C’est via son compte Twitter que le vieux président camerounais (85 ans, au pouvoir depuis 1982) a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle du 7 octobre 2018.
L’homme qui est présenté par ses contempteurs comme le « Plus Grand Diviseur Commun » et le fossoyeur en chef du pays affirme sur le réseau social avoir accepté de « répondre favorablement » aux « appels pressants » de ses “chers compatriotes du Cameroun et de la diaspora” en étant “[leur] candidat à la prochaine élection présidentielle”.
Pour ne rien laisser inachevé, Paul Biya qui est resté sourd aux nombreux appels de ses compatriotes souhaitant son départ, mais est resté toute ouïe toute oreille pour ceux de ses camarades et courtisans l’appelant à rempiler, explique son « Oui, j’accepte » par le fait qu’il est « Conscient des défis que nous devons ensemble relever pour un Cameroun encore plus uni, stable et prospère ». Qui dit mieux ?!
Dear Compatriots in Cameroon & the Diaspora,
Aware of the challenges we must take up together
to ensure a more united, stable & prosperous Cameroon,
I am willing to respond positively to your overwhelming calls.
I will stand as Your Candidate in the upcoming presidential election pic.twitter.com/6oldKFYWak— President Paul BIYA (@PR_Paul_BIYA) 13 juillet 2018
A vos marques, prêts, …Rempilez !
Finis donc le faux suspense entretenu sur la candidature du président sortant, qui a d’ailleurs occasionné des rumeurs depuis la convocation du corps électoral. Certaines annonçaient déjà l’ancien Premier Peter Mafany Musonge, natif du Sud-ouest anglophone et actuel président de la Commission Nationale de Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme, comme le dauphin choisi par le président quasi nonagénaire pour le remplacer à la tête du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et par conséquent, devenir le “candidat naturel” dudit parti à l’élection présidentielle, comme le stipulent ses textes. D’autres avançaient plutôt le nom de l’actuel ministre d’Etat chargé de la Justice, Laurent Esso, dont on dit qu’il a un parcours politico-administratif identique à celui de Paul Biya dont il n’a jamais été séparé depuis des décennies que celui-ci est au pouvoir.
Les Camerounais mêmes, nombreux à espérer que Paul Biya céderait sa place à un autre homme du sérail ne serait-ce que pour un semblant d’alternance, tant ils considèrent Paul Biya comme le véritable porte-malheur du Cameroun, doivent sortir de ce doux rêve et s’apprêter à souffrir pour sept années encore celui qui, au regard du dispositif et des procédés électoraux au Cameroun a déjà remporté [son] élection.
Et pourtant, le pays va mal. Très mal !
Reste que contrairement aux précédentes élections présidentielle celle d’octobre se déroulera dans un contexte politico-sécuritaire extrêmement précaire avec, d’une part, les deux régions anglophones installées dans la tourmente au travers d’une guerre ouverte contre le pouvoir central dans le but de parvenir à la sécession l’ancien Cameroun occidental auquel ils ont déjà donné la dénomination de République Fédérale d’Ambazonie, et d’autre part, les trois régions septentrionales où les forces armées camerounaises affrontement quotidiennement depuis bientôt cinq ans les fous du Nigérian Aboubakar Shekau, leader de la secte terroriste Boko Haram.
*** BBC Afrique: Au Cameroun, le visage caché de la crise anglophone
Des sécessionnistes du groupe armée “Red Tigers” prétendant avoir abattu un hélicoptère de l’armée camerounaise et tué 19 soldats le 24 mars 2018.
Pour la seule semaine qui s’achève, la zone anglophone a été le théâtre de violents affrontements qui ont laissé sur le carreau de nombreux morts dont trois policiers. Jeudi, c’est le convoi du ministre de la défense qui a été attaqué par des séparatistes présumées dans la localité de Mbonge, sur la route Kumba-Mamfe-Ekondo-Titi, faisant environ une dizaine de morts parmi les assaillants sécessionnistes selon des sources officielles, et 6 blessés dont des militaires et un journaliste du quotidien d’Etat Cameroon Tribune.
Bien avant ce sont près de 5.000 morts qui sont signalés depuis fin 2016, notamment parmi les populations civiles anglophones et les séparatistes armés, et quelques centaines du côté des forces gouvernementales (selon les séparatistes) qui ont cependant affirmé ne déplorer que quelque 80 pertes. La guerre qui a déjà fait plus de 200.000 refugiés dont 160.000 déplacés internes continue d’en faire au fur et à mesure de son enlisement qui se traduit aussi par les incendies en séries de villages anglophones par l’armée camerounaise. Dans la même veine malheureuse, on dénombre de nombreux enlèvements de personnes et personnalités par les séparatistes, tandis qu’environ deux milliers d’anglophones sont détenus dans les prisons camerounaises. |
Des sécessionnistes torturant un couple d’anglophones
C’est donc dans cette ambiance toute de tension que va se dérouler la campagne électorale pour le énième plébiscite du président à vie du Cameroun, à qui il faut cependant reconnaitre un semblant de libéralisation des espaces politique et médiatique se situant à mi-chemin entre liberté contrôlée et pas de liberté du tout, la liberté telle qu’elle est pratiquée au Cameroun étant à la liberté ce que le Canada Dry est à l’alcool.