pas visible dans les statistiques. 

«On voit les Européens circuler partout sans soucis…»

«En tant que congolais j’ai toujours trouvé ça injuste que les Européens nous donnent tout le temps des refus alors que pour venir chez nous certains n’ont même pas besoin de visa! Personnellement je n’ai jamais demandé de visa parce que je suis démotivé par le tas de paperasse à fournir et toutes les tracasseries des consulats», dit Martial Panucci, un rappeur congolais qui rêve de voyager en Europe pour y donner des concerts. 
 
Sarah Ben Hamadi, une jeune femme tunisienne, explique qu’elle a pu à plusieurs reprises obtenir un visa pour la France, mais que les démarches sont toujours très longues et pénibles et rendent impossible tout voyage pour les Tunisiens à moindre revenu. 

«En fait pour pouvoir obtenir un visa  il faut une attestation de travail, une fiche de paye des trois derniers mois, un historique de la cnss (sécurité sociale), une allocation touristique avec un minimum de 50 euros par jour, une réservation dans un hôtel ou une lettre d’hébergement faite à la préfecture du hôte à qui on demande aussi beaucoup de papiers.

Je suis allée à plusieurs reprises en France et je n’ai jamais eu de problème à avoir un visa. Mais je trouve regrettable de demander autant de justificatifs pour pouvoir voyager. Quand on voit les Européens circuler partout sans soucis, et qu’on se voit demander autant de justificatifs pour aller passer ses vacances en Europe, on se dit qu’il y a quand même quelque chose qui ne va pas. Si vous ne justifiez pas d’une situation financière confortable, vous n’avez pas le droit de visiter la France et l’espace Schengen plus généralement. Sans parler du fait de l’accès à autant d’informations sur une personne qui ne demande qu’à profiter de ses vacances», confie t-elle.

Le consulat français à Tunis, que j’ai contacté à propos de la politique de visa mise en place, s’est contenté de me répondre que «le nombre de visas délivrés aux ressortissants tunisiens est en hausse constante depuis 2014. Cela infirme l'existence des difficultés auxquelles vous faites allusion».

Le manque d’humanité de la bureaucratie

Il y a aussi les cas qui se heurtent à une bureaucratie qui manque parfois d’humanité. 

Une Libérienne de 17 ans qui habite Conakry en Guinée, voulait pendant l’été rejoindre pour trois mois sa mère installée en région parisienne depuis quelques années. C’est la tutrice de l’adolescente qui vit avec elle qui a notifié la demande de visa au consulat français. «La mère s’était mariée et était dans une situation compliquée. Elle n’a eu la possibilité de n’emmener qu’un de ses deux enfants en France», explique une proche du dossier.«L’idée pour sa fille, c’était de l’emmener en France pour qu’elle voie sa mère, mais aussi qu’elle consulte pour les crises d’épilepsie dont elle est victime. Sauf que l’ambassade lui a demandé si elle demandait un visa touristique ou un visa médical.» L’adolescente répond qu’elle demande un visa médical et est ausculté par le médecin du consultat. Il donne son feu vert mais l’ambassade ne suit pas. La famille dépose un recours, comme elle en a le droit, et attend toujours une réponse. 

«Le problème avec l’administration française est l’inadéquation entre la situation réelle des demandeurs de visa et ce qu’elle exige», conclut l’amie de la famille de l’adolescente libérienne qui a aidé aux démarches. 

Des récits où pointent la frustration et la colère, comme celui-ci, sont innombrables sur le continent. Lorsque nous avions posé la question sur Twitter, les réponses se sont multipliées, signe de «l’injustice du visa».

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