La Chambre administrative estime que certaines personnes ont été écartées à tort de l’opération Papyrus parce qu’elles n’avaient pas toujours séjourné dans la clandestinité.
Si l’opération Papyrus ne semble pas susciter d’appel d’air, elle crée assurément un souffle de régularisation des sans-papiers chez les juges genevois. La Chambre administrative s’est appuyée sur les critères définis par ce projet pilote pour renvoyer plus d’une fois sa copie à l’Office cantonal de la population et des migrations (OCPM), afin que le cas de rigueur soit admis et le dossier transmis à Berne avec un préavis positif. Des brèches de normalisation sont ainsi ouvertes pour des gens ayant eu un permis de séjour, un permis d’étudiant ou une carte pour travailler chez des diplomates. En résumé, pas besoin d’avoir été toujours dans la clandestinité pour être éligible à Papyrus ou pour bénéficier du même traitement.
Effets collatéraux
Ce mardi, le conseiller d’Etat Pierre Maudet présentait avec satisfaction le bilan intermédiaire de Papyrus, faisant notamment état de 1093 personnes sorties de la précarité d’une existence au noir. C’était compter sans les dossiers collatéraux que les autorités n’avaient visiblement pas en tête en déployant ce dispositif visant à assainir le secteur de l’économie domestique. La dernière décision de la Chambre administrative, liée à cette problématique, est datée du 18 janvier 2018 et concerne le cas d’une Bolivienne, arrivée en Suisse en 2003, dont la compatibilité avec Papyrus a été examinée lors de la procédure de recours.
Selon l’avis exprimé par l’OCPM, cette quinquagénaire, représentée par Me Michel Celi Vegas, remplit les critères d’intégration, de maîtrise du français, d’indépendance financière et d’absence de condamnation pénale. Elle n’est toutefois pas éligible au projet car elle ne totalise pas au moins dix ans de séjour en tant que sans-papiers, ayant été au bénéfice d’une carte de légitimation entre 2009 et 2013 pour travailler chez des diplomates avant d’être frappée d’une décision de renvoi. Les juges n’ont pas suivi ce raisonnement.
Situation floue
Se référant à ses précédents arrêts, la Chambre administrative rappelle que, dans la mesure où l’opération Papyrus n’instaure pas un nouveau droit mais clarifie les critères déjà en vigueur pour l’examen des cas individuels dits d’extrême gravité, «les ressortissants étrangers ayant bénéficié d’un titre de séjour non renouvelé doivent être éligibles à une régularisation de leur séjour si les autres critères prévus sont réunis». La décision confirme aussi «qu’aucun motif ne permet de soutenir que l’opération Papyrus s’adresse uniquement à des étrangers ayant toujours été en situation irrégulière».
Enfin, les juges estiment que la recourante remplit aussi le critère de séjour continu de dix ans puisqu’elle est arrivée en Suisse en 2003. Et de conclure que son dossier aurait donc dû être transmis à Berne en vue d’une régularisation dans le cadre de l’opération Papyrus, puisque sa demande était toujours pendante en février 2017, date à laquelle le département a publié sa brochure officielle détaillant le projet. Le cas est donc renvoyé pour nouvelle décision en ce sens. Interpellé mardi sur la portée de ces décisions, Pierre Maudet disait vouloir encore étudier tout cela. Peut-être que le bilan final clarifiera davantage les choses.
Les années d’études
Ce d’autant plus que dans une autre affaire, tranchée en avril 2017 déjà, la Chambre administrative arrivait à la même conclusion pour une ressortissante malgache ayant passé dix ans à Genève avec sa fille, dont les six premiers à étudier les lettres à l’université en toute légalité. Selon cet arrêt, «il n’y a en effet aucune raison que les personnes étrangères détentrices d’un permis pour une partie de leur séjour en Suisse soient prétéritées par rapport aux personnes ayant toujours été en situation illégale. Ainsi, l’OCPM aurait pu transmettre le dossier des recourantes au SEM en vue d’une régularisation de leur situation dans le cadre de l’opération Papyrus.»
Le cas de cette dame et de sa fille a pu finalement se conclure autrement, les juges estimant que la première devait de toute façon pouvoir rester afin de soutenir la seconde. Désormais âgée de 20 ans, la fille remplit les conditions pour être considérée comme un cas d’extrême gravité. Elle est arrivée en Suisse à l’âge de 10 ans, y a fait toute sa scolarité, a passé sa maturité, entamé de brillantes études de droit et participé activement aux différents projets de l’Eglise protestante de Genève et n’a presque plus de contact avec sa famille restée au pays. La perspective d’un renvoi à Madagascar pour toutes les deux, décidé par l’OCPM en 2014, avait d’ailleurs plongé la jeune étudiante dans une angoisse ayant nécessité des soins.
Rigueur excessive
«Ces circonstances prises dans leur ensemble sont de nature à faire admettre qu’un retour constituerait pour elle un déracinement important et présenterait ainsi une rigueur excessive», précise la décision. Même majeure, celle-ci a besoin du soutien matériel et moral de sa mère. «Il convient donc d’envisager de façon globale la situation des recourantes.» La Chambre, qui annule la décision de l’OCPM et le jugement du Tribunal administratif de première instance, conclut que ces dossiers doivent être transmis avec un préavis favorable au Secrétariat d’Etat aux migrations en vue de l’obtention d’un permis de séjour.
«Les permis ont finalement été octroyés», se félicite Eva Kiss, du Centre de contact Suisses-immigrés, qui a représenté la mère et la fille durant toute la procédure de recours. La juriste ajoute que la jeune étudiante, qui avait déposé une demande de naturalisation en 2013, devrait bientôt obtenir son passeport à croix blanche. De quoi retrouver confiance en l’avenir.